Le 19 mars 2012, le djihadiste tuait quatre personnes, dont trois enfants, devant l’école Ozar-Hatorah. Près de dix ans après, la blessure reste vive au sein de la communauté juive de Toulouse, dont près de la moitié des membres ont quitté la ville.
Un long muret rehaussé d’une palissade, elle-même surmontée de rouleaux barbelés, façon camp retranché : le 33 de la rue Jules-Dalou, à Toulouse, rompt avec l’alignement des coquettes maisons individuelles qui bordent cette voie paisible du quartier de la Roseraie. Vue de l’extérieur, l’enceinte, qui s’étire sur un peu moins de cent mètres, ressemble plus à un centre de détention qu’à un établissement scolaire. Des caméras vidéo filment vingt-quatre heures sur vingt-quatre le secteur, et, pour pénétrer à l’intérieur de l’école Ohr-Torah, il faut montrer patte blanche. Après une fouille sommaire effectuée par un agent de sécurité, un lourd portail d’acier plein s’ouvre sur une cour de récréation.
Depuis cette effroyable matinée du lundi 19 mars 2012, l’école, qui a cette époque s’appelait encore « Ozar-Hatorah », vit sous protection. Ce jour-là, vers 8 h 15, un homme arrivé sur une moto Yamaha T-Max, fait un carnage. Visage dissimulé sous un casque intégral équipé d’une caméra GoPro, Mohammed Merah tue quatre juifs dont trois enfants âgés de 3 ans à 8 ans et en blesse un quatrième, de 15 ans, avant de repartir comme il est venu sur son bolide. Cet assassin, issu de la cité des Izards, dans les quartiers nord de Toulouse, devenu terroriste islamiste à l’âge de 24 ans, signe ici, dans cette école juive jusque-là sans histoire et méconnue de la plupart des Toulousains, le dénouement tragique d’une semaine criminelle à l’issue de laquelle, armé d’un parabellum, il a abattu de sang-froid sept personnes. Trois militaires s’ajoutent aux quatre victimes de l’école Ozar-Hatorah.
Plus de neuf années ont passé et, en cette fin de mois d’août 2021, les élèves de ce lycée-collège ont repris les cours avec une semaine d’avance sur le calendrier scolaire laïque. Histoire de rattraper par avance les fermetures à venir de septembre motivées par les fêtes du Nouvel An juif et les célébrations qui l’accompagnent.
Sauver l’établissement
Dans cette période de rentrée post-Covid, Yaacov Monsonégo, le directeur de l’école, est tout à sa tâche. Pantalon et veste noirs sur une chemise blanche, Yaacov Monsonégo symbolise la figure tutélaire de l’établissement. Fils d’un rabbin d’origine marocaine, ce Franco-Israélien a débarqué à Toulouse avec son épouse, Yaffa, au début des années 1990. Quand il s’installe, Ozar-Hatorah n’évoque rien, ou si peu. L’institution accueille huit gamins dans un appartement sur le bord du canal. Yaacov Monsonégo se sent alors investi d’une mission : transformer ce pseudo-établissement en une véritable école juive, où on enseignera la religion bien sûr, mais également les matières générales. Mission accomplie, puisque, en 2012, après avoir écumé pendant plusieurs années les lieux de culte juifs pour convaincre les familles d’inscrire leurs enfants dans cette école, Ozar-Hatorah enregistre environ 200 élèves.
Plus de vingt ans plus tard, et malgré le malheur qui est tombé sur ses épaules, Yaacov Monsonégo est resté ce missionnaire, animé de la même ferveur au service de « son » école. Sa fille Myriam a été assassinée par Merah d’une balle dans la tête tirée à bout portant. Elle avait 8 ans. S’il préfère garder le silence sur cette tragédie – « A quoi bon ? Il vit avec ça tous les jours », explique son avocat, Simon Cohen – et se consacrer à sa mission éducative, il reçoit dans l’école « avec plaisir » et préfère laisser la parole à ses collaborateurs. Dans les jours qui ont suivi la tuerie, une fois sa fille enterrée à Jérusalem, Yaacov Monsonégo s’est fixé un but : sauver l’établissement. « Transmettre des valeurs, faire des bons citoyens », voilà les objectifs qu’il s’assigne et qu’il assigne à ses équipes d’enseignants.
