Son approche pragmatique pour traiter des problèmes psychiatriques comme la dépression, l’anxiété ou les troubles alimentaires, a profondément changé la psychothérapie du XXe siècle.
Le «père» des thérapies cognitives pour le Guardian, un pionnier pour la BBC, un révolutionnaire pour USA Today... La presse anglo-saxonnes revient longuement sur la mort d’Aaron Temkin Beck, fondateur de la thérapie cognitive, décédé ce 1er novembre à l’âge de 100 ans. Né le 17 juillet 1921 à Providence (Nouvelle Angleterre), le psychiatre est mort à son domicile, à Philadelphie, où il avait été un éminent professeur à l’Université privée de Pennsylvanie. Resteront de ce diplômé de grandes universités, Brown et Yale, la centaine d’articles et la vingtaine de livres qu’il a écrits ou coécrits autour de son approche pragmatique de la psyché grâce aux thérapies cognitivo-comportementales (les TCC), mais aussi sur les douleurs chroniques, la colère et l’amour. Son credo: une personne peut influencer ses idées et ses pensées.
Aaron Beck est mort. A l’origine des #thérapies #cognitives, il a amélioré la vie de centaines de millions de personnes. En France, on attend encore que ses découvertes diffusent dans tous les cabinets de #psychologie et #psychiatrie https://t.co/r57yJB8zOt @Sante_Gouv
— Franck Ramus 💉💉 (@FranckRamus) November 1, 2021
«Il y a plus à la surface»
Le psychiatre américain aux nœuds papillon a révolutionné sa discipline à la fin des années 50. Alors que l’enfance, ses souvenirs refoulés et les actes manqués nourrissaient la psychanalyse mise au point par l’Autrichien Sigmund Freud, Aaron T. Beck s’est intéressé aux pensées négatives formulées par ses patients. Il était persuadé que le regard porté sur une situation particulière, ce qu’il qualifiait de «pensées automatiques» ou de «croyances autodestructrices», pouvait évoluer. Les phrases comme «je n’ai pas de chance en amour», «je ne peux pas ne pas boire d’alcool en soirée», «mon patron me déteste» ou «mon partenaire ne s’intéresse pas à mes besoins» étaient pour lui des «distorsions de la réalité» et des hypothèses non-vérifiées.
Il donnait donc des devoirs à ses patients et leur demandait de faire des expériences dans leur quotidien, pour confirmer ou infirmer ces hypothèses. Par le biais de ces preuves et nouveaux souvenirs, le dialogue interne, l’humeur de ses patients et la perception d’eux-mêmes se modifiaient. Les prémices de la thérapie cognitivo-comportementale, ou TCC, étaient nées, soit une bascule du profondément enfoui à l’émergent. «Il y a plus à la surface qu’il n’y paraît», répétait Aaron T. Beck.
«Mon père a dédié sa vie au développement et aux tests de traitements pour améliorer la vie d’innombrables personnes dans le monde qui font face à des problèmes de santé», a réagi Judith Beck, sa fille et présidente de l’institut Beck qui a formé depuis 1994 plus de 25 000 professionnels de santé dans le monde. «Il a réellement transformé le champ de la santé mentale», ajoute-t-elle. Les travaux de son père ont en effet permis de traiter différemment les personnes souffrant de dépression, d’anxiété, de crises d’angoisse, de troubles alimentaires ou de la personnalité, de dépendances, d’insomnie ou encore de troubles obsessionnels compulsifs.
Tester les pensées
«Tim», comme le surnommaient ses proches, était le troisième d’une fratrie de quatre enfants. Fils d’immigrants juifs russes, son père était imprimeur et sa mère s’occupait du foyer. Il s’est cassé le bras quand il avait l’âge de huit ans et a développé suite à son opération une grave infection. C’est cet accident et son isolement à l’hôpital pendant un mois qui l’orienteront vers la lecture et l’écriture.
