Richard Malka, l’avocat historique de « Charlie Hebdo », sera ce lundi 13 décembre dans l’agglomération de La Rochelle pour débattre des valeurs qui lui sont chères : la laïcité, l’universalisme, la liberté d’expression, la liberté de blasphémer.
Son dernier livre, « Le droit d’emmerder Dieu » (éditions Grasset), n’est autre que l’intégralité de la plaidoirie préparée l’an dernier pour le procès des attentats de janvier 2015. Entretien
Un an a passé depuis votre plaidoirie à ce procès historique qui, selon vous, nous a conduits à la croisée des chemins. Lequel avons-nous emprunté : celui du « crépuscule des Lumières », pour reprendre votre formule, ou celui « d’une nouvelle aube » ?
Ce procès, associé à toutes les tragédies qui sont survenues pendant, en particulier l’assassinat de Samuel Paty, a constitué un tournant. Il y a un avant et un après, une prise de conscience de la gravité de la situation et de la nécessité de réagir. On sent que dans la population et dans les mondes politique, médiatique et intellectuel, il n’y a pas la même hostilité à l’égard de ceux qui défendent la laïcité, l’universalisme, la liberté d’expression et le droit au blasphème. Est-ce que pour autant on est sur le chemin des Lumières ou de l’obscurité ? Cela reste très compliqué. On a pris beaucoup de retard et on est un peu seul au monde. Le monde religieux progresse, le monde anglo-saxon est totalement hostile à notre modèle de société. Ce n’est pas gagné mais dans ce pays il y a une résistance à ces thèses que je ne vois nulle part ailleurs.
Redoutez-vous la tournure que prennent les débats, dans le cadre de la présidentielle, autour de l’universalisme et du communautarisme ?
On sent que c’est le thème majeur. Parfois galvaudé, caricaturé, utilisé à mauvais escient mais on sent que c’est la thématique qui angoisse le plus et qui est devenue essentielle. Il n’est plus possible de ne rien dire.
À la classe politique, vous avez reproché « beaucoup de lâcheté, de compromission, de complaisance et un abandon de ce qui fait l’idée de ce qu’est ce pays ». Vous n’épargnez pas la gauche accusée de s’être perdue sur le chemin de la bien-pensance. Retrouve-t-elle un peu grâce à vos yeux ?
Il y a des positions plus claires mais on sent encore une gêne à évoquer les sujets qui fâchent. Mais ce n’est pas par le silence qu’on réglera quoi que ce soit. D’autant qu’il y a un peuple de gauche en attente d’un discours. Il y a une manière de traiter ces thèmes : par la raison, la nuance, la complexité, etc. Et tant qu’on n’osera pas, il y aura un vide que la nature se chargera de combler
Lors de la remise du prix de la Laïcité 2020 le mois dernier (1), vous avez déclaré : « Quand on est serein avec sa différence, on n’a pas besoin d’en faire un étendard. » Ceux qui brandissent leur différence vous diront qu’ils le font pour qu’elle soit respectée, pas parce qu’ils ne sont pas sereins avec…
On a quand même l’impression aujourd’hui qu’il y a une posture. C’est-à-dire qu’on cherche la différence à tout prix, sinon on n’existe pas
Ce que vous observez dans le wokisme. Vous le qualifiez « d’enfant monstrueux du communautarisme ». Le wokisme revendique, avec ses codes, l’égalité. Est-ce que la République en est là : à devoir choisir entre égalité et laïcité ?
Il n’y a pas à choisir entre égalité et laïcité. La laïcité est une manière de parvenir à l’égalité. La laïcité, c’est l’enfant de la philosophie des Lumières. Aujourd’hui, le choix, il est entre universalisme et différentialisme. Est-on d’abord une femme, un homme, un hétérosexuel, un homosexuel, un juif, un musulman, un chrétien ou d’abord un être humain ? Il y a une poussée du modèle anglo-saxon qui tente de nous interdire la vision universaliste et contre lequel je me bats. Il y a une connexion entre cette idéologie anglo-saxonne et la poussée religieuse. C’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité des luttes. Mais ce sont deux mondes qui convergent de manière artificielle. On voit les contradictions qu’il y a à être, à la fois, féministe et en défense de l’islamisme. Les plus grands militants du wokisme ne sont pas ceux qui sont concernés par les discriminations. C’est une posture très « petit bourgeois », universitaire et, au fond, condescendante
Vous regrettez que nous ne parvenions plus à créer de l’universalisme. Comment ça se fabrique, en 2021, l’universalisme ?
Ça se fabrique à l’école, au sein des familles, en disant à l’Europe d’arrêter de subventionner les associations qui ont pour objectif la destruction de ce modèle, en se faisant respecter, en affirmant nos valeurs. Ces principes ont migré vers la droite alors qu’ils étaient historiquement de gauche. Je ne pense pas qu’on s’en sortira tant qu’il n’y aura pas une refondation d’un discours de gauche sur cette question
C’est quoi votre vie depuis sept ans. Vous êtes toujours sous protection policière ?
Oui. Mais j’en parle le moins possible. Ça n’a pas un intérêt majeur.
Ça traduit tout de même quelque chose…
C’est évident que cela ne dit pas que notre société se porte bien. 80 % des gens que je fréquente sont sous protection, c’est un peu bizarre. Mais il n’y a rien de perdu. On est vraiment le peuple qui résiste le plus, on a quelque chose à apporter au monde. Je ne veux pas renoncer à cet espoir. On ne s’en sortira qu’au travers d’une ambition collective. Il y a un autre modèle de société à proposer. Nous avons arrêté de chérir notre modèle laïc alors qu’il fait rêver à travers le monde. À Raqqa, ancienne capitale de Daech, Leïla Mustapha a été élue sur un programme laïc. Rien n’est perdu, à condition de ne pas baisser les bras.
C’est à l’invitation du député Olivier Falorni que Richard Malka sera, ce lundi, à Lagord pour participer à une conférence-débat intitulée « La laïcité : glaive ou bouclier ? » (18 h 30 à la salle Alain-Le-Meur). Peu avant, il assurera une séance de dédicaces à l’Espace culturel Leclerc, situé à proximité.
(1) À cause de la crise sanitaire, sa remise avait dû être reportée.