Hérétiques ou héroïnes, ces femmes issues de la royauté ont toutes joué un rôle central dans certaines des histoires les plus importantes de l’Ancien Testament.
À commencer par Ève, les Écritures hébraïques et les livres de l’Ancient Testament nous offrent une fenêtre unique sur la perception du rôle des femmes dans le monde antique. Femmes, mères, sœurs, filles et souveraines (Sarah, Agar, Rachel, Léa et Débora) sont d’importantes figures du périple des tribus hébraïques dont le point culminant est le peuplement de Canaan, qui coïncide avec les actuels territoires israéliens et palestiniens. Dans leur sillage, alors que leur peuple s’unissait, se divisait et se retrouvait contraint à l’exil, d’autres femmes ont occupé une place centrale dans le récit des malheurs de leurs pairs. En tant que femmes de pouvoir, ces figures féminines ont également joué le rôle de symboles, en incarnant l’exemplarité, l’espoir ou le vice.
Reine d’Israël
Épouse et mère de roi, Bethsabée fut la reine d’un âge d’or, le royaume de David. Une fois les descendants d’Abraham libérés de l’esclavage et conduits hors d’Égypte par Moïse, celui-ci conclut une alliance avec Dieu en acceptant de suivre ses commandements ; en retour, les Hébreux recevront la terre de Canaan. Après avoir surmonté diverses épreuves, ils s’y installent et se rassemblent sous l’égide d’un roi appelé Saül, que les écrits situent vers 1020 avant Jésus-Christ. Sous son règne, Israël gagne en puissance et une réalité s’impose : avec la royauté vient le pouvoir, mais aussi la corruption.
David succède à Saül sur le trône, c’est un souverain charismatique, mais aisément séduit par la luxure et la vanité. Bethsabée est la fille d’un noble dont s’éprend le roi David après l’avoir épiée alors qu’elle prenait son bain. Bien qu’elle soit mariée au soldat Urie le Hittite, le roi la séduit et la jeune femme tombe enceinte. Espérant sa mort, David envoie Urie en première ligne sur le champ de bataille, où son vœu est exaucé.
L’Ancien Testament ne donne aucune information sur les sentiments de Bethsabée ; il semble qu’elle n’ait pas vraiment eu son mot à dire. À la mort de son mari, Bethsabée épouse David et devient reine. En revanche, le texte est plutôt clair quant à l’opinion de Yahvé sur les actions de David.
Après leur mariage, David et Bethsabée ont un second enfant, un fils baptisé Salomon. Afin d’asseoir son pouvoir, David multiplie les unions, en prenant une épouse pour chacune des douze tribus d’Israël et de certains alliés étrangers. Les enfants que David aura avec elles entreront en rivalité avec le fils de Bethsabée pour le trône. Adonias, fils de Haggith, est l’aîné des fils de David et a donc la priorité dans la ligne de succession. Alors que David est encore sur son lit de mort, le prophète Nathan apprend qu’Adonias se proclame déjà roi. Sur les conseils de Nathan, Bethsabée se rapproche de son mari souffrant pour assurer la succession de Salomon et parvient à offrir le trône d’Israël à son fils.
Reines de l’idolâtrie
Le règne du roi Salomon fut célébré pour sa sagesse et ses ambitieux projets de construction, notamment celle du Temple de Jérusalem. À la mort du roi, le royaume juif est divisé en deux : Israël au nord et Juda au sud, Jérusalem occupant une place centrale.
Selon des sources assyriennes, c’est le roi Omri qui aurait régné sur le royaume d’Israël au début du 9e siècle av. J.-C. C’était un personnage puissant à l’échelle régionale, mais il n’avait pas proscrit l’adoration d’autres divinités. Omri autorisait le culte de Baal, dieu cananéen de l’orage, en plus de Yahvé.
Princesse phénicienne n’adhérant pas à la foi hébraïque, Jézabel devient la femme du fils et successeur d’Omri, le roi Achab, qui a réglé sur le royaume d’Israël autour de 874 av. J.-C. En tant que reine, Jézabel s’implique dans les affaires d’État, notamment dans l’achat de terres pour la couronne.
