Restaurateurs à Saint-Patrice, Yvonne et Henri Pierre ont hébergé deux fillettes juives pendant la Seconde guerre mondiale, après la rafle du Vel d’Hiv. Près de 80 ans plus tard, l’institut Yad Vashem va leur rendre un hommage symbolique en leur décernant la médaille des Justes parmi les Nations.
On peut s’étonner que la médaille des Justes puisse être remise aussi tardivement, plus de 75 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale. Vice-président du comité français pour Yad Vashem, François Guguenheim nous en fournit une explication : « On remet encore une cinquantaine de médailles des Justes par an en France, la plupart du temps, malheureusement, à titre posthume. Les personnes décorées sont mortes, elles avaient au moins 20 ou 25 ans dans les années 40. Ce qui se passe souvent, c’est que des personnes juives sauvées pendant la guerre, ou leurs enfants, veulent, avant de mourir, remercier, honorer les personnes qui leur ont permis de vivre. Et puis il faut du temps pour monter un dossier, c’est long et compliqué. »
C’est l’une des deux fillettes juives cachées et protégées à Saint-Patrice, Fanny qui, avec l’aide de sa fille Béatrice, est à l’origine de la remise de médaille, dimanche 3 octobre, à Coteaux-sur-Loire (commune nouvelle née en 2017 de la fusion de Saint-Patrice, Ingrandes-de-Touraine et Saint-Michel-sur-Loire).
Denise et Fanny sont envoyées en Touraine, chez « Maman Pierre »
Denise (née en 1935) et Fanny (née en 1938) Checinsky sont les deux filles d’un couple de Juifs Polonais arrivé en France en 1932. Grâce à une famille non-juive, les Mouisset, et surtout grâce à l’une des filles, Andrée, tous échappent à la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942. Et c’est cette même Andrée qui a l’idée d’envoyer les fillettes « à la campagne », chez Yvonne et Henri Pierre. Ce couple qui n’a pas d’enfant tient le bar-restaurant situé en face du château de Saint-Patrice.
« Les deux filles ont été élevées pendant la guerre par ma grand-mère et son mari, explique aujourd’hui Chantal Lireau, petite-fille d’Yvonne Pierre. Elles sont venues à la campagne pour leur protection, et leurs parents ont été cachés pendant ce temps à Vincennes par madame Mouisset. A la fin de la guerre, la maman est venue rechercher ses deux filles. Mais Fanny et Denise sont revenues régulièrement à Saint-Patrice, elles étaient tellement reconnaissantes envers ma grand-mère qui avait tout de même risqué sa vie pour elles… »
A Saint-Patrice, Yvonne est très vite devenue « Maman Pierre » pour Denise et Fanny. Dans son témoignage écrit pour l’attribution de la médaille des Justes, Fanny raconte : « Je n’ai que de bons souvenirs de cette période. J’ai été très chouchoutée. Les Pierre tenaient le café-restaurant de Saint-Patrice. Nous dormions dans une des chambres de la maison. Ce café était situé en face du château. Le châtelain, qui avait suffisamment d’éducation, savait ou avait deviné que les deux fillettes venant de Paris et hébergées chez les Pierre étaient juives. Denise et moi jouions avec ses enfants dans le parc du château. »
Des quatre protagonistes de cette histoire, le couple Pierre et les deux filles, seule Fanny est encore en vie, à 83 ans, mais avec une santé bien fragile. Elle n’en est pas moins à l’origine de la démarche pour une reconnaissance de Justes parmi les Nations, aidée par sa fille Béatrice. Et même s’il nous paraît bien tardif (« Maman Pierre » est décédée en 1979), cet hommage rendu à sa grand-mère est très précieux pour Chantal : « Les démarches sont très lentes et compliquées, il faut recueillir beaucoup de témoignages, obtenir l’accord d’Israël. Il a fallu beaucoup de courage à Fanny et Béatrice pour y parvenir. Mais au final, c’est une reconnaissance incroyable pour ce qu’a fait ma grand-mère, une démarche inestimable. Peu de gens sont ainsi honorés. »
L’Indre-et-Loire est un département qui compte un nombre assez élevé de Justes parmi les Nations, une soixantaine selon François Guguenheim. Ce qui peut notamment s’expliquer par le tracé de la ligne de démarcation. Mais, « les Justes inconnus sont peut-être aussi, voire plus nombreux que les Justes connus. De nombreuses personnes ont sauvé des Juifs pendant la guerre, sans que personne n’entame de démarches pour les honorer. Nous veillons à ne pas les oublier. ».