L’ancien pilote israélien, disparu au Liban en 1986, défraie de nouveau la chronique depuis que des médias ont révélé mardi la double opération du Mossad au Liban et en Syrie afin d’obtenir des informations.
C’est une affaire comme la région en connaît peu. De celles qui traversent les frontières et les années, offrant un instantané des enjeux qui façonnent chaque époque. Une histoire qui se joue dans un camp de réfugiés palestiniens, mais aussi dans la Vieille Ville de Jérusalem, à Damas, Nicosie ou Téhéran. Depuis le début de la semaine, la disparition d’un ancien pilote israélien pendant la guerre du Liban, près de Saïda, est revenue sur le devant de la scène. Deux médias arabes ont révélé l’existence d’une double opération menée par le Mossad, la première au Liban et la seconde en Syrie, visant à résoudre un mystère devenu affaire d’État.
L’étincelle a lieu le 17 octobre 1986. Le sud du pays est occupé par l’armée israélienne depuis 8 ans. La veille, un F-4 israélien a été abattu au-dessus des collines du camp palestinien de Miyé w Miyé, à une poignée de kilomètres à l’est de Saïda, « au cours d’un raid sur des positions palestiniennes » mené en représailles à un attentat à la grenade perpétré la veille à Jérusalem, rapporte L’Orient-Le Jour. Les deux pilotes à bord parviennent à s’échapper avant le crash de l’avion, en sautant en parachute. Le premier, qui a atterri dans une oliveraie, est retrouvé par les forces israéliennes et rapatrié à Haïfa par hélicoptère. Le second, porté disparu, sera l’objet d’une crise diplomatique dont l’écho se fait sentir jusqu’à ce jour.
Il s’appelle Ron Arad, mais à l’époque on ignore encore son nom. Il faudra attendre des mois pour que son identité soit révélée au public. Entre-temps, la confusion s’installe autour du sort de ce mystérieux pilote. Les autorités israéliennes sont persuadées qu’il est détenu par le mouvement chiite Amal qui, de son côté, fournit des informations contradictoires par communiqués interposés. Avant que Nabih Berry, leader du mouvement chiite et ministre d’État pour le Liban-Sud, n’admette publiquement les faits au lendemain d’une visite à Damas, le 22 octobre, tout en accusant l’occupation israélienne : « Israël a fait prisonnier tout le Liban-Sud. Il est inadmissible que cet État mobilise l’opinion publique mondiale autour d’un de ses prisonniers alors qu’il oublie les nôtres. La question qui doit être posée n’est pas où se trouve le pilote prisonnier, mais pourquoi l’aviation israélienne bombardait les civils palestiniens et libanais ? Le pilote se trouve aux mains d’Amal. Mais avant de réclamer sa restitution, Israël doit libérer le Liban et tous les prisonniers qu’il détient. » Amal proposera en 1987 un échange aux autorités israéliennes : Ron Arad contre 200 prisonniers libanais et 450 palestiniens, en plus d’un versement de 3 millions de dollars. Mais les négociations échouent, et le dossier est remis aux calendes grecques.
Une trentaine d’années plus tard, les dynamiques régionales ne ressemblent plus à celles de la fin des années 80. En octobre 1986, il s’agissait avant tout d’empêcher que le Liban ne redevienne une « base pour les terroristes », selon les mots de Yitzhak Shamir, fraîchement arrivé à la tête du nouveau gouvernement israélien. Depuis, les milices propalestiniennes ont été désarmées et l’État hébreu a mis fin à sa présence militaire sur le sol libanais. Le centre névralgique s’est déplacé : Tel-Aviv est désormais bien plus hanté par la menace iranienne et semble avoir tout oublié, ou presque, de l’origine libano-palestinienne de l’affaire.
Mort en captivité ?
Pour les Israéliens, ni les années ni le changement de contexte n’auront pourtant entamé le sérieux de l’affaire. Le cas de Ron Arad est resté une énigme irrésolue. Selon certaines sources, l’ancien colonel aurait été remis aux gardiens de la révolution, l’organisation paramilitaire iranienne. Un rapport des services de renseignements israéliens datant de 2016 indique quant à lui que l’homme serait mort en captivité en 1988.
Mais ces informations n’ont pas dissuadé les autorités israéliennes de poursuivre les recherches afin de retrouver celui qui, entre-temps, est devenu une icône nationale. Selon les médias al-Arabiya, basé à Dubaï, et Rai al-Youm, basé à Londres, le Mossad aurait récemment mené des opérations secrètes au Liban et en Syrie afin de retrouver la trace du pilote. Le premier volet de l’opération a lieu dans le village de Nabi Chite (Baalbeck) : des agents israéliens y auraient extrait l’ADN d’un corps afin d’identifier Ron Arad. La seconde partie se déroule en Syrie, où des agents israéliens auraient enlevé un ancien général iranien, avant de le conduire pour interrogatoire dans un pays d’Afrique (inconnu), puis de le relâcher.
La veille, un autre incident, que certains médias suspectent d’être en lien avec ces révélations, trahit les nouvelles dimensions régionales de l’affaire. Les autorités chypriotes arrêtent lundi à Nicosie un Iranien en possession d’un pistolet. Les Israéliens le soupçonnent d’avoir préparé l’assassinat d’un (ou plusieurs) homme d’affaires israélien et accusent la République islamique de s’en prendre à ses intérêts sur l’île.
Devant la Knesset, le Premier ministre israélien Naftali Bennett cultive le mystère, qualifie l’opération de « courageuse », mais maintient que « c’est tout ce qu’il peut partager à ce stade ». L’opinion publique israélienne, toujours soucieuse d’examiner les performances et les ratés de son appareil sécuritaire, s’engouffre en quelques jours dans un débat national : l’opération a-t-elle été un échec ? Qu’avons-nous appris de nouveau ? Le jeu en valait-il la chandelle ? Bien que « brave, audacieuse et complexe », la mission n’est pas une réussite, avoue le directeur du Mossad. La cible a certes été atteinte, mais aucune nouvelle information n’a été obtenue concernant la disparition du pilote. Tout le monde le sait : les chances de retrouver Ron Arad en vie sont quasiment inexistantes. Son sort est désormais devenu affaire de politique et de symboles.
Stéphanie KHOURI