L’infectiologue contesté va quitter mardi ses fonctions hospitalières. Un départ dû en partie à des règles administratives, mais aussi à ses propos peu appréciés par la direction des hôpitaux de Marseille. Ses dernières déclarations sibyllines sur les risques liés aux vaccins l’ont encore davantage isolé.
Celui qui aime se présenter comme le chercheur français le plus connu au monde est aussi parfois un homme comme les autres, c’est-à-dire un salarié devant supporter les règles administratives de tout un chacun. Ainsi, Didier Raoult, né le 13 mars 1952, sera-t-il automatiquement mis à la retraite l’année de ses 69 ans, comme le veulent les règles du monde hospitalier universitaire. Mardi, il basculera dans le monde des «pensionnés» de la République.
Serait-ce la fin d’une saga franco-française ahurissante qui aura jalonné l’épidémie de Covid-19 ? Pas sûr. Avec le promoteur de l’hydroxychloroquine (un médicament dont l’efficacité contre le Sars-CoV-2 n’a jamais été démontrée), rien ne peut se passer comme prévu. D’autant que son départ intervient après des déclarations ambiguës sur les liens entre vaccination et épidémie, relativisant l’efficacité de la première, alors même que l’incidence du Covid-19 est particulièrement élevée à Marseille. «Nous avons dû transférer plus de dix patients de réanimation vers d’autres régions», lui répond François Crémieux, le nouveau directeur des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM).
François Crémieux : voilà la nouvelle bête noire de Didier Raoult. «Il est arrivé en juin, tempête le Marseillais. Il a viré mon collaborateur Eric Chabrière. Il ne veut pas me prolonger dans mes fonctions. On a l’impression qu’il est venu faire le ménage», a-t-il encore asséné la semaine dernière sur CNews, ajoutant comme «preuve» de cette guerre déclarée que Crémieux est un proche de Martin Hirsch, directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), son ennemi. L’intéressé, lui, conteste toute affaire personnelle : «Jamais on ne m’a parlé de Didier Raoult lors de ma nomination.»
«Tourner la page»
Décortiquons la situation. Le couperet de la retraite est tombé sur le professeur marseillais très administrativement, et nul ne peut y échapper. Mais deux aménagements existent pour les médecins universitaires. D’abord, comme médecin, ils peuvent bénéficier du système cumul emploi-retraite. «C’est une possibilité offerte à tous, explique le ministère de la santé. Cela dépend du directeur de l’hôpital, ce n’est pas une grosse question financière, puisque ledit médecin toucherait 4 000 euros par an. Mais il pourrait continuer ses consultations.» De fait, peu d’espoir : la direction générale de l’AP-HM comme la direction médicale ne sont pas favorables à accorder cette rallonge à Raoult, vu les tensions passées.
Deuxième volet, la nomination comme «professeur émérite». Dans les textes, il est spécifié que «les professeurs admis à la retraite peuvent, pour une durée déterminée par l’établissement, recevoir le titre de professeur émérite par décision du conseil d’administration prise à la majorité des membres présents». Les professeurs émérites peuvent diriger des séminaires, des thèses et participer à des jurys de thèse ou d’habilitation. Didier Raoult va-t-il en bénéficier ? La réponse n’est pas évidente : dans le monde hospitalo-universitaire marseillais, certains soulignent qu’avant le Covid, Didier Raoult était, du moins dans sa spécialité, la microbiologie, un chercheur reconnu et productif. «C’est ouvert», lâche un bon connaisseur. Et cela devrait être tranché rapidement.
Reste un dernier dossier, le plus important symboliquement, puisqu’il s’agit du poste de directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée, que Didier Raoult occupe depuis sa création en 2011. Une structure en partie autonome, avec un conseil d’administration (CA) qui a tout pouvoir. Le directeur de l’AP-HM, François Crémieux, n’y dispose que d’une voix sur dix-huit, au milieu de personnalités variées, comme l’ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, ou le président de la région Paca, Renaud Muselier. Sa présidente, Yolande Obadia, une proche de Raoult, est visée par une enquête préliminaire sur un possible conflit d’intérêts entre l’IHU et l’IRD (Institut de recherche et de développement), que présidait son mari. Une première réunion du CA devrait se tenir à la mi-septembre. Le directeur de l’AP-HM, comme le président de sa commission médicale d’établissement, Jean-Luc Jouve, sont partisans de «tourner la page» Raoult et «de lancer au plus vite un processus de nomination pour le nouveau directeur».
A Marseille, une «couverture vaccinale assez marginale» ?
Didier Raoult, lui, veut rester encore quelques mois pour assurer la transition. Le pourra-t-il ? Ses dernières déclarations polémiques n’ont pas joué en sa faveur. Ainsi, dans une dernière vidéo, il a affirmé que «globalement, la protection vaccinale contre les variants est modeste en termes d’épidémiologie». Des propos qui ont fait réagir Jean-Luc Jouve : «La position qui consiste à dire que la vaccination a des effets douteux est inacceptable… Là, il y a une incompréhension du corps médical vis-à-vis de notre collègue Didier Raoult.» Pour ce médecin universitaire au poids important, «ces déclarations ont même peut-être une responsabilité dans le fait que, dans les quartiers Nord, la couverture vaccinale est assez marginale [seulement 35 % de primo-vaccinés dans le 15e arrondissement de Marseille, ndlr]. Ce discours, lorsqu’il est porté de cette manière, peut être mal interprété par les gens qui ont un accès plus difficile à l’information, soit souvent les gens indigents.» Faut-il rappeler qu’en outre, à Marseille, le taux de vaccination du personnel soignant est un des plus faibles de France ?
Autre nuage pour Didier Raoult, le relatif silence de ses soutiens habituels. Comme si le vent hésitait. Ainsi, pas un mot d’appui du président LR du conseil régional, Renaud Muselier, ni de Martine Vassal, la présidente de la Métropole d’Aix-Marseille. Quant à Michèle Rubirola, maire adjointe de Marseille, elle reste extrêmement mesurée. Que va faire le très influent institut Mérieux, qui est au conseil d’administration de l’IHU ? Et Jean-François Delfraissy, présent en tant que personnalité qualifiée, que Raoult a ouvertement méprisé lors de la visite d’Emmanuel Macron, le 9 avril 2020 ? Au final, seul Stéphane Ravier, sénateur RN des Bouches-du-Rhône, le soutient publiquement. Sans oublier Florian Philippot, chef de file des Patriotes, qui a fait de la défense du Marseillais son argument principal de campagne contre le pass sanitaire. Des appuis certes, mais encombrants.
Par Eric Favereau