Sur 55 millions de personnes vivant au Myanmar (Birmanie), une vingtaine seulement sont juives. J’ai rencontré Sammy, le gardien de la synagogue.
Quand je suis allée au Myanmar en 2019, j’étais plutôt loin d’imaginer que j’allais tomber sur une communauté si petite. Ce jour-là, il faisait chaud, les rues grouillaient de monde et l’ambiance était assez intense. Je faisais quelques clichés dans les rues du quartier musulman de Rangoon. Et à ma grande surprise, je suis tombée sur une synagogue. C’est là que j’ai fait la connaissance de Sammy Samuels.
Ça peut sembler difficile de relier les points entre l’histoire du judaïsme et le développement culturel des religions en Asie du Sud-Est, mais ces deux pans se sont bel et bien croisés dans l’histoire contemporaine, pour notamment donner naissance à une micro-communauté d’une vingtaine de personnes.
C’est ici que se situe la seule synagogue qu’il reste au pays, et qui joue un rôle central puisqu’elle permet de consolider la notion de communauté, garder espoir et survivre à tous les fracas politiques que connaît le pays depuis des décennies. Sammy en est le gardien. Aidé par ses deux sœurs et suivant les traces de son père, c’est lui qui préserve la cohésion et tente de sauvegarder ce qu’il reste de l’héritage.
En face de la synagogue, Mohammed Rachid passe ses journées assis devant son commerce. Il est l’une des figures de la communauté musulmane de Rangoun. « Je suis ici depuis presque 40 ans et je n’ai jamais eu de problème, dit-il. Cette synagogue c’est vraiment comme ma deuxième maison ».
Cette bienveillance va au-delà de la simple courtoisie puisque Mohammed et Sammy participent, au même titre, à la préparation de festivités telles que Hannouka, Purim ou le Ramadan. « J’espère que la communauté juive dans les pays européens trouvera un terrain d’entente avec les autres communautés et qu’ensemble, ils pourront construire une meilleure Europe », remet Sammy.
Dans une rue calme, à quarante minutes du centre-ville de Rangoun, il y a la villa de Christina. À la fois moderne et remplie du charme d’antan, sa maison est annexée à son atelier de travail. Christina est assise à sa table à manger, un verre de vin blanc à la main. Derrière elle se trouve sa cuisine où son employée de maison prépare le dîner. Christina est probablement l’une des seules birmanes issue de famille bouddhiste à s’être convertie au Judaïsme – une conversion assez intrigante sachant que les informations concernant cette religion sont, à l’époque, difficilement trouvables en raison du manque de modernité dans le pays. Le Myanmar ne s’est effectivement doté d’internet que très tard et encore aujourd’hui, tout le monde n’y a pas accès.
Elle a donc dû se renseigner par elle-même, via des ami·es juif·ves et certains livres, suite à quoi elle a eu envie d’aller en Israël. « Jamais je n’aurais pensé m’y rendre un jour, dit-elle. Je ne comprenais pas très bien le Judaïsme, mais j’avais un sentiment inexplicable comme quoi je pouvais aimer ça ». En 1999, elle se lance et se rend finalement en Israël. Elle y reste deux ans et demi, naviguant entre bénévolat et petits boulots : « Au départ je m’y rendais pour les vacances, seulement trois mois, mais j’ai fini par prolonger plusieurs fois mon visa. J’ai commencé à étudier l’hébreu et c’est à ce moment-là que j’ai compris ce qu’était le judaïsme. »
Lorsque la religion, quelle qu’elle soit, ne fait pas partie de votre vie dès votre naissance, il est souvent demandé de l’apprendre sous sa forme la plus forte, voire extrême. « J’ai dû suivre une conversion sous la forme orthodoxe, ce qui est vraiment strict, continue Christina. J’ai dû étudier la bible hébraïque, apprendre toutes les règles, comme la façon dont la femme doit se couvrir les cheveux. Pendant deux ans, j’ai dû rester dans une famille religieuse. Comme j’étais jeune à l’époque, je suivais la foi, mais je devais presque prouver que je voulais vraiment devenir juive et que j’y croyais vraiment. »
Sans surprise, elle n’a jamais réussi sa conversion officielle auprès du Grand Rabbin : « Je suis passée peut-être huit fois devant lui avant d’abandonner. C’était toujours la même chose : “Tu veux devenir juive parce que ton compagnon est juif ? Tu veux te marier ? Tu veux devenir citoyenne d’Israël ?”. Non, je crois simplement en la foi juive… »
Très vite, Christina rentre chez elle et rejoint la communauté juive de son pays dont elle fait désormais partie intégrante. Elle la décrit d’ailleurs comme une sorte de société et non comme un groupe purement religieux. Au-delà de la religion, plusieurs questions restent cependant en suspens : comment sa conversion a été acceptée par sa famille et son entourage, par exemple ? « Mon père était cool avec ça, mais certains de mes ami·es proches ne le comprennent pas, confie Christina. J’ai grandi dans une communauté bouddhiste donc c’est compliqué pour mes proches de comprendre la raison de ma conversion. D’ailleurs ils ne savent pas vraiment ce qu’est le Judaïsme. »