Puissance et gloire, mais aussi richesse. Fondée au début du XIX e siècle, la maison a brillé dans l’Histoire. Elle a aussi alimenté au fil des années tous les thèmes antisémites.
Le nom évoque à coup sûr la fortune, l’influence… et la longévité. Synonyme pour le commun des mortels d’opulence bien née, il ouvre les portes de l’Histoire, du temps où l’Europe régnait encore sur le monde. Nous sommes au début du XIX e siècle. Mayer Amschel Rothschild (1744-1812), né à Francfort-sur-le-Main, pose les jalons de ce qui va devenir une formidable aventure humaine et financière.
Les Rothschild sont connus depuis belle lurette. En 1570 déjà, le patronyme existe dans une petite rue du vieux Francfort occupée par la communauté juive. Celle-ci a pour habitude d’adopter le nom de la demeure où l’on réside, faute d’état civil. Le nom allemand « Zum roten schild » (« À l’enseigne rouge ») colle à la maison bourgeoise du passé : va pour Rothschild, un peu plus concis. Les affaires tournent pour le patriarche. Il a hérité d’un petit commerce de prêts sur gage. Un bon début pour passer à la vitesse supérieure et s’ériger en banque reconnue. À l’arrivée, la maison Rothschild finira par gérer la fortune de Guillaume 1er .
Une étoile à cinq branches
Pas de dynastie sans famille nombreuse, qui permet de se démultiplier. Mayer Amschel Rothschild règne sur une tribu de dix enfants, dont cinq garçons. Les cinq branches de ce qu’on nommerait aujourd’hui une multinationale, symbolisées par cinq flèches ornant le fronton de leurs nombreuses résidences européennes. L’argent sert de levier, mais n’en a-t-il pas été toujours ainsi, des Médicis aux Mulliez à travers les siècles ?
Cinq adresses sont ainsi créées à Londres, Paris, Vienne, Naples et Francfort. Cinq places fortes interconnectées avec les moyens de l’époque. Les Rothschild s’imposent avec leur expertise et leurs introductions en haut lieu. En septembre 1822, l’empereur d’Autriche François Ier élève au rang de barons les cinq fils, ainsi que leurs descendants, sans distinction de nationalité. Tout est en place pour rayonner.
Côté filles, l’aînée épouse Benedikt Moses Worms, de la banque Worms, de quoi utilement se renforcer (où l’on retrouve aujourd’hui Bettina et Nathalie Rheims, filles de Maurice Rheims). Les Rothschild prennent place dans l’Histoire. Ils prêtent même au Saint-Siège. Connaît-on famille plus illustre ? En tout cas, toutes ses composantes ne vont pas résister au temps : seules les branches française et anglaise subsistent aujourd’hui, toujours avec faste et ce nom qui vaut toutes les recommandations du monde.
Bâtisseurs, mécènes, banquiers, racontés par Maurice Druon (l’auteur des « Rois maudits »), les Rothschild fascinent. Leur arbre généalogique est long comme la tapisserie de Bayeux. Car ils incarnent le monde des affaires, des secrets, de la puissance due au compte en banque et aux investissements. Ils distillent le doux parfum des avoirs illimités, qui décident de tout, dans une sorte d’aristocratie à l’ancienne mais adaptée au monde moderne.
En Angleterre, ils sont les banquiers de Wellington, le tombeur de Napoléon, de l’Empire britannique tandis qu’Alfred de Rothschild est durant vingt ans l’un des directeurs de la Banque nationale. On finance aussi les conquêtes de Cecil Rhodes (le fondateur de la Rhodésie) en Afrique australe. On devient actionnaire principal de la De Beers et de ses mines d’or en Afrique du Sud. On finance une participation anglaise dans la construction du canal de Suez. Peu de grands projets échappent en fait à la main puissante de la famille ; on aurait presque envie de dire que le soleil ne se couche jamais sur l’entreprise, n’était la dimension physique d’un monde encore limité.
L’histoire leur inflige des épreuves
La vie des Rothschild ne fut pourtant pas un long fleuve tranquille. D’abord parce que toute famille de ce rang connaît aussi ses guerres intestines. Ensuite parce qu’une telle réussite attire des jalousies. Mais c’est surtout l’Histoire qui se charge d’enrayer cette vaste réussite. La révolution de 1848 donne un sérieux coup de semonce. La grande dépression des années 30, de part et d’autre de l’Atlantique, freine fâcheusement les affaires.
Mais la pire épreuve se déclare en 40-45, vu l’origine juive de la famille. En 1938, suite à l’Anschluss, la famille est contrainte d’abandonner ses biens et de fuir l’Autriche. Elle possède plusieurs palaces à Vienne et entretient de bons rapports avec la maison des Habsbourg, mais le vent mauvais de l’antisémitisme souffle et le nom Rothschild constitue une cible tellement visible. Ce n’est qu’en 1999 que l’État autrichien consent enfin à restituer 250 œuvres d’art volées par les nazis et dispersées dans les musées.
En France, ils montent aussi au front, en 1870 contre la Prusse, en 14 et enfin en 40. Guy de Rothschild reçoit la Croix de guerre 39-45. La famille est inquiétée par la politique antisémite du Reich et par la collaboration. Le régime de Vichy confisque ses biens et les Allemands pillent les œuvres d’art. Bien plus tard, et sans aucun rapport, François Mitterrand, au nom de « la lutte contre le grand capital », nationalise la banque à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981.
Aujourd’hui, le nom fait encore rêver mais les héritiers français de Rothschild se classent à la 21 e place des familles les plus fortunées, loin derrière des chefs d’entreprise du CAC 40, comme Bernard Arnault ou François Pinault. Benjamin de Rothschild reste milliardaire avec un pactole estimé à 1,5 milliard de dollars selon le magazine « Challenges ».
Deux grands vins du Bordelais
Les Rothschild ont gagné et fait gagner beaucoup d’argent. Il ne faudrait pas les cataloguer sur ce seul critère. Ils ont aussi aidé des hôpitaux, des musées, des écoles. Ils ont transmis des œuvres d’art à l’État français, au Louvre. En Belgique, on trouve une succursale de Rothschild & Co Wealth Management avenue Louise à Bruxelles. Elle compte ouvrir un bureau à Gand, a annoncé Ariane de Rothschild, présidente du groupe Edmond de Rothschild créé en 1953. Elle se montre active pour séduire les grands patrimoines du pays en organisant une série d’événements pour public trié sur le volet.
Les Rothschild essaiment. Ils sont synonymes de bon goût avec les livres de la médiatique Nadine de Rothschild sur le savoir-vivre. Ils ont leur prix annuel en course hippique chaque été à Deauville. Ils décernent un prix d’art contemporain. La famille possède aussi le Mont d’Arbois, un domaine skiable au-dessus de la très chic Megève, pour clientèle huppée aimant les chalets de haut luxe et les bonnes tables. Enfin, comme toute famille qui se respecte, elle a mis la main sur deux grands crus du Bordelais : le Mouton Rothschild et le Lafite Rothschild. Particularité du premier, il orne ses étiquettes d’œuvres de grands artistes comme Mirò, Chagall, Braque, Picasso, Tàpies, Francis Bacon, Dali, Balthus et même le prince Charles d’Angleterre. Des grands crus signés, ce qui ajoute à la dégustation… et à la renommée.