A Château-Chervix, en Haute-Vienne, à quelques encablures du sud de Limoges, se dresse le château de Montintin. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la bâtisse a abrité une centaine d’enfants juifs, orphelins, menacés par les nazis.
« On sait alors que les troupes allemandes vont entrer dans Paris. Ces enfants sont déjà des réfugiés venus d’Allemagne, d’Autriche ou de Pologne. Leurs parents sont déjà dans les camps. Ils sont donc orphelins » raconte Claudine Fourgnaud, présidente des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation (Haute-Vienne).
Entre 1940 et 1942, Montintin est un havre de paix, loin des affres de la guerre. Encadrés par une vingtaine d’adultes, les enfants apprennent le français et poursuivent leur scolarité. Les plus âgés sont orientés vers des ateliers de cordonnerie ou de menuiserie. « Dans un premier temps, ces centres avaient pour but de faire en sorte que ces enfants ne pâtissent pas de la guerre, faire sorte qu’ils apprennent un métier. C’était l’objectif, jusqu’en 1942« , explique l’historien Guy Perlier.
Les enfants bénéficiaient aussi de cours de théâtre dispensés par un certain Marcel Mangel, qui deviendra plus tard le mime Marceau.
En octobre 1940, les #Juifs de Bayerthal sont déportés au camp de #Gurs, dans le sud de la France. Parmi eux, la famille Kaufman. Leur fils Bernd est envoyé peu après au château de Montintin, au sud de Limoges. Le 27 avril 1942, il écrivait à ses parents : https://t.co/6rZGXP41Qs pic.twitter.com/jHM9vXH7R5
— YadVashemFr (@YadVashemFr) April 27, 2018
Ainsi, le jeune Bernd écrit à ses parents :
7 avril 1942, Montintin
Chers parents,
J’espère que vous êtes, comme moi, en bonne santé.
Nous n’avons pas reçu la moindre lettre de votre part.
…
Je vous salue cher père et Cezar et j’espère vraiment que cette lettre vous parviendra.
Chers parents, ils ont réparé nos chaussures gratuitement, nous n’avons pas eu besoin de payer le cordonnier pour nos chaussures.
Nous jouons dès que nous n’avons pas école.
…
Je n’oublie pas de prier. Je prie sans cesse.
Pour le Shabbat, nous sommes allés à la synagogue dans le château. Au cours du dîner de vendredi soir, nous avons eu un « Oneg Shabbat » (célébration du Shabbat). Il y a trois personnes qui jouent avec nous et le temps passe à toute vitesse…
Ce matin, nous avons mangé du pain et du beurre avec du café. Pour le déjeuner, nous avons de la soupe de légumes, une grosse pomme de terre et quelquefois de la viande. Nous sommes de service à la cuisine toutes les semaines ; je n’aime pas trop cela. Nous avons école de 8 heures du matin à 14h30 et ensuite nous déjeunons.
Ce sera tout pour aujourd’hui parce que je dois aller prier.
Je vous embrasse,
Bernd
Mais le 26 août 1942, tout bascule. Le gouvernement collaborationniste de Pierre Laval ordonne l’arrestation de plusieurs milliers de Juifs étrangers en zone libre. Le Mémorial vivant du peuple juif en souvenir de la Shoah, Yad Vashem, sur son site internet, précise : « L’O.S.E décide de fermer le château en janvier 1944 et en 2 jours le docteur Lévy réussit à disperser la centaine de garçons : les plus âgés gagnent le maquis, d’autres sont pris en charge par une filière qui les dirige vers la Suisse, la plupart sont placés dans des familles de la région. »
Un dénommé Maxime Sarlat, instituteur et secrétaire de mairie à Villamlard en Dordogne, aidera de nombreux Juifs à échapper à l’arrestation et à la déportation, en leur donnant de faux papiers, exempts de la mention « Juif». C’est ainsi qu’un certain nombre d’enfants de Montintin reçoivent une nouvelle identité. Maxime Sarlat a été reconnu Juste parmi les Nations en 1986.
Malheureusement, une dizaine de jeunes de Montintin ne parviendra pas à échapper à la police de Vichy. Parmi eux : Benno Singer, 17 ans. Il mourra à Auschwitz quelques jours seulement après cette photo.
Le Limousin, terre d’accueil
Dès les premiers mois de la Guerre, les évacuations d’enfants en zone libre sont organisées. L’Œuvre de secours aux enfants (OSE) va ainsi gérer sept lieux d’accueil en zone libre dont quatre en Limousin : Montintin à Château-Chevrix (Haute-Vienne), Le Masgelier à Grand-Bourg (Creuse), Chabannes près de Fursac (Creuse) et Chaumont situé sur la commune de Mainsat (Creuse).
Mainsat est un site dont l’histoire va inspirer un roman policier en 2019, mais surtout un récit autobiographique de Fanny Ben-Ami, librement adapté au cinéma par Lola Doilon dans « Le voyage de Fanny », un film retraçant l’épopée de ces enfants réfugiés en Creuse, puis contraints de traverser toute la France pour rejoindre la Suisse et ainsi échaper à la Gestapo.
En 1995, c’était l’humoriste Popeck qui revenait à Mainsat, là où il avait séjourné enfant alors qu’il s’appelait encore Judka Herpstu : « Je me souviens qu’ici j’avais beaucoup de petits camarades. Le chant des crapauds, les bruits de la nature me plaisaient beaucoup. Je ne me rendais pas compte de la période que nous traversions« .
Hélène Abalo / Antoine Jegat