Les relations entre les deux pays ont été abîmées par des révélations sur l’emploi du logiciel espion Pegasus. Il est temps de mettre fin fin à cette querelle.
Emmanuel Macron signifie la fin officielle de la brouille avec Israël en recevant ce mardi à l’Élysée Yair Lapid, le ministre des Affaires étrangères israélien et numéro deux du gouvernement. La fâcherie aura duré plus de quatre mois, le temps nécessaire pour purger en partie le contentieux de l’affaire Pegasus. Ce logiciel espion vendu par NSO, une société israélienne, avec l’aval des autorités, avait permis de placer sous écoute l’un des téléphones portables du président français, ceux de plusieurs membres de son gouvernement, de l’ex-premier ministre Édouard Philippe et de certains conseillers.
Un premier pas diplomatique avait été franchi le 1er novembre à Glasgow, en marge du sommet sur le climat, avec un échange entre le chef de l’État et Naftali Bennett, le premier ministre israélien. Le chapitre se clôt avec la visite de Yair Lapid. Les deux hommes s’apprécient. Ils s’étaient rencontrés lorsque l’un était ministre de l’Économie et l’autre ministre des Finances de Benyamin Netanyahou. Voici deux ans, Emmanuel Macron avait conforté la stature internationale de celui qui était le rival de «Bibi» en l’accueillant en pleine campagne électorale.
Colère mêlée de stupeur
Retour en arrière. La formation en juin d’un nouveau gouvernement dirigé par le tandem Bennett-Lapid est prometteuse pour la relation franco-israélienne, qui est relancée rapidement avec des rencontres bilatérales. Mais un mois plus tard, le début de lune de miel se mue en crise avec les affirmations d’un consortium de journalistes internationaux. L’organisation Forbidden Stories révèle que les téléphones portables de dizaines de milliers de personnes de par le monde sont hackés par Pegasus, le programme de NSO. Ce fleuron du high-tech israélien vend son logiciel à des États, qu’ils soient démocratiques, autoritaires ou dictatoriaux, avec l’aval du gouvernement, sans se soucier de son usage. NSO a recruté des hackeurs de l’unité 8200, l’unité militaire d’élite du renseignement électronique de Tsahal pour élaborer le programme. Une fois installé via un virus, il espionne son utilisateur, accédant à ses messageries, ses données, ses sons, ses images. Le succès commercial est immédiat. Il est toutefois terni par le meurtre de l’opposant saoudien Jamal Khashoggi, assassiné et découpé en morceaux au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, après avoir été indirectement pisté par la cyber-arme.
En France, un millier de personnes auraient été visées dont de simples citoyens connus pour leurs prises de position critiquant le régime marocain. Selon Forbidden Stories, le Maroc serait le commanditaire de l’opération, ce que le roi Mohammed VI nie. À Paris, des instructions judiciaires sont diligentées. Elles n’auraient pas abouti officiellement à des preuves formelles de l’implication du royaume marocain, mais l’enquête menée avec l’appui technique de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) progresse. En ce mois de juillet, à l’Élysée, la stupeur se mêle à la colère. Comment réagir? Qui est responsable? NSO? Israël? le Maroc?
Relation figée avec Israël
Paris entretient des liens étroits à la fois politiques et sécuritaires avec Rabat, qui se mure et s’enfonce dans ses démentis. Les autorités ne seraient pas un client de NSO. Elles dénoncent une «campagne de dénigrement» et évoquent une «manipulation orchestrée depuis l’étranger». L’affaire pèse lourdement sur la relation mais elle ne la fige pas comme avec Israël. De passage à Paris, le ministre de la Défense israélien, Benny Gantz, est traité avec une extrême froideur. De son côté, Gérald Darmanin renonce à un déplacement à Tel-Aviv pour une conférence. Embarrassé, Yair Lapid se dédouane en rejetant la responsabilité du scandale sur le précédent gouvernement. Les Français y voient un semi-aveu: la vente du logiciel aurait été validée par les autorités israéliennes. L’étape suivante a pour théâtre le ciel du sud d’Israël à l’occasion d’un exercice d’entraînement international conjoint baptisé «Blue Flag», qui associe l’armée de l’air de Tsahal avec les forces aériennes de sept autres nations dont les États-Unis et la France, présente avec ses Rafale. Paris ne communique pas sur ce sujet de fierté nationale pour l’État hébreu.
Le 22 octobre, Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, reçoit Eyal Hulata, le conseiller à la sécurité nationale de Naftali Bennett et ancien du Mossad. L’heure est aux tractations. Elles aboutissent à un accord. Désormais, les licences d’exportation des logiciels d’espionnage téléphonique exportées par les start-up israéliennes mettent la France sur le même régime que les Américains et les Britanniques. Les numéros en +33 sont bridés en vertu d’une clause particulière.
Le classement, par le ministère du Commerce américain, de NSO sur liste noire favorise également un règlement partiel du différend. Secouée par le scandale, l’entreprise est au bord de la cessation de paiements avec une dette de 450 millions de dollars. Son PDG et cofondateur, Shalev Hulio, avait soutenu dans un premier temps que le président français n’avait pas été ciblé. Il a abandonné son poste pour le confier à Isaac Benbenisti, qui a démissionné au bout de quelques jours après avoir constaté l’ampleur des dégâts financiers. L’État hébreu a, pour sa part, restreint la liste des pays autorisés à acquérir des logiciels espions. Elle passe de 102 à 37 pays répondant aux standards démocratiques. Ironie de l’histoire: quelques mois avant les révélations de Forbidden Stories, la France était en négociation pour acquérir le logiciel Pegasus.
Par Thierry Oberlé