Après une carrière d’infirmière, Thérèse Papillon a créé un préventorium à l’abbaye de Valloires dans la Somme. Cette résistante a entre autres sauvé des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Portrait d’une femme aux multiples facettes.
Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose. Et pourtant, Mademoiselle Papillon – Thérèse, de son prénom – est loin d’avoir laissé indifférents celles et ceux qui l’ont côtoyée. Décrite comme féministe et surtout humaniste, elle a dédié sa vie aux autres et a sauvé des milliers d’enfants.
Infirmière pendant la Grande Guerre
Thérèse Papillon naît le 10 septembre 1886 à Tournan-en-Brie en Seine-et-Marne. Elle grandit dans une famille issue de la bourgeoisie de Saint-Germain-en-Laye dans les Yvelines. Après une formation d’infirmière, elle s’engage à Corfou en Grèce. Là-bas, elle s’occupe des blessés de guerre et doit gérer l’épidémie de typhus qui gagne le pays. Ses combats sont récompensés le 2 février 1917 lorsqu’elle reçoit la médaille d’argent des épidémies.
De retour en France, Thérèse Papillon est affectée à une ambulance près du Chemin des Dames. Un an plus tard, en 1918, elle travaille pendant la seconde bataille de la Somme.
Au service de la population
Le 11 novembre 1918, l’armistice met fin à la Grande Guerre. Thérèse Papillon, touchée par toutes ces gueules cassées et ces villages détruits, décide de s’investir auprès des populations de Péronne et de Vraignes-en-Vermandois. « Elle constate les ravages de la malnutrition, en particulier chez les enfants« , raconte Florence Cadot, responsable du service des activités culturelles à l’abbaye de Valloires. C’est alors que naît chez Thérèse cette volonté d’ouvrir son propre établissement.
L’abbaye de Valloires, son œuvre
En contact avec le préfet de la Somme, elle se voit proposer deux lieux pour accueillir son activité : l’abbaye du Gard à Crouy-Saint-Pierre et l’abbaye de Valloires. Son choix se porte sur cette dernière, bien que plus éloignée mais avec une toiture de meilleure qualité. Elle l’achète pour 100 000 francs. Son objectif ? Faire un préventorium et aider les enfants malades. « Thérèse Papillon n’était pas une religieuse mais elle avait une foi très importante. La foi l’a d’ailleurs beaucoup aidée dans cette volonté d’aider les autres« , précise Florence Cadot.
Thérèse s’installe à Valloires, à la frontière entre la Somme et le Pas-de-Calais. Le 20 mai 1922, une trentaine d’enfants touchée par la tuberculose arrive. L’association est reconnue d’utilité publique le 10 juin 1925.
La modernisation en marche
Thérèse Papillon va alors entamer une campagne de modernisation de l’abbaye. En 1927, l’électricité arrive. En 1932, le chauffage central au sol est installé. C’était une abbaye moderne. Très vite, le nombre d’enfants augmente. Jusqu’à 300 enfants y sont accueillis : « On les mettait en quarantaine. Ensuite, ils étaient suivis par des médecins, pratiquaient des activités sportives, suivaient des cours. Le but était de les remettre en forme et de les rendre aux parents. »
Une résistante de la première heure
En 1939, la Seconde Guerre mondiale touche de plein fouet l’activité de l’abbaye. Thérèse Papillon fait partie d’un réseau de résistance, comme son frère l’abbé Jean Papillon, curé à l’abbaye. Elle va sauver plusieurs enfants juifs.
Daniel Mandelbaum a 2 ans quand il arrive à l’abbaye de Valloires : « En 1942, mes parents, qui étaient juifs, ont très vite compris ce qui allait se passer. C’étaient des militants communistes très affûtés politiquement. Sur les conseils d’un médecin, ils ont pris la décision de me cacher au préventorium de Valloires. Mon père m’a emmené à vélo de Lens jusqu’à Valloires. »
Daniel vit à l’abbaye pendant trois années sous la protection de Thérèse Papillon et des autres infirmières. « La vie de collectivité m’allait bien. On dormait dans un dortoir, on faisait les repas dans un réfectoire. Je m’entendais bien avec les autres enfants. J’ai de bons souvenirs« , se remémore-t-il. « Un jour, j’ai dit à ma mère : comment se fait-il que, vous qui êtes juifs et Polonais, vous ayez choisi comme petit garçon un Français et catholique ? C’est dire à quel point j’avais gardé un bon souvenir de Valloires« , ajoute-t-il.
