Ni les policiers, chargés de faire appliquer la loi, ni les parlementaires ne sont soumis à l’obligation vaccinale ou au pass sanitaire. Explications.
C’est un peu le syndrome du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Alors que, depuis lundi, près de 2 millions de salariés sont soumis au pass sanitaire, dans un nombre étendu de lieux accueillant du public (cinémas, restaurants, établissements sportifs et culturels, foires et salons, transports…), les policiers chargés de faire appliquer la loi ne sont, eux, soumis à aucune obligation vaccinale. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a certes haussé le ton, il y a quelques jours, menaçant d’y contraindre ses troupes si le taux de vaccination n’atteignait pas rapidement les 90 %, dans les rangs de la police. Mais pour l’heure, Gérald Darmanin préfère l’incitation à la coercition.
« On ne va pas pouvoir tenir cette position bien longtemps », reconnaît un syndicaliste de la « maison ». Une « position » d’autant plus difficile à « tenir » que le personnel de santé, les ambulanciers mais aussi les pompiers et – derniers sur la liste – les gendarmes sont, eux, soumis à l’obligation vaccinale, dans des délais plus ou moins rapprochés. Comme tous les militaires, les gendarmes – qui remplissent les mêmes missions que la police – devront être ainsi vaccinés d’ici au 15 septembre, ainsi que l’a ordonné le major général Bruno Jockers, dans une note du 17 août. Cette instruction met en avant « le devoir d’exemplarité » des gendarmes dans leur mission de sécurité publique, laquelle englobe le contrôle des mesures sanitaires. « Contrôler et, le cas échéant, sanctionner les citoyens en infraction avec la loi sur le pass sanitaire, sans être soi-même soumis à l’obligation vaccinale, c’est tout simplement indéfendable », souffle un officier en poste à la Direction de la gendarmerie nationale. Une allusion à peine voilée, et un tantinet sarcastique, à l’option « facultative » laissée à ce jour aux policiers.
Différence de statut
Pour justifier cette différence de traitement, le ministère de l’Intérieur invoque des difficultés d’ordre statutaire et juridique : si une instruction hiérarchique a suffi à l’imposer aux militaires, il faudrait une loi pour contraindre les policiers – qui appartiennent aux forces civiles – à se faire vacciner. Une autre raison, moins avouable, expliquerait ce régime à deux vitesses : la peur des syndicats. Puissants dans la police nationale, ils sont inexistants dans la gendarmerie, et pour cause : la Grande Muette impose à ses troupes un strict devoir de réserve et de neutralité. En d’autres termes, le silence dans les rangs ! Une note du ministère de l’Intérieur, auquel les gendarmes sont rattachés fonctionnellement, a d’ailleurs rappelé au commandement qu’aucune opposition à la politique sanitaire du gouvernement ne serait tolérée dans la maréchaussée.
S’agissant de la police, c’est autre chose. Les syndicats, eux, ont voix au chapitre. Bien que très majoritairement favorables à la vaccination, ils refusent d’entendre parler d’obligation, soucieux de ne pas froisser leur base, qui y serait hostile. Pas question de prendre le risque de tendre à nouveau les relations entre la police et le gouvernement… La fronde qui s’était levée en décembre dans les commissariats, après les déclarations du chef de l’État sur les « contrôles au faciès » et les discriminations, semble s’être calmée. Un rien pourrait la relancer, ce que l’exécutif veut éviter à tout prix, à quelques mois de la présidentielle. Quitte à prendre le risque de susciter l’incompréhension, dans l’opinion. « Les policiers sont très majoritairement vaccinés, on ne voit pas l’intérêt qu’il y aurait à imposer quelque chose qui se fait naturellement », défend Olivier Varlet, secrétaire général de l’Unsa-Police. « Cette mesure serait d’autant moins bien acceptée que lorsque la campagne de vaccination a démarré, début 2021, le statut de personnel prioritaire que réclamaient nos collègues leur a été refusé », rappelle-t-il.