En 1942, il sort diplômé de l’Université de Brown avec une mention honorifique et intègre l’Université de Yale pour poursuivre ses études en médecine. «Il était encore en formation à l’Institut psychanalytique de Philadelphie (aujourd’hui le Centre psychanalytique de Philadelphie) – qu’il quittera en 1958 – lorsqu’il commença à avoir des doutes sur la base scientifique de la thérapie par la parole ouverte de Freud», écrit le New York Times. La suite? Une de ses patientes craignant de l’ennuyer lui a demandé de s’asseoir en face d’elle pour qu’elle puisse voir ses réactions. Une disposition qui l’a entraîné à lui poser plus de questions et à écouter ses réponses différemment.
Ce n’est qu’en 1954, après avoir cherché en vain une base empirique aux idées de Freud, qu’il commence à se concentrer sur «la pensée des patients dans l’ici et maintenant», note le quotidien américain. Sa femme Phyllis W. Beck, épousée en 1950, deviendra sa «testeuse», tandis qu’il travaille sur ses théories encore incertaines. Ce sera aussi la première femme à siéger à la Haute Cour de Pennsylvanie.
Ses travaux n’ont pas été reconnus par l’ensemble de ses pairs. Les partisans de l’approche freudienne lui rétorquaient qu’il n’avait pas été «bien analysé» et que ne se comprenant pas lui-même, il ne pouvait pas comprendre l’autre. Les adeptes des traitements médicamenteux soulignaient eux que les effets de ses thérapies restaient moindres que ceux des molécules chimiques. D’autres encore lui reprochaient de se concentrer sur les conséquences, en se félicitant d’avoir provoqué un changement d’humeur ou de comportement, plutôt que d’avoir traité les causes.
Aaron Beck, père fondateur des thérapies cognitives et comportementales est décédé.
Choquant mais finalement assez révélateur du retard en psychiatrie et de la méconnaissance des médias, pas un article dans la presse française ne mentionne cette triste nouvelle… #mentalealth https://t.co/vPXtcddfAo— Josiane Bonadonna (@JosianeBona) November 1, 2021
Les preuves avant tout
Ses techniques cognitivo-comportementales, faciles à étudier, à comprendre et à empoigner, se sont répandues dans le monde entier dans les années 90. Sa méthode est «simple et prosaïque», résumait-il en 2000 dans un article du New York Times. En 2017, par exemple, il publie «La thérapie cognitive et les troubles émotionnels» dans lequel il écrit concernant les personnes dépressives, chapitre 11, que «parler du malheur et du désespoir ressentis, faire exprimer la colère, sont des méthodes qui semblent souvent exacerber la dépression des patients; l’acceptation de leur image de soi dévalorisée et de leur pessimisme ne fait qu’augmenter la tristesse, la passivité et l’autocritique.»
Plutôt que d’employer «les méthodes antérieures» d’écoute passive il préconise le questionnement socratique et de «façonner une technique en fonction de certaines caractéristiques du syndrome dépressif et de la personnalité du patient.» En 1967 déjà, dans le premier chapitre de son livre «Dépression: causes et traitement», il appelait à valoriser les faits plus que le ressenti. «Il existe un contraste étonnant entre l’image que la personne déprimée se fait d’elle-même et les faits objectifs, écrivait-il. Un homme riche craint de ne pouvoir entretenir ses enfants. Une femme à la beauté acclamée est convaincue d’être laide. Et un éminent physicien se trouve idiot.»
Pour Aaron T. Beck, les preuves l’emportent toujours sur l’opinion. En 1976, il donnera même son nom à une «triade cognitive», un outil développé dans son livre «Psychologie: pensée, cerveau et culture» qui permet de déceler les pensées négatives qui surviennent lors d’une dépression, et de développer celles qui sont tournées vers l’estime de soi, vers le monde ou son entourage, puis vers l’avenir.
Ces dernières années, le psychiatre se concentrait sur les personnes toxicomanes et celles atteintes de schizophrénie. Selon lui, oubliées de la psychothérapie, elles sont certaines d’échouer et adoptent des «attitudes et attentes défaitistes», disait-il au Times en 2009. Selon l’institut Beck, plus de 2000 études ont démontré l’efficacité des thérapies cognitivo-comportementales.
Des thérapeutes du monde entier se rendent dans cet institut pour se former. Comme le souligne le New York Times, «des organisations de santé mentale comme la National Mental Health Association recommandent la thérapie cognitive, car c’est l’une des rares formes de psychothérapie étudiées dans le cadre d’essais cliniques à grande échelle».