« Au départ, on s’est sentis seuls »
Laurent Raynaud, 44 ans, directeur des études et professeur de technologie, est l’un de ses plus proches collaborateurs. Recruté en 2001, cet enseignant certifié a passé toutes ces années dans cet établissement qui compte aujourd’hui 138 élèves de la 6e à la terminale – tous juifs –, 21 professeurs et 30 salariés non enseignants – majoritairement non-juifs. Le 19 mars 2012, il est arrivé à l’école dans les minutes qui ont suivi le carnage. « On a d’abord pensé que tout s’arrêterait, se souvient-il. Mais, très vite, sous l’impulsion de Yaacov Monsonégo, on est repartis. » Laurent Raynaud se rappelle encore cette conversation téléphonique du 22 ou du 23 mars 2012, lui à Toulouse et Yaacov à Jérusalem, lui intimant de prendre les choses en main pour assurer au plus vite la réouverture de l’établissement : « Je vous laisse l’école. Il faut qu’elle soit là quand je reviens. »
Ce qui fut fait. Les cours ont repris dès le vendredi, cinq jours après l’horreur. Bien sûr, avec un encadrement et des soutiens psychologiques, et selon un rythme adapté aux conditions, mais il était important d’aller vite, explique Laurent Raynaud. « Nous devions retrouver notre espace, afin qu’il ne devienne pas un lieu de pèlerinage ni un carrefour de passage médiatique. » La veille, le président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, était venu. Accueilli dans la salle du centre de documentation et d’information, le chef de l’Etat avait fait salle comble. « Il faut redémarrer », avait-il lancé, devant une assemblée composée des personnalités de la ville, de l’académie et de la communauté, au sein de laquelle ne figurait aucun employé de l’établissement. « Sarkozy ne le savait pas », atteste Laurent Raynaud. Pour beaucoup, l’ignominie du geste de Merah avait soulevé un tel choc qu’il fallait être là.
Il n’empêche : malgré cet élan, « au départ, on s’est sentis seuls », se remémore Laurent Raynaud. Comme noyés dans une mer de chagrin. Les soutiens et la compassion n’ont pas éteint ce sentiment de fragilité extrême. Puis, le temps a fait son œuvre, les cris et la force des élèves ont peu à peu réinvesti la cour de récréation. « L’école s’est reconstruite, explique Laurent Raynaud, et la grande majorité de l’équipe et des familles sont restées. »
A la rentrée de septembre 2013, Yaacov Monsonégo a énoncé les objectifs : ouverture au monde et pas de repli communautaire. « Ce qui nous retient, aujourd’hui, ce qui donne beaucoup de sens à notre vie, c’est l’institution, ce sont les enfants », confiait-il en 2017 à l’Agence France-Presse, dans une de ses rares déclarations publiques. L’homme, âgé aujourd’hui de 62 ans, ajoutait : « On a l’impression de vivre avec une chape de plomb sur la tête, mais il faut faire avec. »
Un lien qui ne se partage pas
Faire avec, c’est le choix de Sarah Haddad, 46 ans. Cette ancienne avocate du barreau de Toulouse a rejoint la direction d’Ohr-Torah, il y a six ans, trois ans après l’attaque. Devenue directrice administrative de l’école, elle s’occupe de la gestion et du fonctionnement de l’établissement sous contrat. « Quand je suis arrivée, j’ai eu un peu de mal à entrer dans l’équipe, avoue-t-elle. Ils avaient un lien particulier entre eux. »
Durant les premiers mois, c’est « sur la pointe des pieds » qu’elle s’est introduite dans la place. Désormais, ses enfants sont scolarisés là, et, si elle se sent parfaitement intégrée, il n’en demeure pas moins qu’il existe un lien indéfectible entre « ceux qui y étaient », un lien qui ne se partage pas. Sans que cela soit jamais dit, « il y a ceux qui l’ont vécu, et les autres ». Mais tous, élèves, professeurs et employés, respectent une sorte de discrétion. « Ici, on parle peu du 19 mars, et quand on en parle c’est tout en retenue, avec une immense pudeur, dans un refus unanime de toute mise à nu publique, décrit-elle. Je suis frappée par cette retenue. Il y a une forte fidélité à l’école, renforcée par l’épreuve que cette institution a subie. »
Jusqu’en 2017, des militaires harnachés comme à la guerre, mitraillette au poing, se sont relayés vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, dans et autour de l’établissement. Depuis, des agents de sécurité civils les ont remplacés à l’intérieur de l’école, mais les soldats continuent de faire des rondes dans le quartier plusieurs fois par jour. « Voir des soldats en armes dans une école, c’est tout de même un drôle de spectacle », remarque Franck Touboul, secrétaire général de l’établissement. Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) de Midi-Pyrénées, ce dirigeant de société âgé de 49 ans connaît l’école depuis sa plus tendre enfance. Son père, Henri, aujourd’hui décédé, en fut, avec Yaacov Monsonégo, l’un des bâtisseurs. Franck Touboul y a fait ses études de la 6e à la terminale, avant même que l’établissement ne déménage rue Jules-Dalou. « Un comité des anciens élèves très actif reste resserré autour des Monsonégo », assure-t-il.