Du reste, les commissariats, bien qu’accueillant du public, ne figurent pas dans la liste des lieux où le pass sanitaire est requis. « Plutôt que de parler d’obligation ciblée, le gouvernement devrait avoir le courage d’étendre l’obligation vaccinale à toute la population. Les policiers sont légalistes, ils se plieraient à la règle, comme n’importe quel autre citoyen », plaide encore Olivier Varlet.
Le ministère de l’Intérieur avance le chiffre de 70 % de policiers complètement vaccinés (deux doses), à ce jour. Olivier Varlet (Unsa-Police) assure que près de 90 % des fonctionnaires auront reçu fin septembre une première injection, mais ces chiffres ne sont que des estimations, établies à partir des « remontées » des chefs de service. « Pour les CRS, ces données sont très fiables, car nos collègues chargés du maintien de l’ordre ont l’obligation de présenter un pass sanitaire lorsqu’ils logent à l’hôtel, durant leurs déplacements », corrige Olivier Varlet.
« Pourquoi nous et pas eux ? »
Reste que la politique du « deux poids, deux mesures » passe mal, notamment chez les gendarmes et les pompiers. « Pourquoi nous et pas eux ? Après tout, nous intervenons sur les mêmes lieux, avec des missions proches », s’indigne le syndicat Sud-Sdis (services départementaux d’incendie et de secours).
Un client (ou un employé) dans l’incapacité de présenter un pass sanitaire dans une salle de spectacle ou sur la terrasse d’un restaurant est-il en mesure d’exiger que le policier qui le verbalise (135 euros) lui présente le sien ? La réponse est non. Le policier peut-il s’introduire dans un tel lieu sans disposer du précieux sésame ? Il semble que oui. Ce type de situation, quelque peu baroque, est propice aux contestations. « Nous n’avons pas de “retour terrain” faisant état de difficultés particulières liées au contrôle des pass », assure-t-on Place Beauvau.
L’exemplarité ? « C’est un autre problème », indique un fonctionnaire en poste à la Direction générale de la police nationale. « J’entends le questionnement, qui est légitime. Mais d’un point de vue scientifique, on est en droit de s’interroger : une mesure d’obligation vaccinale ferait-elle sens, comme c’est le cas pour les soignants ? La question se pose, car, après tout, il ne s’agit que de vérifier un flashcode, ce qui n’implique pas un contact physique prolongé. »
Le ministre va-t-il jouer la montre ou, au contraire, mettre sa menace à exécution en faisant voter une loi pour imposer la vaccination à ses troupes ? « Tout dépendra de l’évolution de l’épidémie et des mouvements de l’opinion », reconnaît-on dans son entourage.
Immunité parlementaire
La question de l’exemplarité se pose aussi à l’autre bout de la chaîne, en amont, du côté du législateur. Les députés et les sénateurs qui, fin juillet, ont voté la loi étendant le pass sanitaire aux salariés des lieux accueillant du public et imposant la vaccination obligatoire aux soignants se sont dispensés d’appliquer ces mesures à eux-mêmes. « L’hémicycle n’a pas vocation à accueillir du public », justifie-t-on dans l’entourage du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Celui-ci avance un autre argument : toute mesure contraignante pourrait entraver le libre exercice du mandat parlementaire et, partant, se heurter à un risque d’inconstitutionnalité.
L’exemplarité ? « Je comprends la question, mais l’exemplarité, un mot que l’on a tendance à mettre à toutes les sauces, consiste d’abord à se soumettre à la loi, ce que font les députés et les sénateurs. Au fond, la question n’est pas tant d’être exemplaire qu’efficace », se risque un conseiller du président Ferrand. « Quand je rentre dans ma circonscription, je prends le TGV ; je dois alors présenter mon pass sanitaire comme n’importe quel autre voyageur », plaide un député du Grand-Est. « À la fin de la session, début juillet, le président a convié les élus à un pot de l’amitié. Il s’agissait, en l’espèce, d’un moment récréatif ; Richard Ferrand n’a pas alors manqué d’imposer le pass aux participants », ajoute un conseiller de la présidence. Nous voilà rassurés.
Par Nicolas Bastuck