Deux hommes comparaissent à partir de mardi pour le meurtre de Mireille Knoll, une vieille dame juive, violemment tuée en 2018. Ils se rejettent la responsabilité du crime.
Sur l’image en papier glacé, Mireille Knoll est vêtue d’une veste à carreaux rouges et noirs ornée d’une broche et porte autour de son cou un petit sac noir. Elle est très élégante, a le regard doux, un sourire extrêmement tendre. C’est cette photo qui avait largement circulé au lendemain de la mort de cette octogénaire de confession juive, retrouvée le 23 mars 2018 partiellement brûlée et lardée de onze coups de couteau dans son modeste logement HLM du 11e arrondissement de Paris. Un crime qui avait suscité une très vive émotion en France et dans le monde. Il est 18 h 23 ce vendredi après-midi quand une habitante de l’immeuble situé au 30 avenue Philippe-Auguste contacte les pompiers, s’inquiétant de voir de la fumée émaner de l’appartement de sa voisine qui réside au deuxième étage. Depuis la mort de son mari, rescapé de la Shoah, Mireille Knoll – qui a elle-même échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv – occupe seule cet appartement. Elle a 85 ans, souffre de la maladie de Parkinson, se déplace en déambulateur et ne sort que très peu.
Arrivés dans l’appartement, les pompiers constatent quatre départs volontaires de feu : dans la cuisine – où les boutons de commande de la gazinière sont découverts en position ouverte –, à deux endroits du canapé du salon et au niveau du lit médicalisé. C’est sur ce lit que le corps de Mireille Knoll est retrouvé. Allongée sur le dos, en travers du lit, elle a les bras recroquevillés et les pieds qui touchent presque le sol. Son corps est transpercé de onze coups de couteau portés dans le dos, au niveau de l’abdomen et du thorax, deux ont atteint des organes. Entendus par les enquêteurs, les fils de Mireille Knoll sont formels : leur mère ne pouvait pas monter seule sur son lit. Plusieurs aides-soignants se relaient d’ailleurs à son chevet, et ce, plusieurs fois par jour. Mais il y a surtout le témoignage de la belle-fille de Mireille Knoll, qui passe la voir presque tous les jours. Ce vendredi 23 mars, alors qu’elle arrive dans l’appartement, elle découvre un homme en compagnie de sa belle-mère. Son mari, venu quelques heures plus tôt, confirme qu’il a croisé dans le hall de l’immeuble un certain Yacine Mihoub. Interrogée par les enquêteurs, la mère de Yacine, Zoulikha Khellaf, indique que son fils connaissait la défunte et qu’il a d’ailleurs passé une partie de l’après-midi du 23 mars dans son appartement.
Un suspect au casier judiciaire fourni
Yacine Mihoub, qui a grandi avec son frère, ses deux sœurs et sa mère au 7e étage de l’immeuble, connaît en effet bien Mireille Knoll. Il est souvent venu passer du temps avec elle, pour discuter, boire un verre ou aider avec quelques petites emplettes du quotidien. Ça faisait pourtant longtemps qu’on ne l’avait pas vu au 30 avenue Philippe-Auguste. Condamné le 31 mars 2017 pour violences volontaires, menaces de mort et agression sexuelle sur mineur, Yacine Mihoub a été incarcéré plusieurs mois à Fleury-Mérogis. La victime n’était autre que la fille de l’ancienne aide ménagère de Mireille Knoll, douze ans à l’époque des faits. Sorti après six mois de détention, il avait aussi interdiction de se rendre dans l’immeuble. À 28 ans, Yacine Mihoub est loin d’en être à sa première condamnation. Son casier judiciaire comporte de nombreuses mentions de viol, viol avec arme, agression sexuelle ou encore menaces de mort réitérées. Il est aussi connu pour avoir, à plusieurs reprises, alerté les services de police pour faire croire à la présence d’engins explosifs sur son ancien lieu de travail, d’où il avait été mis à pied pour sa consommation d’alcool. Reste que, dans l’affaire d’agression sexuelle au préjudice de la fille de son aide ménagère, Mireille Knoll n’avait, par bienveillance, rien dit à son entourage et avait même choisi de témoigner en faveur de Yacine Mihoub lors du procès.