Achab souhaite acquérir un vignoble voisin de son palais, mais le propriétaire, Naboth, refuse de lui vendre. Le vignoble fait partie de l’héritage de sa famille et la loi israélite interdit la vente en dehors du cercle familial. Face au mécontentement du roi, Jézabel élabore un plan et lance à son mari : « Est-ce bien toi qui exerces aujourd’hui la royauté sur Israël? Lève-toi, prends de la nourriture et sois de bonne humeur; c’est moi qui te procurerai la vigne de Naboth, le Jezreélite » (1 Melahim 21:7)
Jézabel écrit alors des lettres sous le sceau de son mari et invite Naboth à un banquet, où elle demande à deux de ses hommes de l’accuser de blasphème. Un procès s’ensuit, Naboth est condamné et lapidé ; Achab obtient le vignoble dont il rêvait. Cependant, l’épisode est utilisé pour montrer à quel point le royaume du nord a perdu la tête : son roi se laisse mener par une étrangère.
Les auteurs de l’Ancien Testament condamnent par-dessus tout l’influence religieuse de Jézabel. Elle soutient le culte de Baal, ce qui attise la colère du prophète Élie. Celui-ci lance alors un défi public aux prêtres de Baal : demander à leur dieu de faire tomber la pluie et s’abattre la foudre. Après leur échec, Élie se tourne vers Yahvé et parvient à invoquer un déluge, après quoi le prophète ordonne l’exécution des prêtres de Baal.
Lorsque Jézabel découvre les agissements du prophète, elle le menace et il fuit en exil. Avant de partir, Élie fait une dernière prophétie à Achab et Jézabel : «Tu m’as donc atteint, ô mon ennemi? Je t’ai atteint, répondit-il, parce que tu t’es livré toi-même en faisant ce qui déplaît à l’Eternel. Eh bien! Moi, je susciterai le malheur contre toi, je balaierai tes derniers vestiges, je ne laisserai point subsister d’Achab la plus infime créature, ni retraite, ni ressources en Israël.» (1 melahim 21:20-21). Peu de temps après, Achab trouve la mort au combat. Le fils d’Achab et Jézabel, Joram, accède au trône d’Israël, mais il est détrôné par un commandant militaire, Jéhu. Après avoir tué Joram, Jéhu rejoint la cité de Jezreel pour affronter Jézabel. La reine est enfermée puis jetée par une fenêtre du haut d’une tour.
La victoire de Jéhu sur Joram est considérée comme étant attestée par l’un des plus grands trésors de l’archéologie biblique : la stèle de Tel Dan. Découverte en 1993 au nord d’Israël, la stèle datant du 9e siècle av. J.-C présente des inscriptions en araméen commémorant la victoire d’un roi sur un « roi d’Israël » et un roi de « la Maison de David. » Ces fragments constituent la toute première mention archéologique de la Maison de David, ce qui en fait une trouvaille exceptionnelle. Aucun fragment portant les noms spécifiques de ces rois n’a été découvert, mais les spécialistes pensent que le roi déchu d’Israël serait le fils de Jézabel, Joram.
L’héritage de Jézabel sera perpétué par sa fille, Athalie. Dans l’espoir de bâtir des relations entre les royaumes divisés du nord et du sud, Athalie épouse le roi de Juda, prénommé Joram comme son frère, et devient reine. Leur fils Ochozias hérite du trône, mais il est assassiné. Suite à la mort de son fils, Athalie massacre l’ensemble des prétendants au trône et s’empare du pouvoir. Seul son petit-fils Joas échappe à cette folie meurtrière grâce aux efforts pour le dissimuler. Il est élevé par le grand prêtre Joad, plus tard à l’origine d’une révolte contre la reine.
Athalie est la seule femme à avoir exercé le pouvoir en tant que reine de Juda à part entière. À l’instar de sa mère, elle était une adepte du culte de Baal, même si elle n’a pas mis fin pour autant à l’adoration de Yahvé. Son soutien pour le culte cananéen lui a attiré les foudres du prêtre hébreux et de ses fidèles.
D’après les spécialistes, le prêtre aurait mené une insurrection contre la reine Athalie à la fin du 9e siècle av. J.-C. Après avoir assisté au couronnement de son petit-fils Joas au temple, elle est exécutée dans l’enceinte du palais. Juste après sa mort, le peuple s’empresse de détruire le temple de Baal et tue l’un de ses prêtres.
