Éric Zemmour aura été à n’en point douter l’homme du début de campagne, alors qu’il n’est toujours pas officiellement candidat (même si cela ne saurait tarder, surtout pour des raisons fiscales).
Le nouveau procès en correctionnelle qui s’est tenu hier et cette nuit, à la suite de ses propos sur les mineurs étrangers, n’y changera rien.
Mais depuis quelques jours, Eric Zemmour stagne dans les sondages et voilà qu’il est déjà donné battu, fini, politiquement mort, par de nombreux observateurs. Selon nous, le polémiste a atteint le pallier maximal qu’un non-candidat pouvait espérer : jamais dans l’histoire politique française, une personnalité inattendue n’avait été donnée au second tour de la présidentielle dans un délai si court. Même Emmanuel Macron, qui s’est déclaré candidat il y a cinq ans jour pour jour, le 16 novembre 2016, n’avait atteint les 15% d’intentions de vote que quinze jours après sa déclaration de candidature. Il faut dire qu’à cette époque la primaire de la droite battait son plein, et François Hollande n’avait pas encore annoncé son renoncement à conquérir.
Pourquoi Zemmour stagne-t-il et baissera-t-il certainement jusqu’à sa déclaration de candidature ? Principalement parce que, pour le moment, il veut « tuer » politiquement Marine Le Pen. Il est convaincu que le recentrage idéologique, l’« UMPSisation » de la candidate RN l’a coupée de son électorat populaire. Séduire la droite de la droite est la priorité du moment pour Eric Zemmour, ce qui exige une radicalisation extrême de ses positions. Autant sur le fond que sur la forme. Zemmour est convaincu qu’il doit droitiser à mort sa campagne pour gagner le match du premier tour. On le sait, dans une France de plus en plus à droite, le scrutin du 10 avril 2022 se joue à droite. On connaît déjà le candidat du centre : il est à l’Elysée. Quant à la gauche, inutile d’enfoncer davantage des morts vivants.
Ces outrances prouvent, s’il en était besoin, qu’Eric Zemmour, bien qu’il le réfute, tout comme Marine Le Pen, est bien d’extrême droite : il occupe cet espace de l’échiquier politique et prône un nationalisme identitaire et nostalgique d’une France qui n’existe plus et qui n’existera plus jamais.
Sauf qu’Eric Zemmour n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : ses outrances sur Vichy et sur les dreyfusards, son mono-discours sur l’immigration ont troublé l’électorat plus bourgeois de la droite. Beaucoup de Français ont été choqués (le mot est faible) par ce révisionnisme historique d’une radicalité que les décolonialistes racialistes et indigénistes, autres ardents révisionnistes, lui envieraient volontiers. La baisse (légère) d’Eric Zemmour dans les sondages provient probablement des citoyens de droite plus centriste, sensibles dans un premier temps à son courage politique, à l’absence de LR encore en campagne interne, mais tout aussi attachés aux principes républicains et à une certaine morale politique.
Les outrances verbales du polémiste (ce substantif lui va de mieux en mieux) vont donc continuer. Pour deux autres raisons : elles fondent et font le personnage. Zemmour n’est jamais meilleur que lorsqu’il exagère, polémique et attaque comme un doberman ou un pitbull. Il n’hésite pas à s’en prendre aux personnes, comme on l’a vu avec ses attaques ad hominem contre François Hollande sur l’échec de la lutte anti-terroriste. Il a osé, même devant le Bataclan et le jour même du 13 novembre, renouveler ses accusations. Bref, ses rivaux sont prévenus : no limit pour Zemmour !
Le candidat de cette colère française… et des gilets jaunes « historiques »
Mais ces outrances, aussi choquantes soient-elles, sont aussi l’écho assourdissant des échecs de nos gouvernants depuis trente ans sur les trois enjeux clé (la question sociale, la question identitaire, la question sécuritaire). Cette colère française a littéralement explosé avec le mouvement des gilets jaunes jusqu’à son épuisement dans une récupération scandaleuse par l’extrême-gauche. Cette pause, imposée aussi par la crise du Covid, ne doit pas nous faire oublier que la marmite (made in) France pourrait exploser à nouveau.