Le 24 mars 2018, Yacine Mihoub est interpellé. Devant les enquêteurs, il reconnaît avoir passé une partie de l’après-midi chez Mireille Knoll, avant de repartir vers 16 heures pour monter chez sa mère. Mais la chronologie présentée par Yacine Mihoub ne colle pas avec les témoignages recueillis dans l’immeuble. Une voisine explique avoir aperçu Yacine Mihoub sortir de l’immeuble en fin de journée accompagné d’un autre individu plus jeune que lui. Grâce à la téléphonie, les enquêteurs identifient ce jeune homme comme étant Alex Carrimbacus, 23 ans. Yacine et lui se sont rencontrés à Fleury-Mérogis quelques mois plus tôt. Alex Carrimbacus, un marginal sous curatelle renforcée, est interpellé deux jours plus tard. Dans la foulée, les deux hommes sont mis en examen pour « homicide volontaire à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion et sur personne vulnérable », « vol aggravé » et « dégradation du bien d’autrui ». Interrogés à six reprises au cours de l’instruction, Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus livrent tous les deux des versions évolutives quant au déroulement des faits, s’accusant mutuellement d’avoir porté les coups mortels à Mireille Knoll. Les deux hommes, qui s’étaient retrouvés la veille des faits par hasard dans les locaux d’une association parisienne, s’accordent seulement sur un point : ils étaient bien là, dans l’appartement de Mireille Knoll, au moment de sa mort.
« Un fou », « un malade mental »
Yacine Mihoub explique d’abord avoir invité son ancien codétenu, « le Marseillais », qu’« [il] ne connaissai[t] pas plus que ça », à venir le retrouver chez Mireille Knoll pour boire un verre et discuter. Ils auraient alors consommé du porto, et son « copain » se serait absenté pour se rendre dans la chambre de Mireille Knoll, d’où il serait revenu en disant : « Ça y est, c’est fait. » Plus tard, lors d’un nouvel interrogatoire – et au cours d’une énième version –, il va plus loin et déclare l’avoir vu dans la cuisine prendre un objet tranchant puis s’absenter quelques minutes. Il aurait alors entendu un cri « choqué, perçant » et se serait rendu dans la chambre de Mireille Knoll, où il aurait vu Alex Carrimbacus porter à la vieille dame plusieurs coups alors qu’elle était allongée. Il dira aussi avoir vu Alex Carrimbacus « avoir un geste très sec au niveau de la gorge de Mireille Knoll ». Devant les enquêteurs, il l’accuse d’être un « fou », un « malade mental » qui aurait déclaré vouloir « tout faire cramer » dans l’immeuble.
De son côté, Alex Carrimbacus assure avoir été contacté par Mihoub pour « un plan thunes » et réfute fermement la version de son comparse. Il explique au contraire que c’est ce dernier qui lui aurait demandé de faire « semblant de téléphoner » pour pouvoir regarder « un peu partout ». Ils auraient alors profité du fait que Mireille Knoll se rende aux toilettes pour voler plusieurs objets dans le salon. Selon ses déclarations, Mireille Knoll serait alors revenue dans la pièce principale, et c’est pour éviter qu’elle ne les voie que Yacine Mihoub l’aurait raccompagnée dans sa chambre. Quelques instants plus tard, Carrimbacus aurait entendu « de petits cris d’appels à l’aide » et aurait surpris Mihoub porter « deux coups de couteau » à la gorge de Mireille Knoll, « dont un niveau de l’abdomen et au moins un au niveau du dos », alors que la victime se trouvait assise sur le lit. Il précise aussi avoir entendu Yacine Mihoub crier « Allah akbar », puis avoir dit : « Regarde, elle est morte, elle ne nous cassera plus les couilles. »
Lors d’une confrontation organisée en mai 2019, Alex Carrimbacus confirme que Yacine Mihoub lui a bien dit que les juifs étaient « blindés ». « Je vous l’ai dit, c’était clair, il a dit que les juifs étaient friqués », ajoute-t-il. De son côté, Mihoub conteste avoir parlé de religion et nie avoir prononcé les mots « Allah akbar ». Au sujet de l’incendie, Yacine Mihoub assure avoir mis le feu au canapé sur ordre du « Marseillais ». Ce dernier admet avoir prêté un briquet à son acolyte, mais l’accuse d’avoir déclenché seul l’incendie. Que s’est-il réellement passé derrière la porte de l’appartement de Mireille Knoll ce 23 mars 2018 ? C’est ce que devra déterminer la cour d’assises de Paris qui juge à compter de ce mardi Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus.
