L’Assistance publique de Marseille et Aix-Marseille Université, membres fondateurs de l’IHU Méditerranée Infection, annoncent ne pas vouloir prolonger le mandat du microbiologiste.
Fin de partie à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) pour Didier Raoult ? Le professeur marseillais, au cœur de multiples polémiques depuis le début de la pandémie de Covid-19, pourrait prochainement se voir invité à quitter la direction de l’IHU Méditerranée Infection, qu’il a créé et qu’il pilote depuis 2011.
Dès le mois de septembre, le nouveau directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), François Crémieux, et le président d’Aix-Marseille Université (AMU), Eric Berton, représentant deux des membres fondateurs de l’IHU, proposeront au conseil d’administration de la fondation qui pilote l’institut et à sa présidente, Yolande Obadia, une très proche de Didier Raoult, de lancer un appel d’offres pour trouver un successeur au microbiologiste de 69 ans.
« Il y a un besoin de tourner une page et d’organiser l’avenir de l’IHU pour les vingt ans à venir. Il faut aller vite, lancer le processus à l’automne pour aboutir entre la fin de l’année et le début 2022. Nous sommes en pleine pandémie mondiale, et nous avons besoin de cet institut, qui est un formidable outil, et de ses chercheurs », explique François Crémieux, ancien directeur adjoint de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), nommé à la tête de l’AP-HM en juin.
Au 31 août 2021, rattrapé par la retraite, Didier Raoult, ne sera plus professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) au sein d’Aix-Marseille Université et des Hôpitaux universitaires de Marseille. S’il a fait parvenir à la direction de l’AP-HM une demande de cumul emploi-retraite, l’Assistance publique ne prévoit pas de lui accorder cet aménagement. « La commission médicale de l’AP-HM ne voit pas d’objet à prolonger Didier Raoult, ne serait-ce que pour deux journées et demie par semaine, comme il le demande. Il y a largement les équipes nécessaires, à l’IHU, pour que son départ soit comblé », assure le professeur Jean-Luc Jouve, président de la commission médicale d’établissement (CME).
Succession « programmée depuis trois ans »
Du côté de l’université, le président, Eric Berton, confirme lui aussi que Didier Raoult sera un retraité début septembre, et qu’il est « l’heure de préparer sa succession dans la clarté ». « Au-delà de la personnalité de son directeur fondateur, il y a eu une continuité de l’IHU qu’Aix-Marseille Université tient à maintenir. Nous allons poser le processus sur la table et voir comment les autres membres fondateurs se positionnent », poursuit M. Berton.
Le maintien de Didier Raoult à la direction de l’IHU, piloté par une fondation privée, ne répond pas aux mêmes critères d’âge que son statut de professeur. « Il pourrait rester en poste, concède François Crémieux, mais il n’est pas raisonnable que l’IHU soit dirigé par quelqu’un qui n’est plus ni praticien hospitalier ni universitaire. » Comme Eric Berton, le directeur général de l’AP-HM souhaite qu’un appel d’offres international soit rapidement diffusé, afin de recruter « un chercheur ou une chercheuse, légitime, charismatique et reconnu(e) par ses pairs dans le domaine des maladies infectieuses ».
Au conseil d’administration de l’IHU, tous deux devront convaincre les représentants des autres membres fondateurs encore présents – outre l’AP-HM et AMU, le service de santé des armées, l’Institut Mérieux, l’Etablissement français du sang, mais aussi l’Institut de recherche et développement (IRD), dont les rapports avec l’IHU ont donné lieu à une enquête de l’agence anticorruption et à l’ouverture d’une procédure au parquet de Marseille – et une série de « personnalités qualifiées », parmi lesquelles le président (Les Républicains) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier.
Sollicité par Le Monde, Didier Raoult n’a pas souhaité commenter ces informations. La direction de l’IHU annonce qu’elle communiquera sur ce sujet « à la rentrée ». Dans les couloirs de l’institut, on fait remarquer que cette succession « est programmée depuis trois ans, et qu’elle a été retardée par l’épidémie de Covid-19 ». Mais on souligne aussi que, si le professeur la souhaite, il « l’envisage à l’horizon d’un an ou deux ».
« Un cap a été franchi »
Alors que les Bouches-du-Rhône affrontent une quatrième vague, et que les patients Covid-19 occupent actuellement plus de 60 % des lits de réanimation dans les hôpitaux marseillais, les rapports entre l’IHU, son directeur et une grande partie de la communauté médicale et scientifique marseillaise se sont dégradés.
« Depuis le début de la pandémie, il y a eu des désaccords, notamment sur la communication ou les pratiques médicales de l’IHU, mais, avec la question de la vaccination, un cap a été franchi », indique le professeur Jouve.
