On lui promettait un effondrement rapide, mais la coalition au pouvoir tient bon en Israël. Benyamin Netanyahou reste sur la touche, pour le moment…
Près d’un an sépare ces deux photos : celle de Benyamin Netanyahou à la Maison-Blanche, tout sourire aux côtés de Donald Trump, pour célébrer les accords de normalisation avec les Émirats arabes unis et le Bahreïn. Une photo pour l’Histoire visant à montrer aux Israéliens et au monde que lui, Premier ministre, a réussi son pari : l’ouverture d’une nouvelle ère de paix au Moyen-Orient, sans pour autant avoir concédé quoi que ce soit aux Palestiniens.
Le second cliché est beaucoup moins glamour. On y voit Benyamin Netanyahou, le désormais chef de l’opposition, à la Knesset, seul dans l’espace réservé aux députés en quarantaine pour cause de pandémie. Il vient de rentrer des États-Unis. Mais, cette fois, il s’agissait d’un séjour privé à Hawaï, dans l’île de Lanaï, propriété d’un de ses amis milliardaires, Larry Ellison, dont lui et sa famille étaient les invités.
Il n’empêche. Ce jeudi 2 septembre, au Parlement israélien, il prononce un discours en forme de réquisitoire contre la loi de finances sur laquelle les députés doivent se prononcer, en première lecture. Son argumentaire : « Ce projet de budget que vous allez voter est cruel pour les pauvres ! » Et peu importe qu’il n’ait fait voter aucune loi budgétaire durant les trois dernières années où il était à la tête du gouvernement. Le plus important, pour lui, est de combattre coûte que coûte ce qu’il considère comme un bric-à-brac politique qui, à ses yeux, n’a aucune légitimité. Un combat destiné à prouver aux Israéliens que, sans lui aux manettes, le pays ne peut qu’aller à vau-l’eau. Ainsi réagit-il à la question qui sous-tend l’actualité en Israël, depuis l’investiture du nouveau gouvernement et son passage à l’opposition : la vie sans Bibi (son surnom), est-ce un cauchemar ou un rêve ? Une menace ou une libération ?
« Un retour à la normalité institutionnelle, politique, économique »
Pour l’économiste Jacques Bendelac, pas de doute : « L’après-bibisme a commencé. » Un changement qui, explique-t-il, s’est fait assez rapidement : « Deux mois après la mise en place du gouvernement Bennett, les signes se sont multipliés d’un mode de gouvernance avec de nouvelles lignes directrices et un retour à la normalité institutionnelle, politique, économique. » Bien sûr, il ne nie pas l’aspect hétéroclite de la nouvelle coalition, « ce qui ne permettra pas de prendre des décisions révolutionnaires, comme une avancée significative dans la résolution du conflit avec les Palestiniens sur la base de la solution à deux États. Mais les changements sont là, qui suffisent à justifier cette coalition : l’adoption par le gouvernement d’un budget pour 2021-2022, la poursuite de la vaccination avec le pari (réussi) de la troisième dose et un approvisionnement en vaccins qui se déroule tout à fait normalement. »
Et en politique extérieure ? « Eh bien, là encore, les signes du changement sont là : Naftali Bennett a donné un nouveau départ aux relations israélo-américaines ; si les désaccords subsistent sur de nombreux dossiers, le dialogue avec les démocrates, délaissé ces dernières années au seul profit des républicains, va reprendre et s’améliorer ; à souligner aussi l’entente Bennett-Biden sur le fait que l’Iran ne doit pas être une puissance nucléaire. Enfin autre tournant : la reprise des contacts avec l’Autorité palestinienne basée sur une nouvelle stratégie : celle du renforcement du Fatah et de l’affaiblissement du Hamas. »
Membre depuis des années du comité central du Likoud, Nuriel, pâtissier à Jérusalem, fait partie du groupe des « Seulement Bibi ». Autant dire qu’il n’arrive pas à digérer son départ. Un véritable désarroi qu’il a accepté d’évoquer pour Le Point : « Lorsque je vois Benyamin Netanyahou à la télévision ou que je le suis sur Facebook, mon cerveau n’arrive pas à intégrer le fait qu’il ne soit plus que le chef de l’opposition. Et en parallèle, j’ai du mal à accepter que Naftali Bennett soit le Premier ministre. C’est un changement trop difficile. » Que reproche-t-il à la nouvelle direction du pays ? Le premier point noir concerne les médias qui, selon lui, vont dans un seul sens : « Sous Benyamin Netanyahou, on nous peignait tout en noir. Aujourd’hui, on est dans le rose à tout-va. Tout est beau ! Tout se passe bien ! »
Triumvirat
L’autre principale critique porte sur la conduite des affaires de l’État. Il a le sentiment qu’aujourd’hui Israël est dirigé par un triumvirat : Bennett et Lapid, l’actuel ministre des Affaires étrangères, alliés à Gantz, le ministre de la Défense. « Lors d’une interview à la veille de la célébration de Yom Kippour, le Jour du Grand Pardon, Bennett a déclaré avoir été opposé à la rencontre entre Gantz et Mahmoud Abbas [le président de l’Autorité palestinienne]. Mais Gantz ayant fait pression, il a finalement donné son accord. Vous croyez que cela a fait du bruit. Pas du tout ! Bennett cède, Gantz fait ce qu’il veut et Lapid multiplie les déclarations. Netanyahou, même si vous n’étiez pas d’accord avec lui, il donnait vraiment le sentiment de diriger, de conduire les affaires du pays. Ce n’est pas le cas avec Naftali Bennett ! »
Toujours très présent dans la vie politico-médiatique israélienne, Benyamin Netanyahou a dans son viseur la deuxième quinzaine de novembre. C’est le moment où, en principe, aura lieu à la Knesset le vote définitif du projet de budget. Pour l’ex-Premier ministre, cela pourrait signer la chute du gouvernement Bennett et son retour à la présidence du conseil. Dans le cas contraire, que fera-t-il ? Démissionnera-t-il du Parlement pour se lancer vers de nouveaux horizons ? Il y a quelques jours, le quotidien indépendant Haaretz a titré sur l’information suivante : l’ex-Premier ministre se serait vu, récemment, offrir un juteux contrat pour faire partie du conseil d’administration d’Oracle, la grande entreprise high-tech appartenant à Ellison, l’ami milliardaire de Hawaï. Pour l’instant, Benyamin Netanyahou dément.