La mère de l’un des accusés comparaît au procès
Les deux hommes s’accordent simplement pour dire qu’après les faits ils se sont réfugiés chez la mère de Yacine Mihoub, Zoulikha Khellaf. À 61 ans, cette dernière est de son côté accusée d’avoir jeté des objets appartenant à la victime. Les enquêteurs retrouveront d’ailleurs dans son vide-ordures le téléphone de Mireille Knoll, des bris de la bouteille de porto et des morceaux des verres utilisés pour boire. Son ADN a été retrouvé sur le téléphone et la bouteille. Entendue par les policiers, Zoulikha Khellaf a changé trois fois de version pour finalement reconnaître que son fils et Carrimbacus étaient bien montés chez elle après le meurtre. Elle est aussi – et surtout – accusée d’avoir nettoyé l’arme du crime du sang « sec » qu’elle avait trouvé dessus. Le 8 avril 2018, elle a été mise en examen pour « destruction de preuve en vue d’entraver la vérité ». Laissée libre sous contrôle judiciaire, elle doit aussi comparaître au procès. C’est cette arme qui pourrait avoir été découverte récemment au domicile du frère de Yacine Mihoub et qui devrait tenir un rôle central au cœur des débats.
Les deux principaux accusés ont, eux, été renvoyés pour « homicide volontaire » avec deux circonstances aggravantes : le fait que la victime était « une personne vulnérable » et le caractère antisémite du crime. Des investigations numériques menées au cours de l’instruction sur les ordinateurs de la mère de Yacine Mihoub sont venues étayer cette circonstance, sans qu’elles soient toutefois « directement » liées aux faits. L’examen des recherches effectuées sur Google a fait remonter l’existence de quatre requêtes dans les trois jours qui ont précédé le drame : « charte islamiste actualité », « quels sont les objectifs fondamentaux de la charte de l’OLP », « charia islamique », « organisation de la libération de la Palestine ».
Un an plus tôt, une chaîne vidéo évoquant la présence de « trop de juifs à la télévision » avait été consultée. Si Yacine Mihoub se défend de tout sentiment « antisémite », un événement survenu en janvier 2015, alors qu’il était incarcéré à Fleury-Mérogis, a cependant été versé au dossier : il s’agit de plusieurs inscriptions découvertes par un gardien sur le mur de sa cellule comme : « Les frères Kouachi ne sont pas mort[s] pour rien », et « A Coulibaly », assorti du dessin d’une tête de mort. Il se serait par ailleurs vanté de connaître l’auteur de la tuerie de l’Hyper Casher en 2015, estimant qu’il n’était pas « un mauvais gars ».
« Si le crime est antisémite, alors ça ne peut tout simplement pas être Alex Carrimnacus », estime son avocat, Me Karim Laouafi. Il s’explique : « Il n’y a aucune trace d’antisémitisme chez lui. Si on suit la logique, c’est tout simplement invraisemblable. Qu’il soit condamné pour meurtre consisterait déjà à dire que le doute ne profite pas à l’accusé, tant il en existe. Et une cour d’assises ne peut pas fonctionner par hypothèse. Ma conviction, c’est que c’est un crime de rage, un crime de haine commis par Mihoub qui se radicalisait doucement en prison avant les faits et qui estimait que Mireille Knoll était responsable de sa précédente détention. On a découvert au cours de l’instruction un antisémitisme patent chez Mihoub. » Me Charles Consigny, l’avocat de Yacine Mihoub, n’a quant à lui pas souhaité s’exprimer avant le début du procès, qui doit durer jusqu’au 10 novembre.