Officiellement intronisé en octobre, Daniel Dahan est le nouveau grand rabbin de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Chargé d’animer la communauté juive du territoire estimée entre 35 000 et 40 000 personnes, il veut créer des liens entre les fidèles, rapprocher les générations et ouvrir le judaïsme sur l’extérieur.
Du fait de la crise sanitaire, vous avez été intronisé grand rabbin plus d’un an après votre élection. Qu’avez-vous ressenti lors de la cérémonie qui s’est déroulée dans la grande synagogue du quai Tilsitt ?
Daniel Dahan :« C’était très émouvant. Il y avait beaucoup de monde : ma famille, des rabbins, des amis proches venus de différentes villes du pays, des élus, l’archevêque de Lyon, des représentants du culte musulman et des différents cultes protestants…Dans ces moments-là, on a besoin de se sentir entouré. Alors, oui, il y avait de l’émotion, beaucoup d’émotion. Mais ce n’était pas guindé pour autant. Un jour, un ami m’a dit : “La vie est trop triste pour que l’on n’en rigole pas.” On a besoin de mettre de l’humour et de la plaisanterie dans ce que l’on fait.
Quelles sont vos priorités depuis votre élection ?
Il y a d’abord la jeunesse. Je veux réorganiser l’enseignement religieux, ce qu’on appelle le Talmud Torah. Nous avons deux écoles à Villeurbanne, mais nous souhaiterions en développer une troisième plutôt axée sur le centre et l’Ouest lyonnais. Ensuite, je veux aller à la rencontre de toutes les couches de la communauté. C’est la première fois que le grand rabbin est élu par toutes les communautés de la région. Avant, c’était Tilsitt, l’ancien siège du grand rabbinat, qui choisissait. Je veux donc aller à la rencontre de tout le monde, notamment pour shabbat. J’ai prévu de me rendre à Annecy, Grenoble, Annemasse, Roanne, etc. Mon but aujourd’hui est aussi de favoriser la synergie du corps rabbinique qui est de qualité et qui est importante dans la région. Je veux créer un site internet du grand rabbinat, où des enseignements pourront être délivrés chaque semaine par différents rabbins du territoire. En d’autres termes, passer au XXIe siècle !
Dans quel état avez-vous trouvé la communauté juive à votre arrivée ?
Comme toutes les communautés, elle a été un peu traumatisée par la Covid. Aujourd’hui, je sens une envie de vivre, de croquer la vie à pleines dents. Les jeunes n’en pouvaient plus, ils voulaient retrouver les mariages, les fêtes. Vous savez, nos offices sont très conviviaux. Quand on parle de silence religieux, on ne parle pas de la synagogue, mais plutôt d’autres cultes. Venez dans une synagogue, c’est punchy ! Les rabbins sont tout le temps en train de dire : “Un peu de silence, s’il vous plaît ! On ne s’entend plus prier !”
Qu’en est-il du sentiment et des manifestations d’antisémitisme dans la région lyonnaise ?
Je dis souvent que la communauté juive est le baromètre de la société. C’est historique : dès qu’on s’en prend aux juifs, cela veut dire que, quelque part, c’est le commencement de la fin. S’en prendre à la communauté juive de manière institutionnelle, c’est une manière de s’en prendre à tout ce qui fonde la société occidentale : la liberté, la démocratie, la liberté de culte, de penser et de la presse… Et on l’a bien vu quand les terroristes ont attaqué Charlie Hebdo, ils ont aussi attaqué l’Hyper Cacher. C’est un symbole. Au niveau de l’agglomération, le sentiment d’antisémitisme est très variable en fonction de là où vous habitez. Si vous êtes dans les beaux quartiers, tout se passe bien ; mais quand vous allez dans des lieux où il y a des problèmes de sécurité, la communauté juive est impactée en premier lieu. Avec l’épidémie, tout a été mis en berne et pourvu que cela dure à ce niveau-là. Nous avons parfois des agressions ou des tags, mais aujourd’hui, il n’y a pas de signaux alarmants.
Nous allons rentrer dans une période de campagne présidentielle. Quel message allez-vous porter à ce niveau ?
Tout d’abord : “Allez voter.” C’est primordial. Si l’on veut changer la société, il faut voter. Et voter intelligemment, c’est-à-dire pour les partis républicains et non les extrêmes. Il ne faut pas être perméable aux discours d’exclusion et de haine.
Se pose inévitablement la question d’Éric Zemmour. « La seule différence entre Éric et moi, c’est qu’il est juif », estime Jean-Marie Le Pen. Que pensez-vous de lui ?
Éric Zemmour est un monsieur brillant. Certaines choses qu’il dit suscitent la réflexion, d’autres hérissent le poil. Pour l’instant, il n’a pas posé sa candidature, on en parlera au moment venu.
