Ok pour les faux cheeseburgers, mais le « porc » d’Impossible Foods a, lui, été tout simplement trop difficile à digérer pour une autorité de certification.
Cela ressemble à du porc, sent comme du porc, et a même le goût du porc — mais n’appelez pas cela du porc.
L’arrivée de la fausse viande d’origine végétale a élargi les horizons culinaires de nombreux juifs pratiquants ces dernières années. Les faux cheeseburgers ont soudainement fait leur apparition sur les menus des restaurants casher sans enfreindre l’interdiction de mélanger produits laitiers et viande. Manger des frites au fromage ou au chili est ainsi devenu possible.
Dans ces conditions, le faux porc d’Impossible Foods allait-il être en mesure d’obtenir à son tour une certification casher ? Selon le rabbin Menachem Genack, directeur général du plus grand groupe de certification casher au monde, OU Kosher, le simple mot « porc » a été trop difficile à digérer. Plus tôt cette année, son conseil d’administration a voté contre la demande de certification casher déposée par ses créateurs pour Impossible Pork.
L’importance d’OU Kosher, un organisme membre de l’Union orthodoxe, l’une des principales organisations de la communauté juive religieuse américaine, pourrait rendre sa décision de rejet difficile à ignorer pour les autres organismes de certification casher — même si l’OU a déclaré qu’il pourrait lui-même réexaminer sa décision à l’avenir.
Alors que de nombreux animaux sont considérés comme n’étant pas casher — dont beaucoup de mammifères, la quasi-totalité des insectes, tous les reptiles, les mollusques et crustacés, liste non exhaustive — les juifs ont une relation particulièrement difficile avec le porc.
La Torah interdit aux juifs d’en manger parce qu’ils ne ruminent pas, ce qui influe sur la façon dont il digère et se nourrit. Certains érudits juifs avancent l’idée que l’interdiction est due aux habitudes de l’animal, qui mange pratiquement tout. Selon les historiens, d’autres cultures anciennes du Proche-Orient, dont l’islam, s’abstiennent aussi de consommer du porc pour la même raison.
A plusieurs époques de l’histoire, des auteurs de persécutions à leur encontre, allant des Grecs de l’Antiquité aux nazis en passant par les chrétiens du Moyen-Âge, ont utilisé le porc comme une mise à l’épreuve pour les juifs — préféreraient-ils risquer la mort ou enfreindre leur loi ? C’est pour eux une idée difficile à surmonter, selon le rabbin Genack, pour lequel « les gens réagissent très fortement au mot “porc” ».
Chanie Apfelbaum, une blogueuse new-yorkaise spécialisée dans l’alimentation casher et auteur de livres de cuisine, indique qu’elle n’a eu aucun problème à manger des cheeseburgers Impossible, mais, ajoute-t-elle, « j’ai du mal à surmonter l’idée de manger quelque chose qui s’appelle “porc” et qui est censé avoir le goût du porc ».
L’interdiction de manger du porc a longtemps été un pilier pour les communautés juives du monde entier, cimentant leurs liens sociaux. La popularité croissante des fausses viandes représente donc un défi, explique David Zvi Kalman, chercheur résident et directeur des nouveaux médias à l’Institut Shalom Hartman d’Amérique du Nord à New York, qui se consacre aux études et à l’éducation juives. « C’est probablement la décision la plus importante pour le judaïsme au XXIe siècle », souligne M. Kalman en parlant de la décision de l’OU concernant Impossible Pork.
Son concurrent Beyond Meat explique qu’il n’a pas encore demandé la certification casher pour son Beyond Pork, qui, selon lui, a été créé pour le marché chinois et n’est disponible pour le moment que dans ce pays.
« Nous devrons voir comment cela va se passer », affirme Chaim Fogleman, directeur de la communication chez OK Kosher, un autre groupe de certification casher basé aux Etats-Unis, qui a approuvé les autres produits de Beyond Meat mais n’a pas encore été sollicité pour certifier Impossible Pork.
Michael Eisenberg, cofondateur de la société de capital-risque Aleph, basée à Tel Aviv, indique que la question du faux porc est un exemple des problèmes auxquels sont confrontées les autorités de réglementation lorsqu’elles utilisent des lois anciennes pour répondre à des questions concernant des avancées technologiques.
Dennis Woodside, président d’Impossible Foods, assure que l’entreprise va poursuivre le dialogue avec les groupes de certification des aliments casher. Bien que le marché cible d’Impossible Pork soit celui des personnes qui mangent déjà du porc, il précise que l’entreprise voulait être présente « partout, sur tous les marchés du monde ».
Le rabbin Genack, d’OU Kosher, pense que les opposants pourraient un jour se raviser et permettre au faux porc d’être certifié casher. « Ce n’est pas une décision fondée sur la halakha…. Nous pouvons la réexaminer », déclare-t-il. Cette sentence a été prise en raison des réactions émotionnelles qu’avaient eues par le passé certains consommateurs casher face à des produits à base de « porc », — qui n’en contenaient pas non plus de vrai — et avaient été certifiés casher.
Les autorités casher de l’Etat israélien n’ont pas pris position sur les produits d’Impossible Foods ou de Beyond Pork, mais elles pourraient adopter les certifications OU Kosher et OK Kosher. Les autorités israéliennes de réglementation de la cacherout, appuyées par l’Etat, ont récemment obligé des restaurants de Jérusalem à remplacer le mot « bacon » par « facon » sur les menus , pour les produits à base de viande sans porc.
Tzvi Maller, propriétaire de Crave, un restaurant certifié casher, a déclaré qu’il avait dû remplacer les mentions « bacon d’agneau » par « facon ». Il a expliqué aux rabbins que de nombreux produits fabriqués aujourd’hui à partir de bœuf, de dinde, d’agneau et même de champignons étaient appelés bacon, dès lors qu’il s’agissait de fines lamelles ayant subi une salaison et un fumage. Maller tient à souligner que le dictionnaire en ligne Merriam-Webster soutient cette utilisation plus large du terme, mais qu’à titre personnel, il n’a jamais été autorisé à présenter cet argument.
Les autorités casher de Jérusalem ont déclaré dans son dossier qu’elles répondaient à des plaintes de clients mécontents de voir qu’un produit appelé bacon était servi dans des restaurants certifiés casher. Maller compare ce problème à celui du cheddar de ses steakburgers, qui est un fromage végétal, identifié comme tel. Lorsqu’il est écrit « bacon d’agneau », avec quoi suppose-t-on qu’il est fait ?, ajoute-t-il.
Les inspecteurs n’ont pas réceptifs à son argumentation, souligne-t-il M. Maller. « Tout le monde peut dire “non”. Mais pour être tolérant par rapport à une opinion, il faut une réelle sagesse, assène-t-il, faisant allusion à une expression tirée d’un texte religieux juif. Ils ont choisi la voie de la facilité. »