La troisième puissance économique mondiale a été largement félicitée à l’étranger pour la tenue des JO en pleine pandémie. Et depuis ? Des ambulances tournent en rond sans trouver d’hôpital d’accueil pour des malades Covid-19. Le système médical est à terre.
A Tokyo, entre le 2 et le 15 août, sur 3927 requêtes de transport d’urgence à l’hôpital de malades Covid-19, 2373 ont été refusées faute de place, soit 60 % des demandes. Et parmi les chanceux accueillis, il a fallu plus de cinq heures à 50 d’entre eux pour être accepté à l’hôpital. Rien que dans la région de Tokyo et des trois départements limitrophes, Kanagawa, Saitama et Chiba, ce sont plus de 60 000 patients – 22 000 à Tokyo – qui sont soignés à domicile et plus de 12 000 autres qui attendent un lit médical rien que dans la capitale.
Certains sont dans un état critique. Certains n’en réchappent pas. Et ce ne sont pas uniquement des personnes âgées. Un trentenaire, une quadragénaire et deux quinquagénaires sont morts chez eux. On en compte des dizaines d’autres encore. Dans le département voisin de Chiba, une femme enceinte de huit mois, contaminée, a accouché prématurément chez elle. Aucun hôpital pour l’accueillir, le bébé est mort.
Le variant delta fait des ravages à l’échelle nationale, les médecins crient au désastre. Un à un, les 47 départements voient les records journaliers de contaminations pulvérisés. Les quatre premières vagues sont passées, de justesse parfois – la quatrième au printemps a terrassé le système de soins à Osaka –, mais la cinquième vague est beaucoup plus désastreuse. Les hôpitaux n’accueillent pas suffisamment les personnes atteintes de maladies infectieuses. Et la loi n’a pas évolué d’un iota pour corriger cela. Les gouverneurs demandent un confinement : l’exécutif juge que c’est impossible en vertu de la Constitution. L’état d’urgence est décrété dans treize départements, dont Tokyo depuis le 12 juillet, mais il n’a plus d’urgence que le nom et plus personne ou presque ne sait ce que cela signifie, à part que les restaurants sont censés fermer à 20 heures et ne plus servir d’alcool.
Lapsus révélateur
Bien malin qui pourrait le deviner en sillonnant les quartiers de Shibuya, Shinjuku, Ikebukuro ou Roppongi. Ce sont devenus des zones d’indiscipline. «Si les indemnités suivaient, ça inciterait à obéir», répond un serveur. La population n’y comprend plus rien. Au temps du premier état d’urgence, en avril 2020, les grands magasins, sites de loisirs, musées, centres commerciaux étaient fermés. Rien de tout cela cette fois. Il faut aider financièrement, ça coûte cher à l’Etat. Il regimbe. Pour le Premier ministre Yoshihide Suga, opposé au confinement, la vaccination devait être LE remède absolu. Il a tout misé dessus. Mais seulement 33 % de la population est totalement vaccinée. Sa langue fourche, il dit donner «la priorité totale à l’expansion des infections», son entourage corrige. Son scénario optimiste d’un recul très important des contaminations une fois atteint les 40 % de vaccinés perd chaque jour un peu plus de sa crédibilité. «Beaucoup de contaminés, peu de morts, pas de problème», disent ses soutiens. En oubliant qu’il y a toujours un délai de plusieurs semaines entre l’annonce des infections et les décès. Il n’y a jamais eu autant de malades sous respirateurs et poumons artificiels à Tokyo et à l’échelle nationale.
Cette vague sévit très durement depuis les Jeux olympiques. C’est un fait, ça n’a jamais été pire avant. «Aucun lien, les JO se sont terminés sans dommages, c’est un succès», tranche Seiko Hashimoto, la présidente du Comité d’organisation Tokyo 2020. Les experts ne sont pas d’accord : «nous pensons que les JO ont eu une influence sur les flux de personnes et ont brouillé le message de mise en garde», juge le professeur Shigeru Omi, le principal épidémiologiste consulté par l’exécutif. Faux, réplique la gouverneure de Tokyo. Fermez le ban.
131 cas parmi les personnes liées aux Jeux paralympiques
Et, après le président du Comité International Olympique, Thomas Bach, et les JO «sans risque», voilà Andrew Parsons, le président du Comité international des Jeux paralympiques, censés débuter le 24 août, qui entre en piste. Il répond à la chaîne de télévision japonaise TBS le 19 août, jour où 5 386 nouveaux cas ont été recensés dans la capitale : «même si le nombre de patients Covid-19 augmente à Tokyo, nous pouvons organiser des Jeux Paralympiques sûrs, car nous avons la certitude qu’il n’y a pas de corrélation entre l’intérieur de la bulle sanitaire et ce qui se passe à l’extérieur dans la société». En d’autres termes, peu importe la situation Covid-19 à Tokyo, dans la bulle c’est sûr, donc pas de problème. Tant pis pour ceux qui pensaient que l’esprit olympique signifiait humanité, morale, conscience sociale, responsabilité.
Lesdits paralympiques n’ont d’ailleurs pas encore commencé que déjà 131 cas Covid-19 sont recensés parmi les personnes liées, dont quatre athlètes. Les sportifs étrangers doivent le savoir : s’ils tombent malades au Japon, ils n’ont aucune garantie d’y être hospitalisés. Il n’y a pas de lits réservés. Les hôpitaux désignés ne veulent pas accepter en priorité des athlètes ou autre personnel des Paralympiques alors qu’ils sont contraints de refuser d’autres malades. La municipalité de Tokyo envisage selon la presse de convertir des sites olympiques en lieux médicaux… après les Paralympiques.