Une nouvelle loi polonaise suscite l’inquiétude d’Israël parce qu’elle empêcherait à l’avenir toute restitution de biens juifs spoliés par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. L’affaire provoque une nouvelle crise entre les deux pays, qui ont convoqué mutuellement leurs ambassadeurs.
La loi en cours d’adoption permettra de bloquer la restitution de biens spoliés, ainsi que l’indemnisation pour les anciens propriétaires et leurs successeurs légaux, au bout d’une période de 30 ans. Le texte a été voté par les députés, mais doit encore être adopté par le Sénat et signé par le président avant d’entrer en vigueur.
Toute demande limitée à un délai 30 ans
La Cour constitutionnelle polonaise avait estimé qu’une limite de temps devait être imposée à toute contestation d’une décision administrative. La loi prévoit donc un délai maximum allant de 10 à 30 ans. Selon les autorités polonaises, ce texte vise à mettre fin à « des abus et des irrégularités qui se sont largement produits dans les processus de reprivatisation » après la fin de l’ère communiste. L’ère communiste en Pologne a pris fin il y a 32 ans, en 1989.
L’ambassade d’Israël à Varsovie s’est élevée contre cette législation qui, selon elle, « rendra impossible la restitution des biens juifs ou la demande d’indemnisation pour les survivants de l’Holocauste et leurs descendants, ainsi que pour la communauté juive dont la Pologne a été la patrie pendant des siècles. C’est incompréhensible ».
« Aucune loi ne changera l’histoire », s’est insurgé le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid. « La loi polonaise est immorale et va gravement nuire aux relations entre les pays. Israël se tiendra comme un bastion protégeant la mémoire de l’Holocauste et la dignité des survivants de l’Holocauste et de leurs biens. La Pologne, sur le sol de laquelle des millions de Juifs ont été assassinés, sait ce qu’elle doit faire ».
L’Organisation mondiale juive pour la restitution a demandé le retrait de la loi qui « rend pratiquement impossible pour les survivants de l’Holocauste et leurs familles, ainsi que pour les autres propriétaires légitimes juifs et non juifs, d’obtenir la restitution ou l’indemnisation des biens illégalement confisqués pendant l’Holocauste et la période communiste ».
Ambassadeurs convoqués
La Pologne et Israël ont convoqué dimanche leurs ambassadeurs respectifs. Les critiques en Israël « se réfèrent à la question de l’Holocauste que cette loi n’aborde en aucune façon », a argumenté le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, Pawel Jablonski. « Nous croyons que malheureusement nous avons affaire ici à une situation que certains hommes politiques israéliens exploitent à des fins politiques intérieures », a-t-il souligné.
Le gouvernement polonais estime ne pas devoir assumer la responsabilité des méfaits commis par les nazis. « La Pologne n’est pas responsable de l’Holocauste qui était un crime commis par les occupants allemands, entre autres sur les citoyens polonais de nationalité juive », argumente le ministère polonais des Affaires étrangères. « Les nouvelles dispositions ne limitent en rien la possibilité d’engager des actions civiles en réparation, quelle que soit la nationalité ou l’origine du demandeur« , a encore souligné le ministère polonais.
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a pourtant semblé confirmer que l’objectif de Varsovie est bien d’éviter toute compensation en faveur des juifs polonais spoliés : « Tant que je serai Premier ministre, la Pologne ne paiera certainement pas pour les crimes allemands, pas un zloty, pas un euro, pas un dollar », a-t-il déclaré à la presse.
Mateusz Morawiecki avait déjà provoqué une polémique en 2019 en déclarant déjà que la Pologne refuserait toute restitution, estimant qu’il s’agirait « d’une victoire posthume d’Hitler ». Attaquée en 1939 par l’Allemagne nazie, la Pologne a perdu pendant la Seconde Guerre mondiale six millions de citoyens, dont trois millions de Juifs.
« Cette réticence à reconnaître que les victimes de l’Holocauste et leurs héritiers ont droit à un minimum de justice matérielle est assez malheureuse », s’était alors inquiété le Congrès juif mondial.
Complexité légale
La question des propriétés juives spoliées en Pologne est d’une complexité légale extrême. Elles ont été confisquées par les Allemands nazis, puis reprises, pour une partie, par l’Etat communiste polonais, et pour une autre, par des citoyens Polonais qui s’y sont installés et ont acquis des droits de propriété par une longue occupation ininterrompue.
Des synagogues ont été rendues aux communautés juives, mais les biens privés ne peuvent être revendiqués qu’à titre individuel par leurs propriétaires ou leurs héritiers. Dans l’ancien ghetto de Varsovie, détruit par les Allemands, des terrains peuvent être toujours revendiqués par des héritiers d’anciens propriétaires, mais les bâtiments construits après guerre appartiennent à d’autres propriétaires.
Accusation d’antisémitisme
Les tensions sont récurrentes entre la Pologne et Israël sur les questions historiques liées au sort des juifs en Pologne durant l’occupation nazie. En 2019, le chef de la diplomatie israélienne Israel Katz avait déclaré que les Polonais avaient « tété l’antisémitisme avec le lait de leur mère », provoquant l’indignation de Varsovie. Et pourtant, je ne connais pas, ou plutôt hélas je n’ai pas connu, de vieux juifs polonais qui contrediraient Israël Katz. Pire je me souviens surtout que le mot « polonais » était dans 99% des cas suivi de « Qu’ils brûlent en enfer »!