Dans les tout premiers moments après l’attentat, il s’est précipité sur les lieux, et il a passé les jours qui ont suivi avec les familles meurtries et la communauté qui s’est cimentée autour de cette douleur irréparable. « Il existe désormais une connivence de malheur au sein de cette communauté. Et c’est la raison pour laquelle, il fallait continuer », dit-il. Continuer coûte que coûte, malgré la souffrance, et continuer encore, malgré les incompréhensions. « L’attaque ignoble contre des juifs tout simplement parce qu’ils étaient juifs a été dénoncée et condamnée tout de suite, souligne-t-il. Mais la lecture qui en a été faite n’a pas été à la hauteur. La compassion ne suffisait pas face à ce malheur. On a sous-estimé le sens de cette tuerie. S’en prendre à la communauté juive, c’était s’en prendre à la République, et ça, peu de gens l’ont perçu à l’époque. »
A Ohr-Torah et autour, nombreux sont ceux qui en conviennent : « On a compris qu’il se passait quelque chose qui allait au-delà de cette tuerie, mais là-dessus on n’a pas été suivis », déplore encore aujourd’hui Franck Touboul.
Une sorte de 11-Septembre
Nicole Yardeni, qui présidait à l’époque le CRIF en Midi-Pyrénées, partage cette analyse : « Souvent, quand les actes antisémites se multiplient dans une société, c’est le signe que les choses ne vont pas. Que quelque chose se délite », note celle qui est aujourd’hui adjointe à la culture du maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (Les Républicains). Et, comme son successeur à la présidence du CRIF, cette fille d’un père juif allemand qui vivait à Berlin au début des années 1930 considère que l’attaque contre Ozar-Hatorah aurait dû activer les signaux d’alerte. Le 19 mars 2012, « on a raté quelque chose », martèle-t-elle.
Pour ces citoyens français, « militants » de la cause juive parmi les plus impliqués, ce 19 mars est une sorte de 11-Septembre. Certes, en moins spectaculaire et avec beaucoup moins de morts, « mais on ne peut pas limiter au nombre de morts l’abjection du terrorisme islamiste et la signification de ses actes ». Ils en sont convaincus : plus qu’un « simple » attentat contre les juifs, le massacre d’Ozar-Hatorah est une attaque menée contre la France sur son territoire, une déclaration de guerre des islamistes, trois ans avant l’année noire de 2015, marquée par les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et contre l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, puis ceux du 13-Novembre, aux terrasses des restaurants, au Bataclan et au Stade de France.
Dès le 22 mars, le nom du terroriste connu, tous les ingrédients étaient réunis pour percevoir dans les tueries de Merah autre chose que l’acte d’un « loup isolé », pour reprendre la terminologie du patron de la DCRI (ex-DGSI) de l’époque, Bernard Squarcini. Des mois auparavant, son parcours avait été mis au jour par les services de renseignement. Ses séjours en Egypte, au Pakistan et dans les zones de guerre du Waziristan avaient été repérés, à tel point que les policiers de la DCRI avaient interrogé l’apprenti djihadiste dans l’espoir de le retourner.
