Pour l’historien Georges Bensoussan, si le caractère antisémite du meurtre de Mireille Knoll était avéré, cette affaire illustrerait la résurgence d’un «nouvel antisémitisme», longtemps tabou.
LE FIGARO. – Le procès des meurtriers présumés de Mireille Knoll s’est ouvert ce mardi. La justice devra notamment déterminer si l’appartenance de cette octogénaire à la communauté juive est l’une des raisons du crime. Qu’attendez-vous de ce procès?
Georges BENSOUSSAN. – J’attends que l’on fasse la lumière sur le mobile du crime. Est-ce un crime crapuleux uniquement? Est-ce un crime antisémite? Ou est-ce un crime qui mêle les deux dimensions? Dans ce cas de figure, l’affaire ressemblerait à celle de Sarah Halimi, qui est à la fois un délire psychiatrique et un crime crapuleux tout en ayant un mobile antisémite. Mais, pour l’heure, la motivation des deux criminels présumés est incertaine, d’autant que tous deux se rejettent la faute l’un sur l’autre.
Ce procès intervient sept mois après que la Cour de cassation a confirmé l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi. Mais peut-on vraiment établir un parallèle entre ces deux affaires?
L’affaire Halimi est un gâchis judiciaire monumental au regard de la façon dont l’instruction a été menée – sans reconstitution – et l’absence de débat contradictoire. Dans cette histoire tragique, l’arrière-fond antisémite est clairement évident à la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de novembre 2019. Cette personne, pas forcément dérangée psychiatriquement, selon nombre d’expertises, a eu une bouffée délirante après avoir consommé du cannabis, puis est passée à l’acte quand elle a vu des symboles juifs chez Sarah Halimi.
Le cas du meurtre de Mireille Knoll est différent. D’emblée, il y a eu un émoi considérable dans la presse, comme si on avait voulu rattraper le silence qui s’était installé après l’assassinat de Sarah Halimi. Il a fallu près de deux semaines avant que la presse ne se mobilise vraiment sur cette affaire. A-t-on affaire à deux crapules qui tuent une vieille dame pour lui soutirer de l’argent? L’ont-ils tuée en raison de son judaïsme? Le procès le dira. Mais si la dimension antisémite était avérée, la symbolique serait forte: cette femme a échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv’ pour ensuite tomber sous la coupe des «nouveaux antisémites».
Vous avez été l’un des premiers à mettre en lumière la question du «nouvel antisémitisme» dans Les Territoires perdus de la République, en 2002. Ce sujet est-il encore d’actualité? La dérive que vous décrivez dans cet essai reste-t-elle taboue dix-neuf ans plus tard?
C’est toujours d’actualité car il s’agit d’une imprégnation culturelle importée par l’immigration et transmise dans certaines familles. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’antisémitisme endogène français, à l’extrême droite notamment. Certes, ce sujet n’est pas aussi tabou qu’il y a deux décennies, mais il a fallu 16 juifs morts pour que l’on en prenne la mesure. Il y a eu la disparition d’Ilan Halimi, l’Hyper Cacher, les meurtres perpétrés par Mohammed Merah, etc. Il est nécessaire de désigner le mal pour l’endiguer.
Peut-on encore parler de «nouvel antisémitisme»? N’est-ce pas, plutôt, une forme d’antisémitisme lancinant que l’on a refusé de voir pendant des années?
Oui, par lâcheté, on a refusé de le regarder en face. Le silence qui a été imposé à l’opinion française a d’ailleurs ouvert un boulevard à tous les extrémistes. Pourtant, dès la guerre du Golfe, dès Khaled Kelkal il y a vingt-cinq ans (un terroriste islamiste responsable de la vague d’attentats commise en France durant l’été 1995, NDLR), on avait la preuve, chez lui, d’une radicalisation islamiste couplée à un antisémitisme virulent. Il suffit de relire la presse de l’époque pour s’en rendre compte. Ce déni de réalité n’a fait que nourrir l’antisémitisme, dans la mesure où les antisémites se voyaient comme impunis, ils n’étaient jamais désignés et l’on se contentait de formules creuses, de «condamner le retour des années sombres» et «la bête immonde» pour éviter de mettre en cause une partie de la population immigrée ou descendante d’immigrés du monde arabo-musulman, dont les préjugés antisémites sont forts.
De quels «préjugés antisémites» parlez-vous?
Dans le monde arabo-musulman, les Juifs ont longtemps vécu dans une forme de crainte et la cohabitation ne s’est jamais vraiment bien passée. D’ailleurs, la quasi-totalité d’entre eux sont partis, il en reste 4000 ou 5000, soit 0,2 % de la population. Mais cela n’explique pas tout, loin de là. Le déracinement que constitue l’immigration est un choc moral qui ne peut qu’aggraver les ressentiments. Dès lors que l’intégration se passe mal, on trouve facilement des boucs émissaires. La communauté juive française, souvent bien intégrée et assimilée, en est devenue un. Le conflit israélo-arabe vient ajouter de l’huile sur le feu, mais n’est pas la cause de cet antisémitisme.
Propos recueillis par Ronan Planchon
Encore un suédois….