Certaines heures, certains jours ont pourtant été plus compliqués. Les Allemands ont occupé une partie de l’abbaye. « À l’époque, j’étais un petit garçon entre 2 et 5 ans blond avec les yeux bleus. Un jour, il y a un Allemand qui est venu me voir. Il m’a pris dans ses bras et a commencé à me parler. Ensuite, quand je suis revenu, la surveillante qui s’occupait de nous s’est mise à m’engueuler. Ça a provoqué une frayeur générale. »
Pour cacher les enfants juifs, Thérèse Papillon a utilisé plusieurs ruses. « Mes parents m’ont raconté plus tard qu’elle leur avait demandé l’autorisation de me baptiser. C’était un moyen de faire diversion. » « Thérèse a aussi demandé aux enfants de tousser pour faire croire aux Allemands qu’ils avaient la tuberculose. À cette époque, il y avait la peur de la maladie« , ajoute Florence Cadot, responsable du service des activités culturelles à l’abbaye de Valloires.
Juste parmi les Nations
En 1945, la guerre se termine. Les parents de Daniel réussissent à s’échapper du train qui les menait à Auschwitz. Ils viennent récupérer le petit garçon et s’installent à Bucquoy dans le Pas-de-Calais, près d’Arras. « Pour moi, Thérèse est quelqu’un de très proche. C’est évident qu’elle m’a sauvé, qu’elle en a sauvé d’autres. En toute connaissance de cause, je crois que c’était une résistante éminente. »
Plus de sept décennies après, en 2017, Thérèse Papillon a reçu, à titre posthume, la Médaille des Justes parmi les Nations, distinction d’Israël remise aux personnes non juives, qui ont sauvé des Juifs sous l’Occupation.
Après la guerre, Thérèse Papillon accueille les enfants blessés physiquement et moralement. Philippe Ripert est l’un d’entre eux. Il arrive à l’âge de 13 ans à Valloires, très amaigri et affaibli. « Quand je vois Thérèse Papillon, je crois retrouver ma grand-mère avec ses yeux remplis d’amour et de tendresse qui me regardent moi petit garçon un peu apeuré. Je fonds en larmes. C’est mon premier contact avec Mademoiselle Papillon. Je rencontre un personnage rempli d’amour qui ne pensait qu’à une chose : apporter le réconfort du cœur et le réconfort physique. Elle a changé ma vie. »
Au fil des années, l’activité au préventorium ralentit tout de même. La tuberculose disparaît. Au début des années 1970, Valloires se développe. Des enfants algériens et vietnamiens qui fuyaient la guerre sont accueillis. Des colonies de vacances sont également organisées. Puis, plus tard, les services sociaux placent des enfants, des fratries entières.
« C’est un exemple. Pour l’époque, elle était avant-gardiste et d’une grande modernité. Elle a réussi à faire ce qu’elle voulait dans un monde qui n’était pas spécialement féministe« , analyse Florence Cadot, responsable du service des activités culturelles à l’abbaye de Valloires.
L’effet Mademoiselle Papillon
Plus que jamais dans l’air du temps, Thérèse Papillon a inspiré et continue d’inspirer. Alia Cardyn est une écrivaine belge. Thérèse Papillon est l’héroïne principale de son quatrième roman : « J’ai visité l’abbaye en juillet 2018 avec ma belle-famille. Quand le guide a parlé de Thérèse Papillon, j’ai senti une énergie dingue traverser mon corps. J’ai eu un coup de cœur immédiat pour cette femme. »
Alia se renseigne alors davantage sur l’histoire de Mademoiselle Papillon, rencontre des dizaines de personnes qui l’ont côtoyée. « J’ai directement senti une femme avec un fort caractère, légèrement rebelle et aussi avec de l’humour. Ce qu’elle dit aux Allemands, quel culot mais j’adore !« , dit-elle, admirative.
« C’est la Mère Teresa française !«
Alia envoie son bouquin à dix maisons d’édition, toutes acceptent le manuscrit. Sorti en pleine crise sanitaire, son bouquin se vend à 23 000 exemplaires. Un succès littéraire. En Belgique, malgré le confinement, la romancière reçoit 20 messages par jour sur les réseaux sociaux pendant six mois. « On a tellement besoin d’exemples comme elle. C’est la Mère Teresa française ! »
Perpétuer son œuvre
En 1972, Thérèse Papillon remet sa démission en tant que présidente de l’association. Elle décède le 23 mars 1983, à l’âge de 96 ans, à la maison de repos de Valloires. Elle est enterrée au sein de l’église de l’abbaye.
Aujourd’hui, l’abbaye cistercienne est toujours la propriété de l’association de Valloires. L’organisme perpétue l’œuvre de Thérèse Papillon puisqu’il accueille chaque année 140 enfants, entre 6 mois et 16 ans, en grande difficulté. Ils y sont placés sur décision de justice. « Thérèse Papillon a construit quelque chose à force d’entêtement. C’est une indépendante, une aventurière, une croyante, une féministe. L’année prochaine, en 2022, pour les 100 ans de l’association. Elle sera mise à l’honneur« , conclut Florence Cadot.
Depuis un siècle, 10 000 enfants ont été pris en charge au sein de l’abbaye de Valloires. Autant d’histoires et de parcours durant lesquels Thérèse Papillon a tenté d’apporter un peu de répit et de bonheur.
Il y a des personnes à ne pas oublier, cette dernière est de celles-là, on ne l’oublieras pas même chez nous !