Alors que le port du masque est appelé à se prolonger, une étude française confirme le maintien des performances de filtration des masques en polypropylène après plusieurs passages en machine.
Faut-il continuer à mettre à la poubelle les masques chirurgicaux après une unique utilisation ? Au terme d’un an et demi de tests en laboratoire, une équipe de chercheurs français démontre, dans une étude parue lundi 11 octobre dans la revue scientifique Chemosphere, qu’ils conservent leur pouvoir filtrant et leur respirabilité après dix passages en machine à laver. Leur performance reste même supérieure à celle des masques en tissu de catégorie 1, avec une capacité de filtration bactérienne supérieure à 98 % contre 90 %. Une intuition que de nombreux consommateurs avaient mais qui n’avait pas encore fait l’objet d’une évaluation systématique.
« Nous nous sommes arrêtés à dix lavages dans le cadre de notre étude mais on peut imaginer en faire plus, assure Philippe Cinquin, coordinateur scientifique du Centre d’investigation clinique du CHU de Grenoble. Il faut alors proposer une règle simple : jetez votre masque quand son apparence montre qu’il est abîmé et qu’il ne s’ajuste plus bien au visage. » Après plusieurs passages en machine, la couche extérieure du masque peut en effet présenter un aspect pelucheux – que l’on peut essayer de retarder le plus longtemps possible en lavant le masque dans une taie d’oreiller fermée. « Ce boulochage entraîne une usure inconfortable et peut définir la fin de vie du masque même si les propriétés de filtration restent efficaces », écrivent les auteurs dans leur étude.
Par ailleurs, « les parties les plus fragiles du masque sont en fait la barrette nasale, l’élastique du contour d’oreille et surtout leur point de soudure sur les coins du masque ». Le bon ajustement au visage étant primordial pour assurer une protection optimale, la durée de vie de ces éléments conditionnera fortement la réutilisation du masque.
Ces travaux, lancés dans le cadre d’un consortium mis en place à la demande du PDG du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Antoine Petit, et de l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies (CEA), François Jacq, répondent à des enjeux écologiques et économiques de taille, le port du masque étant appelé à se prolonger pendant au moins quelques mois, voire à se normaliser comme une pratique d’hygiène ordinaire.
Selon les données de l’institut Nielsen, il s’est vendu pour 550 millions d’euros de masques dans la grande distribution entre mai 2020 et mai 2021, et quelque 3 millions d’euros de masques sont désormais écoulés chaque semaine en France. Les masques usagés représentent ainsi un gisement important de déchets, qui a été évalué à environ 40 000 tonnes par an par la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) lors d’une audition par une mission d’information parlementaire sur le traitement des masques usagés.
Faire évoluer la réglementation
Reste un point réglementaire bloquant : les masques chirurgicaux ont un statut de dispositif médical à usage unique qui interdit strictement leur réutilisation, principalement pour des raisons d’hygiène en milieu de soin. Pour promouvoir le lavage de ces masques, il faudrait que les autorités sanitaires fassent évoluer la réglementation en vigueur.
Les chercheurs ont toutefois contourné le problème en obtenant la certification Afnor sur leurs masques lavés, celle-là même qui prévaut pour les masques grand public en tissu.
« La prochaine étape est maintenant dans les mains du pouvoir public, pour recommander qu’on puisse laver les masques chirurgicaux et convaincre les industriels de faire qualifier leurs masques chirurgicaux comme masques à usage non sanitaire », souligne Philippe Cinquin. Si l’exigence de filtration de cette certification est moins forte, elle reste malgré tout élevée : les masques de catégorie 1 doivent assurer au moins 90 % de filtration de particules de 3 microns.
Un arrangement réglementaire suffisant, puisque la réutilisation des masques chirurgicaux concerne surtout le grand public pour le moment. Après plusieurs lavages, ces derniers perdent en effet leur capacité de protection contre les projections, comme par exemple le sang dans un bloc opératoire.
Pour Bruno Grandbastien, président de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), généraliser cette pratique dans le milieu du soin « est exclu ». « Le masque doit y rester à usage unique car il y a une trop forte concentration de personnes fragiles, et si le lavage est efficace face au SARS-CoV-2, il ne l’est pas forcément contre des bactéries résistantes », avance le médecin hygiéniste.
Une alternative avantageuse
Pour le grand public, le lavage de masques chirurgicaux semble toutefois une alternative avantageuse. Pour Philippe Cinquin, d’un point de vue sanitaire, ce choix s’impose : les masques chirurgicaux lavés conservant une filtration plus forte que les masques en tissu, ce sont eux qu’il faut privilégier. « Une personne contaminée par le Covid qui ne porte pas de masque émet en direction de son entourage en six minutes autant de particules de 3 microns qu’en vingt minutes une personne qui porte un masque grand public de catégorie 2 (70 % de performance de filtration), ou qu’en une heure une personne qui porte un masque de catégorie 1, ou qu’en cinq heures une personne qui porte un masque chirurgical », énumère le chercheur. Dans les situations de contact prolongé comme les transports en commun, les cours en amphithéâtre ou les spectacles, il recommanderait donc un masque chirurgical, même lavé.
D’un point de vue écologique, toutefois, le sujet est plus complexe. Si les masques chirurgicaux sont essentiellement composés de polypropylène, exceptés les élastiques et la barrette nasale, les masques grand public sont souvent en tissu ou en tricot, à base de polyester parfois mélangé à du coton, parfois à 100 % en matières naturelles.
Pour Philippe Vroman, spécialiste des textiles à l’Ecole nationale supérieure des arts et des industries textiles de Roubaix (Nord), les « masques chirurgicaux ont l’avantage d’être de composition connue, ce qui est plus simple pour la collecte et le tri ». Plusieurs entreprises et collectivités locales se sont d’ailleurs organisées pour recycler les masques chirurgicaux. Par exemple, l’entreprise Plaxtil, implantée à Châtellerault (Vienne), transforme les masques en billes de plastiques utilisées pour fabriquer d’autres objets.
Une démarche qui, pour Zero Waste France, montre ses limites. « Sans mobilisation des collectivités publiques, il semble illusoire de mettre en place un véritable geste de tri », souligne Alice Elfassi, responsable juridique de l’association. Sans de nombreux points de collecte et une communication forte, « ça va être dur de mobiliser les gens et d’obtenir une adhésion massive ». C’est pourquoi la position de l’association « est de privilégier les masques en tissu, spécifiquement conçus pour être lavés, qui contiennent malgré tout moins de plastique que les masques chirurgicaux ». Néanmoins, réutiliser son masque chirurgical se présente comme une alternative supplémentaire au dilemme « jeter ou laver ».