Dans le viseur du président de la CME, comme dans celui du directeur général de l’AP-HM, figurent notamment les dernières vidéos publiées sur Internet par le professeur Philippe Parola et Didier Raoult. Dans ces longs monologues, dénués de toute contradiction, les deux chercheurs de l’IHU affirment que le variant Delta est « moins grave » que ses prédécesseurs et estiment que l’efficacité de la vaccination contre les variants n’est pas démontrée. Un discours qui a provoqué, le 18 août, une radicale mise au point du président de la commission médicale qui, dans une lettre adressée à ses collègues, dénonce « des propos stupéfiants de décalage avec les réalités que nous vivons ».
Alors que l’AP-HM prépare des évacuations de patients vers la Bretagne pour soulager ses services et fait tout pour convaincre les 40 % de ses salariés qui ne sont pas encore vaccinés, le professeur Jouve dénonce « une malhonnêteté intellectuelle ». « Au début de la pandémie, Didier Raoult expliquait qu’il ne pouvait attendre le résultat d’études randomisées pour administrer de l’hydroxychloroquine. Aujourd’hui, il dit qu’il ne peut être sûr de l’efficacité du vaccin parce que les cohortes testées ne sont pas assez nombreuses », bouillonne le praticien.
« Ligne rouge »
« La position de l’IHU sur le vaccin est scandaleuse et inacceptable », s’insurge aussi le cardiologue Frédéric Collart, représentant du conseil départemental au conseil d’administration de l’IHU, qui rappelle que « dans les réanimations marseillaises, il n’y a aujourd’hui quasiment pas de personnes vaccinées ». Comme le professeur Jouve, il n’hésite pas à lier les déclarations du patron de l’IHU et le faible taux de couverture vaccinale, autour de 30 %, dans les quartiers populaires de Marseille. « Didier Raoult a une voix qui porte, dans cette ville, et qui l’engage. Laisser planer le doute, c’est franchir la ligne rouge », regrette-t-il.
Depuis l’arrivée de son nouveau directeur général, l’AP-HM a radicalement changé de stratégie vis-à-vis de l’Institut Méditerranée Infection. Après les silences de son prédécesseur, François Crémieux se montre très réactif. Il a proposé au patron de l’IHU de signer un communiqué commun sur l’importance de la vaccination, essuyant un refus du professeur.
Le 11 août, alors que ce dernier annonçait sur Twitter qu’il n’envisageait « pas la non-prise en charge de patients du fait de l’absence de passe sanitaire », le patron des hôpitaux marseillais a rappelé que l’IHU était soumis aux règles de l’AP-HM, à savoir « 1) le passe sanitaire 2) les soins pour tous ». En riposte, dans sa dernière vidéo datée du 17 août, Didier Raoult le pique à plusieurs reprises. « Je redoute que le directeur général ne veuille pas que l’on traite les gens comme on les a traités jusqu’à maintenant ici », affirme-t-il notamment.
« Je souhaiterais que l’information diffusée par l’IHU passe par des publications scientifiques à comité de lecture qui permettent le contradictoire scientifique, et non par des vidéos YouTube. Que ce soit délibéré ou pas, l’Institut est devenu la caution scientifique du discours anti-vaccin, anti-passe et nourrit la sphère complotiste. C’est une difficulté à laquelle il faut mettre un terme », tranche François Crémieux. Ex-adjoint à Paris de Martin Hirsch, contre lequel le professeur Raoult a porté plainte pour « dénonciations calomnieuses », le directeur de l’AP-HM sera sûrement accusé de relancer une guerre Marseille-Paris. « Je ne vois pas le sujet en ces termes. Mon ambition est de préserver cette perle rare qu’est l’IHU », prévient-il.
Image dégradée
A son arrivée, il a également fait savoir à Louis Fouché, anesthésiste-réanimateur en poste à l’hôpital de la Conception, devenu en quelques mois le pilier du collectif RéinfoCovid, son « opposition de fond avec ses positions et la contradiction entre les valeurs qu’il porte et celles de la communauté hospitalière de l’AP-HM ». Une conversation qui a abouti à une demande de mise en disponibilité du docteur Fouché.
Au-delà de l’impact des monologues de Didier Raoult sur les opposants au vaccin et au passe sanitaire, les partenaires de l’IHU craignent aussi que l’image de plus en plus dégradée de l’Institut fasse filer d’autres membres fondateurs, après l’Inserm et le CNRS en 2018 en raison de divergences sur les méthodes scientifiques et la gouvernance. L’IRD a déjà fait savoir qu’il s’interrogeait « sur les conditions de son désengagement », comme l’a révélé le site Marsactu en juin. « Il faudra que l’appel d’offres soit très clair, pour rassurer ceux qui auront le courage d’être candidats », prévient déjà un des administrateurs de l’IHU.
Par Gilles Rof