Le nouveau gouvernement israélien veut briser les monopoles, tabous et avantages acquis par les haredim en trente-sept ans.
Coiffé d’une kippa, Matan Kahana, le ministre israélien des Affaires religieuses, respecte le shabbat, est fidèle aux règles de la casherout, le code alimentaire du judaïsme, respecte les traditions et veut renforcer l’identité juive d’Israël qui, selon lui, aurait tendance à se dissoudre. Ce conservateur bon teint est l’un des ténors de Yamina, un parti sioniste religieux ancré à droite dont le chef, Naftali Bennett, dirige le gouvernement de coalition en place depuis juin. Son profil pourrait rassurer les milieux religieux. Il déclenche au contraire une vague de colère dans le camp des haredim, les «Craignant Dieu» en hébreu.
Matan Kahana est la cible des partis politiques ultraorthodoxes et de leurs rabbins. En cause, une série de projets de réformes qualifiées de «beaucoup plus dangereuses pour Israël que l’Iran» par Aryé Dery, l’ex-ministre de l’intérieur de Benyamin Netanyahou et président du Shass, le parti à dominante séfarade. Moshe Gafni, le chef de Judaïsme unifié de la Torah, l’autre grande organisation haredim, l’accuse de mener «une guerre culturelle» contre les siens. «Notre tâche est de nous battre de toutes nos forces, d’enlever les gants» a-t-il lâché lors d’un conclave. Considéré comme «satanique», Matan Kahana est sous protection rapprochée du Shin Beth depuis qu’un groupe d’extrémistes juifs a demandé l’application d’une «loi» autorisant son assassinat.
La raison de la levée de boucliers? Le ministre des Affaires religieuses souhaite modifier le système de certification de la casherout, celui des conversions au judaïsme et a annoncé, avant de se rétracter ce dimanche, la création d’un espace mixte où hommes et femmes pourront prier ensemble au Mur des lamentations. Le gouvernement envisage également de libéraliser le monopole ultraorthodoxe sur les portables casher, les téléphones vocaux sans SMS et sans internet et s’interroge sur le mariage civil uniquement validé après avoir été célébré sous les auspices de la communauté religieuse des couples. La modification des procédures de conversion concerne 450.000 individus, soit 5 % des Israéliens. Ils ont rejoint l’État hébreu après la chute de l’ex-Union soviétique via la loi dite du retour qui donne la nationalité israélienne grâce à un ascendant juif ou un mariage avec une personne juive. Elle ne permet pas en revanche une conversion et donc un mariage religieux. Beaucoup d’entre eux estiment être considérés comme des citoyens de seconde zone.
Réduire les subventions pour les enfants haredim
Quant au ministre des Finances, Avigdor Liberman, issu de cette dernière communauté et connu pour avoir essayé sans succès d’imposer le service militaire aux étudiants ultraorthodoxes, il a réduit les subventions des garderies pour enfants haredim. Une contrariété pour les familles nombreuses des «Craignant Dieu» où les hommes de stricte observance ne travaillent pas pour se consacrer à plein temps à l’étude des textes sacrés dans les yeshivot, les centres d’étude de la Torah. Soit autant de monopoles, de tabous et d’avantages acquis brisés ou du moins aménagés.
Les changements proposés sont en apparence cosmétiques. La plupart d’entre eux ont en commun de réduire, s’ils arrivent à terme, les prérogatives du grand rabbinat d’Israël, un service public sous la férule de fonctionnaires ultraorthodoxes, parfois accusés de corruption. Les haredim y ont imposé leur domination grâce aux alliances politiques nouées depuis près de quarante-cinq ans. Ils ont présidé la commission des finances de la Knesset, un poste stratégique pour l’octroi d’aides à leurs coreligionnaires pendant trente-sept ans.
Leur participation aux gouvernements successifs leur a permis d’exercer un droit de veto sur les lois touchant à la religion, comme la circulation des bus publics le jour de shabbat. Et Benyamin Netanyahou a renoncé sous leur pression à assouplir les restrictions imposées aux femmes au Mur des lamentations. Le Shass et Judaïsme unifié de la Torah, sans qui il est difficile de dégager une majorité à la Knesset, n’ont végété qu’à trois reprises sur des périodes de courtes durées dans l’opposition. Ils sont les élus d’une population qui représentent environ 13 % des citoyens israéliens. Un pourcentage appelé à augmenter de manière spectaculaire grâce à un taux de naissance de sept enfants par couple en moyenne.
Passés dans l’opposition avec la chute de leur allié Benyamin Netanyahou, les rabbins qui inspirent les partis ultraorthodoxes considèrent le gouvernement de Naftali Bennett comme une menace quasi existentielle. Au Parlement, la réforme de la casherout a franchi l’obstacle d’un millier d’amendements et doit encore être approuvée en dernière lecture. En plaçant sur le même pied divers organismes de vérification, elle entraînerait une perte financière pour les conseils religieux ultraorthodoxes dont les inspecteurs s’assurent que la nourriture mais aussi, les casseroles et les fours de cuisson sont conformes. En signe de protestation, certains d’entre eux ont bloqué la circulation à Tel-Aviv et cuit des morceaux de crabe et de crevettes – aliments non cashers – sur des réchauds de camping devant le domicile du ministre des Affaires religieuses. Les chefs haredim envisagent un grand rassemblement en janvier. L’affichage d’une volonté de réformes ne signifie pas pour autant que le paquet de mesures va être adopté en l’état tant le gouvernement réunissant la droite, le centre et la gauche est hétéroclite et sa majorité au Parlement fragile. La fronde des ultraorthodoxes ne serait alors qu’une tempête dans un verre d’eau.