La rentrée, ce n’est pas pour tout le monde. Dans notre pays, de nombreux enfants voient la porte de « leur » école, collège ou lycée se fermer devant eux, parce qu’ils ne sont pas tout à fait comme les autres.
Longtemps, l’Éducation nationale n’a su que faire des enfants en situation de handicap, qu’il soit physique ou moteur. La loi du 11 février 2005, qui donne le droit à tout enfant handicapé d’être scolarisé dans un établissement proche de son domicile, a donc constitué un progrès important, conduisant à ce qu’un plus grand nombre d’enfants soient scolarisés. Mais, comme pour tout le reste au sein de cette détestable machine, le ministère ne veut pas se confronter à cette pénible chose qu’est la réalité.
Ainsi, de nombreux enfants ne bénéficient que de très peu d’heures de cours, parfois seulement une ou deux heures par jour – même s’il est impossible de savoir exactement ce qu’il en est, faute, bien sûr, d’enquêtes précises du ministère sur le sujet. De ce fait, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), qui s’occupe des personnes ayant un handicap mental a dû, pour la troisième année consécutive, lancer son opération #JaiPasEcole, invitant les familles à témoigner sur un site dédié, marentree.org, où figure le slogan « Zéro enfant privé de rentrée ».
Ni formation, ni moyens
Comme me l’a expliqué Françoise, professeure de langues vivantes en collège, aucune formation sur le sujet n’est donnée aux enseignants, ni durant leur formation initiale, ni en formation continue. Elle s’est ainsi retrouvée à devoir accueillir dans sa classe des enfants atteints de différents – ce mot est important – troubles de la vision.
La technique employée par l’Éducation nationale est un grand classique : au début, les enfants étaient accompagnés des professeurs de l’institut spécialisé au sein duquel ils étaient précédemment scolarisés, afin d’aider les profs « classiques ». Mais ils ne sont restés qu’un an, laissant tout le monde se débrouiller après leur départ. Quand je demande à Christine s’il s’agit là d’une logique d’intégration de ces enfants dans le milieu « normal », potentiellement bénéfique à tous, elle se marre, et me répond « économies budgétaires ».
Scolariser un enfant aveugle impose de lui donner des cours à lire en braille. Les profs doivent alors envoyer leur cours à l’avance – deux à trois semaines – à un organisme qui les retranscrit. Mais aucun prof ne sait ce qu’il fera exactement trois semaines à l’avance… Même chose lors des interros, très fréquentes au collège ou au lycée : les élèves composent dans une salle à part, sur des machines à écrire en braille, puis leurs copies sont retranscrites en langue naturelle, et renvoyées à leurs enseignants. Le temps qu’elles leur reviennent, trois semaines se sont écoulées, élèves et profs sont passés à un autre sujet, et le bénéfice de la correction est perdu en large partie.
Les apprentissages sont donc difficiles, retardés, empêchés, et aucune compensation n’est prévue pour l’important « travail invisible » supplémentaire que doivent effectuer les profs. Or celui-ci peut être considérable : comment enseigner la géométrie à un enfant qui ne voit pas, sans formation spécifique ? Florence me raconte le cas de son collègue prof de maths en 6ème ayant cinq élèves avec des troubles différents. Pour l’un, il faut tout transcrire en braille ; pour une autre, il faut tout photocopier en très grand format (papier A3, police Arial 28) ; un troisième a besoin que tout soit imprimé au centre de la page, car il a une vision tubulaire ; etc.
À la fin, le résultat est terrible : pendant ses 15 années passées dans ce collège, qu’elle a désormais quitté, Florence n’a le souvenir que d’un seul enfant poursuivant sa scolarité au lycée, les autres – de l’ordre d’une dizaine accueillie dans l’établissement chaque année – abandonnent dès la fin du collège. Un résultat invraisemblable pour un trouble aussi « facile » à gérer que la cécité, pour lequel les nouvelles technologies permettent de travailler tout à fait normalement, grâce aux logiciels de lecture, d’écriture, de reconnaissance vocale, etc., qui existent depuis des années.
Mais voilà, encore faut-il vouloir s’adapter à une réalité plus forte que soit. Or « s’adapter » est un mot que Jean-Michel Blanquer Le Très Grand Rigide ne prononcera jamais. Et donc, du côté des parents, c’est la colère, la résignation, des vies de couple qui se brisent, des pères et des mères qui doivent cesser de travailler tellement s’occuper de leur enfant leur prennent du temps, de l’énergie, leur cause des soucis, de la souffrance mentale.
« Une charge supplémentaire »
Catherine me raconte la scolarisation de sa fille Alexia, aujourd’hui adulte, qui a perdu progressivement toute audition – ce qui ne l’empêche pas, aujourd’hui, de pouvoir converser normalement grâce à la lecture sur les lèvres, au point qu’elle parle couramment cinq langues !
Au moins, Alexia a-t-elle pu suivre une scolarité classique. Mais, à chaque rentrée, sa mère a dû faire le tour des chefs d’établissement, des professeurs principaux, de tous les profs de sa fille, afin d’expliquer la nature du trouble de sa fille, et dire aux profs ce qu’ils doivent faire – parler face à elle, en articulant si possible – et ne pas faire – lui tourner le dos quand ils font la classe. Et aussi les prévenir qu’Alexia leur demandera souvent de répéter, etc.
Or, en tant qu’enseignant moi-même, ce qui me brise le cœur, c’est d’entendre Catherine me dire qu’au cours de la scolarité de sa fille, de la maternelle au supérieur, elle n’a à peu près jamais bien été reçue par les profs. Tous la voyaient comme une charge supplémentaire, une source de problèmes. Pas d’empathie, pas de question sur la santé mentale de sa fille, sur les problèmes posés aux parents, sur la façon dont l’« école de la République » pouvait les aider, elle et sa fille. Non.
Loin des délires du Figaro Magazine et de Marianne sur les « pédagogues permissifs » qui auraient envahi les écoles, l’Éducation nationale reste une institution froide, un moule auquel chacun est prié de s’adapter. Et qui arrive à rendre malheureux un très grand nombre de personnes qui y prennent part, qu’ils soient enseignants, élèves, ou personnels administratifs et techniques. Allez, bonne rentrée à tous – enfin, celles et ceux qui peuvent.