« L’ampleur du drame » mal évaluée
Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, qui reçoit dans son bureau du rez-de-chaussée du Capitole, garde un souvenir intact de ces moments qui ont sidéré sa ville. A l’époque, il était le chef de l’opposition, et, lors du conseil municipal du vendredi 23 mars 2012 – quatre jours après la tragédie –, son intervention avait suscité quelques remous. Tant au sein de la majorité de gauche, que conduisait le maire socialiste, Pierre Cohen, que chez les centristes du MoDem. « J’ai dit : Merah n’est pas seul. Il est dans un truc qui le dépasse. C’est l’islamisme qui nous attaque, soyons-en conscients. Ce jeune, qui est né et qui a grandi à Toulouse, n’a pu effectuer un tel parcours sans complicité. Il a été embringué dans des groupes islamistes qui lui ont retourné le cerveau. »
Aujourd’hui encore, le maire croit que peu nombreux sont ceux qui, à ce moment-là, ont eu conscience de « l’ampleur du drame ». La marche blanche organisée le dimanche avait mobilisé peu de monde. Aucun imam toulousain n’était présent dans le cortège. Seul Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy (Seine-Saint-Denis), représentait la communauté musulmane, « ce qui faisait ressortir encore plus l’absence des imams toulousains », souligne l’élu.
Dans les jours qui ont précédé son raid contre l’école juive, Mohammed Merah, lancé dans une croisade macabre, ne laisse guère de doute sur ses motivations. Ses cibles s’apparentent à un communiqué de revendication. Il vise des militaires français, musulmans comme lui, qu’il accuse d’être des traîtres à Allah. Le dimanche 11 mars, vers 16 heures, sur un parking à proximité de la cité de l’Hers, non loin de la route de Castres, à la périphérie de Toulouse, Merah tire dans la tête d’Imad Ibn Ziaten, sous-officier au 1er régiment de train parachutiste, qu’il a piégé sur le site Leboncoin, en lui fixant un rendez-vous pour la vente d’une moto.
Quatre jours plus tard, le jeudi 15 mars, alors que la campagne pour l’élection présidentielle prévue en mai bat son plein, il est un peu plus de 14 heures à Montauban, lorsque le même Merah fait feu sur Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad du 17e Régiment de génie parachutiste et sur le caporal Abel Chennouf. Les deux hommes succombent, tandis que le caporal Loïc Liber, grièvement blessé et désormais sévèrement handicapé, échappe à la mort.
Un malentendu tenace
Cet enchaînement planifié raconte à lui seul la détermination qui anime le tueur et les engagements qui arment son bras. « Le 19 mars, on ne le savait pas, mais dans les trois jours qui ont suivi on l’a vite compris », constate Franck Touboul. Un constat qui a rapidement nourri un malentendu entre des représentants d’une partie de la communauté juive toulousaine – la plus engagée dans la défense de cette communauté – et les institutions politiques locales – de gauche à cette époque. Un malentendu qui, au fil du temps, a creusé des distances et engendré des divergences tenaces. Ces représentants de la communauté juive soulignent un accroissement tout aussi constant qu’angoissant de l’antisémitisme en France et du déni qui l’accompagne. « Souvent la recrudescence de l’antisémitisme est un signal pour notre société : celui d’un délitement face auquel on préfère tourner les yeux », plaident-ils de concert.
Après toutes ces années, Pierre Cohen, maire de la ville à cette époque, socialiste en rupture de banc aujourd’hui converti à l’écologie et sans mandat, l’admet du bout des lèvres. « Je pense qu’on a sous-estimé ce qu’incarnait Merah, mais pouvait-on deviner que ces actes annonçaient ce qui allait se produire trois ans plus tard ? », s’interroge-t-il. Le maire qu’il était alors était hanté par le souci de ne pas dresser les Toulousains les uns contre les autres, de maintenir la cohésion de sa ville. « J’étais effondré, dit-il. Ma préoccupation a été d’entendre et de comprendre la douleur de la communauté juive, tout en préservant l’unité de la ville dans la diversité de ses habitants. »
Puis, très vite, une interrogation l’a tourmenté, et le tourmente toujours : comment un gosse éduqué dans et par la République pouvait avoir été gangrené, embrigadé sous une telle emprise ? Une inquiétude le taraudait : comment sa ville allait-elle réagir ? Verrait-on des manifestations antisémites dans les cités du Mirail, d’Empalot, de Bagatelle, des Izards, à forte population de confession musulmane ? Merah serait-il érigé en héros ? Et quid des réactions vis-à-vis des musulmans ? Dans des écoles, sur quelques graffitis et sur des réseaux sociaux, le nom du terroriste a été glorifié. Mais, ces incantations à « la gloire du martyr » se sont avérées marginales. La ville et ses habitants, y compris la population musulmane, sont largement restés en dehors de ces outrances.
