Portrait : Elie Korchia, sacrée défense

Abonnez-vous à la newsletter

Avocat, le nouveau président du Consistoire de France souhaite ouvrir davantage cette institution juive aux femmes et critique les positions de Zemmour.

Il y a de l’enthousiasme sur le visage du nouveau président du Consistoire de France. Elie Korchia est également avocat au barreau de Paris et notre entretien se déroule à son cabinet du XVIe arrondissement. Le lieu n’est pas cossu : il est fait d’un très long couloir qui ouvre sur plusieurs bureaux. Le tout donne sur une cour en briques. Mais Elie Korchia n’est pas homme à déplorer que ses illusions donnent sur la cour : de lui se dégage au contraire une vaillance enjouée. Sa démarche est imprégnée à la fois de rapidité, car il court après le temps depuis son élection, et de bonhomie. Son épouse, avocate, travaille avec lui mais n’est pas là aujourd’hui. «Elle s’appelle Adassa, c’est le prénom de la reine Esther. Vous le saviez ?»

Elie Korchia sera à nous dans deux minutes, une fois qu’il aura envoyé un dernier mail. Il repart à l’autre bout du couloir. En attendant, on observe une affiche. Elle vante un «gala républicain» autour de Michel Fugain, organisé par Korchia. Il est écrit «92». Etait-ce dans le 92, ou en 1992 ? On doute, car Michel Fugain, c’est une vieille histoire. Revoilà Elie Korchia.

L’avocat civiliste, qui s’occupe au quotidien des divorces, des successions, des assurances, a commencé par le pénal, et il en fait encore. En 2017, il a accompagné Samuel et Myriam Sandler au procès des attentats de Toulouse et Montauban, puis en 2020 Zarie Sibony et Andréa Chamak, caissières de l’Hyper Cacher visées par les attentats de janvier 2015 : «Attention, d’un avocat de parties civiles, on ne dit pas qu’il défend : je n’avais pas à défendre Zarie Sibony ou Samuel Sandler.» Zarie Sibony a témoigné vêtue d’un chemisier blanc qui avait frappé la chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard : le vêtement aux «épaules démesurées» servait à la jeune femme de «délicate autant que dérisoire armure», avait-elle écrit. L’écrivain Yannick Haenel assistait au procès pour Charlie et fut aussi saisi par cette tenue. Il se souvient d’Elie Korchia : «Au début du procès, il est venu me parler. Il m’a demandé comment je me sentais : je découvrais les assises et j’étais un peu… J’ai remarqué sa douceur. Et lorsqu’il a plaidé, j’ai observé son comportement avec les parties civiles et j’ai vu qu’il concevait la justice comme une protection ; il protégeait le plus possible Zarie Sibony et Andréa Chamak. J’ai mesuré alors à quel point la justice est protectrice. Elle serre le deuil entre ses bras.»

Le «92» de l’affiche désigne bien le département des Hauts-de-Seine, où Elie Korchia est depuis vingt-cinq ans engagé dans les instances communautaires. Il a fait ses études de droit à Nanterre et habite Boulogne. Œuvrer pour la communauté juive est une tradition dans sa famille paternelle, à Sidi Bel Abbès (Algérie) pour son grand-père, à Puteaux pour son père, mort à 43 ans d’une rupture d’anévrisme : «Mon frère avait 16 ans, j’en avais 19 et je commençais mes études de droit. Sa disparition brutale aurait pu me détourner de la foi et du monde associatif, ce ne fut pas le cas.» Les grands-parents d’Elie Korchia sont nés en Algérie. Sa grand-mère maternelle était responsable du bureau d’état civil de Tiaret dans les années 50. Après l’indépendance, elle reprit la même activité dans une mairie de la région parisienne. Les femmes de sa génération n’étaient pas nombreuses à avoir de telles responsabilités : «Elle était d’une grande culture et m’a transmis le goût de la littérature.» Côté paternel et maternel, les aïeux d’Elie Korchia se sont battus en métropole, en 1914 puis en 1940 : «Nous avons la République chevillée au corps , si bien que ma vision de la communauté n’a rien de communautariste. Je la vois, comme partie intégrante du peuple de France.»

Elie Korchia nous apporte sur un plateau le sujet délicat du moment : Eric Zemmour. «Je ne suis pas élu pour prendre parti, mais ce qui m’inquiète, ce sont des déclarations qui, au lieu d’unir les citoyens, vont à l’encontre des principes et des valeurs républicaines que je défends, et pas seulement pour les Juifs de France, en tant que dirigeant associatif et avocat.» Il condamne Zemmour, donc ? «Je me prononce sur des déclarations, pas sur une personne, et je dis : «Non, ça ne va pas.» Quand on parle ainsi du régime de Vichy, du rôle de Pétain avec les Juifs ; quand on fait des comparaisons graves entre les enfants Sandler et leur assassin terroriste, quand on insinue des choses sur Dreyfus en bafouant la vérité historique, on ne peut pas rester silencieux.» Elie Korchia ne croit pas en l’existence d’un vote juif : «Les Juifs de France sont des Français comme les autres, certains peuvent être séduits par Zemmour, d’autres sont révulsés. Vous savez, on n’est pas différents.» Il n’est pas sûr non plus qu’il y ait une culture juive uniforme, même s’il identifie quelques traits : «Un sens de l’étude qui nous conduit à pousser les enfants dans ce domaine .»

Elie Korchia a deux enfants, une fille médecin et un fils étudiant en dentaire. «Je pense aussi à l’une des plus belles chansons d’Anne Sylvestre, les Gens qui doutent ; je dirais que le peuple juif se caractérise par le débat et le sens critique.» La recrudescence des crimes antisémites en France depuis une vingtaine d’années n’incite pas Elie Korchia à prôner un départ vers d’autres pays : «On ne prend pas la fuite. Partir sous le coup de la peur ne donne rien de bon. Si l’on part, c’est qu’on a un idéal. . Ne soyons pas dans une logique décliniste. Quand je vois les vies construites par des rescapés qui ont connu le pire de ce que l’humanité a produit au XXe siècle, je me dis que nous n’avons pas le droit de baisser les bras.»

Elevé dans un milieu traditionaliste, Elie Korchia souhaite bâtir un Consistoire de France davantage ouvert aux femmes. Ce projet plaît à Déborah Loupien-Suares, vice-présidente du Consistoire du Sud-Ouest : «Lui et Haïm Korsia, le grand rabbin de France [réélu en juin, ndlr] partagent une même ambition. Ils forment un excellent binôme.» Ils se rendent notamment à des manifestations qui célèbrent la fraternité entre les religions. Récemment ils étaient à la grande synagogue de Lille : «Elle était pleine à craquer, avec des catholiques, des musulmans et des protestants. Le recteur de la grande mosquée de Paris était là aussi. C’était formidable.» La soirée s’intitulait : «La foi en l’homme, la foi en Dieu.» Il y a, dans le plaisir évident que prend Elie Korchia à évoquer la vie associative en général, un côté Vatican II très attachant.

Pour nous comme pour lui, il est l’heure de partir. Rebelote, il fonce dans le couloir chercher quelques dossiers et un carton qui abrite un énorme gâteau. Une fois sur le palier : «Zut, on n’a pas eu le temps d’évoquer les galas républicains du 92. Ce sont de grands moments.» On y va. Merci pour la tendresse, comme le chante Anne Sylvestre.

1er août 1971 Naissance à Paris
1996 Prête serment comme avocat
2017 Procès des attentats de Toulouse et Montauban
2020 Procès des attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher
Octobre 2021 Présidence du Consistoire central de France

Par Virginie Bloch-Lainé

Source liberation