En 2022, à quel degré de rupture sommes-nous entre les Français et le monde politique ? L’exaspération, la colère de nos concitoyens, nul ne peut l’évaluer électoralement, surtout pas les sondages, mais Eric Zemmour est convaincu (et nous le craignons fortement) qu’il est en phase avec ces Français en colère, peut-être avec LES Français : celles et ceux « d’en bas » (quel mépris a habité l’auteur de ces propos), des ronds-points, cette France qui se lève tôt, qui trime dans l’angoisse des fins de mois, ces premiers de cordée qui ont sauvé la France pendant la crise du Covid.
Zemmour est peut-être en phase avec cet électorat populaire qui se fiche bien (à tort certes) des questions historiennes et qui, depuis trois ans, se cherche un porte-parole. Les gilets jaunes ont-ils trouvé leur porte-voix en la personne d’Eric Zemmour ? Nous sommes convaincu que, parmi les premiers occupants des ronds-points de France il y a trois ans, beaucoup sont heureux de l’avoir trouvé.
Bref, une deuxième lame de fond dégagiste est peut-être en train de se former. Ou plutôt une réplique terrible du tremblement de terre du 17 novembre 2018 : qui, d’ailleurs, parmi les candidats à la présidentielle, s’est-il adressé aux gilets jaunes en ce jour anniversaire des trois ans du déclenchement du mouvement qui a secoué la France et mis ses centres villes à terre ? Eric Zemmour dans une adresse aux gilets jaunes sur Youtube.
Son grand écart risque de briser Zemmour
Le problème est que, ce faisant, Eric Zemmour risque de perdre définitivement l’électorat bourgeois des classes moyennes qui, dès le lendemain du congrès de désignation de leur candidat par les 150.000 électeurs de LR tout début décembre, risquent de voter LR par peur de l’ogre Zemmour et de lui barrer la route du second tour de la présidentielle. Son erreur mortelle est peut-être de penser que ce sera au second tour, s’il y parvient, qu’il devra recentrer sa campagne et rassurer (un peu) les bourgeois (qu’il a annoncé vouloir aussi conquérir).
Nous en sommes encore bien loin parce que, depuis que Marine Le Pen reprend du poil de la bête (un intéressant sondage de Sud Radio donne Le Pen plus crédible qu’Eric Zemmour), le duo infernal Le Pen – Zemmour redonne un sérieux espoir pour Les Républicains de griller les deux rivaux d’extrême-droite et de passer devant eux au soir du premier tour. Sur le fil.
Et puis enfin Eric Zemmour ne se trompe-t-il pas sur le peuple français ? Nous ne sommes pas les Américains, habitués à entendre tous les jours les propos les plus racistes et violents (le Ku Kluxx Klan y a pignon sur rue). Trump a conquis l’Amérique parce que la liberté d’expression, d’outrance, de démagogie, y est bien plus grande qu’en France.
Ces provocations sont peut-être en train de semer le doute dans l’esprit des Français, même de droite, sur la capacité de Zemmour à être autre chose qu’un polémiste. Certes, les Français savent qu’ils ne pourront envoyer à l’Élysée un nouveau de Gaulle ou même un François Mitterrand (non, ce ne sera pas dame Hidalgo !), mais ils attendent tout de même un minimum de hauteur et de stature de celui qui les représentera pour cinq années. En France le champ politique n’est quand même pas un comptoir de bistrot. Même si on y apprend énormément !
Se lasse-t-on déjà de Zemmour ? Le spectacle zemmourien est monocorde et affreusement répétitif. Les Français ont compris le message. Ils sont nombreux à l’approuver, mais ils commencent à se lasser, du message comme du personnage. D’ailleurs dans sa même adresse aux gilets jaunes sur Youtube, trop longue, presque ennuyante, on a vu plus le rhéteur polémiste que l’homme politique.
Éric Zemmour est à un tournant de sa campagne. Dans quelques jours il va se déclarer. S’effondrera-t-il ? Ou prendra-t-il une avance décisive dans cette deuxième phase de l’ascension vers l’Elysée ? La France, c’est un peu le Mont-Blanc !
Michel Taube