« La ville avait basculé dans la peur »
« Dans l’opinion, la population musulmane était et reste encore la plus stigmatisée, l’une des plus confrontées au racisme », analyse Pierre Cohen. Aussi, insiste-t-il, tout en affirmant sa compassion et sa pleine solidarité avec les juifs, il lui incombait de protéger les musulmans, majoritairement opposés à l’islamisme et plus encore au terrorisme. « Mon inquiétude était que, après cette horreur commise contre des juifs, la ville ne devienne la proie d’actes incontrôlés. J’essayais d’apaiser une situation à un moment où, en l’espace d’une journée, la ville avait basculé dans la peur », se défend-il.
« Ce maire, loin de compatir pleinement au deuil atroce de la communauté juive n’avait qu’un souci en tête : #PasdAmalgame, surtout ne pas stigmatiser la communauté musulmane, et veiller à sa sécurité après l’attentat perpétré par l’immonde Merah. Il était odieux et n’a pas changé – addendum Line »
A l’approche des dix ans de ce sinistre événement, qui sera commémoré en pleine compagne électorale, la ville semble avoir peu ou prou cicatrisé cette plaie. Mais à quel prix ? En 2012, Toulouse abritait une communauté juive d’environ 25 000 à 30 000 personnes. Selon Franck Touboul, elle en compte aujourd’hui quelque 15 000. Elle en aurait perdu environ 10 000. « C’est un élément du thermomètre de notre société, affirme-t-il. On a laissé filer l’antisémitisme des banlieues en prétextant le conflit israélo-palestinien, mais en refusant de regarder la réalité, en tournant les yeux, on fabrique des Merah. »
Le 14 septembre, un imam algérien influent, Mohamed Tataï, imam de la Grande Mosquée de Toulouse – édifiée dans le quartier d’Empalot, au sud de la ville, en 2017 –, a été relaxé par le tribunal correctionnel des accusations de « haine à la provocation raciale ». Il était poursuivi à la suite d’un prêche proféré en décembre 2017 devant plus de 3 000 croyants, qui appelait les musulmans à tuer les juifs. Il citait là un hadith datant du XIVe siècle qui, selon une traduction non officielle, énonce : « Les juifs se cachent derrière les rochers et les arbres, et les rochers et les arbres diront : Ô musulman, ô serviteur d’Allah, il y a un juif qui se cache derrière moi, viens le tuer. »
Tout en reconnaissant « des propos certes maladroits », le tribunal a estimé qu’ils ne constituaient pas une « incitation à la haine ou à la discrimination ». Le parquet a interjeté appel et, dans l’attente du nouveau devant la cour d’appel, l’affaire ne manque pas de rouvrir les plaies. Le CRIF, la Licra, le Bureau de vigilance contre l’antisémitisme et SOS-Racisme se sont constitués partie civile. « Ce jugement a été prononcé sous les applaudissements de certains habitants des cités », déplore Me Simon Cohen, selon qui les efforts éducatifs et sociaux pour que « l’antisémitisme décroisse » ne sont pas mis en œuvre.
Tous les 19 mars, Toulouse rend hommage aux quatre juifs morts sous les balles de Mohammed Merah. A l’école Ohr-Torah, il y a un temps de parole dans les classes et une célébration religieuse dans la synagogue. Le reste du temps, professeurs, élèves, personnel non enseignant et parents s’emploient à faire de cet établissement un établissement confessionnel parmi d’autres. La dernière classe d’élèves qui avaient vécu le drame en direct a quitté le lycée en juin 2020, baccalauréat en poche. C’était les élèves de la classe de la petite Myriam Monsonégo.