Mais, s’il se présente, vous opposeriez-vous à lui ?
On en reparlera le jour où il présentera sa candidature. Mais, pour moi, tout ce qui est excessif est petit. L’excès n’est jamais bon. On peut être provocateur, attirer l’attention de la société sur des problématiques qui sont vraies et qui sont passées sous le tapis, mais il y a des limites à ne pas franchir. Et vous remarquerez que l’extrême droite et l’extrême gauche se rejoignent dans leur antisémitisme et leur antisionisme.
Vous avez évoqué la présence de différents représentants religieux lors de votre intronisation. Comment se traduit le dialogue interreligieux à Lyon ?
Il y a des discussions avec toutes les grandes religions institutionnalisées à Lyon et des groupes de partage réunis sous l’égide de la Ville. Le dialogue interreligieux est très important. Je ne dis pas qu’il va résoudre tous les problèmes, mais il permet d’aplanir bon nombre de difficultés. Nous sommes aussi en train de mettre en place un Prix concorde et solidarité pour promouvoir localement le dialogue entre les religions au niveau des jeunes.
Quel est son but ?
L’idée est que les jeunes des différents cultes puissent échanger. Vous savez, quand vous connaissez l’autre, cela fait tomber les barrières et évite beaucoup de problèmes. C’est plus facile de rester enfermé, la vraie difficulté c’est de s’ouvrir. Mon maître, le grand rabbin Emmanuel Chouchena (rencontré au séminaire israélite de France à Paris, NDLR) m’a beaucoup apporté. Il disait toujours : “Lorsqu’on est fort, on s’ouvre. Lorsqu’on se ferme, c’est un signe de faiblesse.” Quand vous êtes fort dans votre savoir, dans votre culture et dans votre vécu religieux, vous n’avez pas peur de l’autre. Au contraire, l’autre n’est pas une source de crainte mais d’enrichissement. On peut apprendre de tout homme.
Avez-vous des projets pour les prochains mois ?
Oui, j’aimerais développer des groupes de travail pour impliquer les jeunes dans l’animation des communautés juives de la région. Le meilleur moyen de les faire participer, c’est de leur donner des responsabilités. Nous devons impliquer toutes les composantes de la communauté. Les aînés forment notre mémoire : il faut les écouter, les valoriser. La jeunesse est notre avenir. On doit créer des passerelles entre les deux pour construire notre présent. Et pour bâtir un présent apaisé, il faut aussi essayer de construire des passerelles entre les hommes, les cultures et les générations. C’est ça que je veux faire. J’aimerais être un homme de passerelles.
Mon déjeuner avec Daniel Dahan
Il est déjà là lorsqu’on franchit la porte du Comptoir 43. Daniel Dahan nous a donné rendez-vous dans le 6e arrondissement, à quelques pas du parc de la Tête d’Or, dans un restaurant casher animé et sans prétention. Malgré l’affluence et l’impossibilité de réserver, l’homme de foi est parvenu à se faire une place proche de la baie vitrée. Dans le brouhaha des convives, le grand personnage — « 1,95 mètre sans le chapeau ! » — revient sur son parcours, parfois avec émotion, et souvent en dégainant des citations de penseurs et de « maîtres » l’ayant guidé. L’ancien grand rabbin d’Aix-en-Provence a décidé de prendre à bras le corps son nouveau sacerdoce, remplaçant Richard Wertenschlag, installé depuis pas moins de 45 ans. « Je vis cela comme un challenge, une possibilité de donner le meilleur de moi-même, de mettre au profit de la communauté l’accumulation de mes savoirs et expériences », souligne-t-il. Entre ses réponses, il marque une pause à plusieurs reprises pour s’assurer que notre plat nous convient.
Accro au café et à la lecture. Au milieu du déjeuner, son regard s’assombrit lorsqu’il évoque l’enterrement d’un enfant noyé par accident auquel il a dû assister quelques jours plus tôt. « Il y a des choses auxquelles on ne peut pas donner de sens, glisse le grand rabbin, lui-même père de famille et grand-père. Parfois la plus grande des sagesses, c’est de se taire. On n’est pas obligé de parler de tout, d’avoir réponse à tout. » Hésitant à prendre un dessert, il sera beaucoup plus décidé quant au café : « C’est un peu comme une drogue », s’amuse-t-il. Mais à bien y réfléchir, il y a bien autre chose à laquelle il est encore plus accro : les livres et les revues que ce passionné d’histoire et de biographie dévore sans relâche. En partant, Daniel Dahan nous accompagne sur une partie de notre chemin. Tout en marchant, il évoque l’histoire de ses parents, ses origines juives marocaines et Israël où il espère pouvoir retourner bientôt.
Comptoir 43, 43 rue Boileau, Lyon 6e