Les histoires de Jézabel et Athalie font office de mise en garde. Le plus impardonnable des péchés commis par ces femmes n’était pas l’ambition, mais leur manquement à l’adoration exclusive de Yahvé. Par leur soutien au culte de Baal, elles sont devenues des objets de mépris.
Reine salvatrice
Au cours du siècle qui a suivi les règnes de Jézabel et Athalie, les royaumes du nord et du sud ont été confrontés à une menace extérieure. Au 8e siècle av. J.-C, le royaume d’Israël était dirigé par les Assyriens, puis ce fut au tour du royaume de Juda au 7e siècle av. J.-C lorsque Sennachérib assiégea Jérusalem. Comme le relate le Second Livre des Rois, Dieu envoya l’Ange vengeur massacrer l’armée de Sennachérib et Jérusalem fut sauvée.
Vers 600 av. J.-C, les Assyriens avaient déposé les armes face au royaume de Babylone. Cette nouvelle puissance allait bientôt s’intéresser à Juda et conquérir le royaume. Jérusalem fut détruite par Nabuchodonosor II en 586 av. J.-C et l’élite de Juda dut s’exiler à Babylone.
Au lieu de détruire l’identité hébraïque, l’Exil contribua à façonner de nombreux piliers du judaïsme. C’est à cette période, dans l’obligation de « chanter les cantiques de l’Éternel sur une terre étrangère », que la volonté de construire l’histoire nationale juive émergea. Les spécialistes pensent que les Livres des Rois et d’autres livres de l’Ancien Testament ont été assemblés pendant l’Exil afin de donner un sens au traumatisme qui avait frappé ce peuple.
En 538 av. J.-C, le souverain perse de Babylone, Cyrus le Grand, autorise les juifs à regagner le royaume de Juda. Bon nombre d’entre eux décident toutefois de rester à Babylone, une communauté qui donnera naissance à l’histoire d’Esther, racontée dans le livre biblique éponyme. Par sa beauté et son intelligence, Esther s’attire les grâces du roi perse Assuérus (peut-être Xerxès Ier, bien que les historiens n’associent pas Assuérus à un roi spécifique) et devient sa reine en lui cachant ses origines juives.
Entre-temps, un cousin d’Esther et membre de la cour, Mardochée, entend parler d’un complot contre le roi et le déjoue. Il suscite la jalousie du vizir, Haman, qui présente de fausses accusations contre les juifs et parvient à convaincre le roi de tuer l’ensemble des juifs de Perse. Pour sauver son peuple, Mardochée persuade Esther de s’interposer.
Au péril de sa vie, Esther révèle qu’elle est elle-même juive et implore le roi de sauver son peuple. Réalisant que le vizir s’était montré déloyal et malhonnête, le roi ordonne sa pendaison, sur la potence même où Haman avait prévu de pendre Mardochée, et fait de ce dernier son nouveau vizir. Le roi Assuérus décrète ensuite que tout juif de l’empire aura le droit de se défendre contre quiconque tente d’exécuter les ordres d’Haman le treizième jour du mois d’Adar, la date retenue par Haman pour le massacre des juifs.
Les universitaires pensent que le Livre d’Esther a probablement été écrit au 2e siècle av. J.-C, bien plus tard que les autres livres de l’Ancien Testament. Par rapport aux autres récits, la différence est flagrante, car Esther agit de façon indépendante sans aucune intervention divine directe. Elle n’est guidée que par son courage et son bon sens, un courage qui inspire la joie et occupe une place centrale dans les festivités juives de Pourim. Chaque année, la communauté juive se remémore Esther comme la reine brillante qui a sauvé son peuple.
Bethsabée, Jézabel, Athalie et Esther sont toutes associées à différentes époques de l’histoire juive, de l’âge d’or du royaume de David à la tourmente d’un royaume divisé par des tensions internes et accablé par les menaces extérieures, sans oublier les risques liés au fait d’être juif pendant la diaspora. Les récits de ces femmes sont autant de rappels de l’alliance conclue entre le peuple juif et Yahvé, des dangers inhérents à sa violation et du devoir que les juifs éparpillés à travers ce vaste monde avaient les uns envers les autres.
Guadalupe Seijas