Selon de récentes études, les personnes les plus éduquées aux Etats-Unis ont tendance à éprouver de plus forts ressentiments envers les Juifs que les personnes moins éduquées. Avec Simone Rodan-Benzaquen.
Atlantico : On considère souvent que l’éducation encourage à une ouverture d’esprit et limite les préjugés qu’on peut avoir envers les groupes minoritaires. Est-ce néanmoins le cas pour l’antisémitisme ?
Simone Rodan-Benzaquen : L’éducation est en effet souvent vue – et conçue – comme un encouragement à l’ouverture d’esprit et comme un rempart contre l’ignorance et la haine.
Les études sur le phénomène complotiste par exemple montrent qu’il y a une corrélation claire entre le niveau de diplôme et la propension à adhérer à des grilles de lecture non scientifiques et alternatives pour expliquer les faits sociaux.
Toutefois, le fait que 23% des personnes ayant le bac adhèrent à au moins 5 théories du complot (Jean Jaurès 2019), montre – même si elle est minoritaire – que cette frange de la population n’est pour autant pas négligeable.
Pour ce qui concerne l’antisémitisme (contemporain), il naît presque d’un complexe d’infériorité. Le Juif représente cet autre, celui que je ne suis pas… Avec cette idée qu’il usurperait une place qui aurait dû être la mienne.
En observant l’Histoire on se rend compte que l’éducation ne protège malheureusement pas toujours de cette haine antisémite. Parmi les grandes figures de l’antisémitisme européen, on retrouve des figures très éduquées.
C’est le cas d’Edouard Drumont, l’initiateur de la Libre Parole, journaliste, homme de lettres et député sous la Troisième République. On retrouve, dans l’affaire Dreyfus, l’armée et toute une partie de la gauche parlementaire qui révèlent un antisémitisme très ancré et virulent. On peut également citer la conférence de Wannsee en 1942, l’endroit où les dirigeants nazis ont décidé de la solution finale. Huit des quinze participants avaient un doctorat universitaire.
Pendant la guerre, il est également intéressant de noter que beaucoup d’Européens qui ont spontanément caché des juifs n’étaient pas les plus éduqués.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’enseignement est censé développer l’esprit critique et encourager la remise en cause des idées reçues. Quand on observe ce qu’il se passe aujourd’hui dans les universités européennes mais surtout américaines, on se rend compte que l’esprit critique a été remplacé par un esprit de clan, et l’universalisme par l’identitarisme.
Selon les dernières données, observe-t-on une progression au sein des classes les plus éduquées ?
Je ne sais pas si on peut le généraliser mais il y a en effet plusieurs études récentes, notamment aux États Unis et en Angleterre qui indiquent que l’éducation est loin d’être un garant d’immunité contre l’antisémitisme.
En effet, selon une nouvelle enquête américaine menée par les professeurs Jay P. Greene, Albert Cheng et Ian Kingsbury Greene, les personnes les plus éduquées aux États-Unis ont tendance à éprouver de plus forts ressentiments envers les Juifs que les personnes moins éduquées.
En conclusion, les auteurs de l’étude affirment que « l’éducation semble ne fournir aucune protection contre l’antisémitisme, et peut en fait servir à l’encourager – en partie en fournissant aux gens des moyens plus sophistiqués et socialement acceptables de le formuler ».
En Angleterre, Rakhib Ehsan a mené plusieurs études qui ont révélé notamment que les Musulmans et Noirs britanniques ayant suivi une formation universitaire étaient plus susceptibles d’être antisémites que les Musulmans et Noirs britanniques sans diplôme universitaire. Les plus instruits étaient plus nombreux à croire, par exemple, que les Juifs ont trop de contrôle dans les sphères mondiales de la banque, de la politique, des médias, du divertissement et de la production d’armes.
D’autres études plus anciennes comme celle que nous avons conjointement menée en 2015, avec la Fondation pour l’innovation politique ont établi que le niveau d’antisémitisme chez les musulmans s’accroît de façon significative avec le niveau de religiosité, tandis que le niveau d’éducation n’a aucune incidence sur les préjugés antisémites.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette progression ? On a beaucoup parlé en France de l’entrisme islamiste à l’université et plus largement d’islamo-gauchisme. Est-ce l’une des explications ?
Des universitaires de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires viennent de publier un rapport. Que ce soit par le biais de thèses, de séminaires ou encore, de programmes de recherche, l’université est devenue selon l’Observatoire « le théâtre d’un affrontement idéologique mené par les tenants de la déconstruction contre l’institution elle-même».
Il faudrait mener d’autres enquêtes plus approfondies notamment pour comprendre le lien avec l’antisémitisme.
En ce qui concerne les États Unis, dans leur récente étude, Greene, Cheng & Greene suggèrent en effet que l’antisemitisme chez ceux qui ont terminé leurs études universitaires ou supérieures ne se produit pas en dépit de leur éducation, mais justement à cause d’elle. Il faut se demander si les établissements d’enseignement chargés d’ouvrir les esprits ne sont plutôt pas devenus les instruments d’un enfermement idéologique.
En effet, en France mais encore plus en Angleterre ou aux États-Unis, la place prise par des idéologies autrefois marginales comme le postmodernisme, le décolonialisme, le néomarxisme, la théorie critique de la race, et l’intersectionnalité ont eu des effets dévastateurs pour les Juifs et l’université en général.
Ces théories, qui divisent le monde entre Noirs et Blancs, opprimés et oppresseurs, laissent peu de place aux Juifs, qui ont essentiellement une identité « fluide », et sapent cette vision puriste. Les Juifs ont selon ces adeptes été commodément rangés dans la catégorie des « Blancs » et le sionisme dans la catégorie « colonialisme » et « racisme ».
La remise en question de ces idéologies entraîne par ailleurs, ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de « cancel culture », des comportements répressifs et une interdiction de la libre parole.
C’est notamment à travers la question d’Israël et du sionisme que certaines universités européennes et américaines sont devenues des foyers de l’antisémitisme contemporain. En France des facultés de Villetaneuse, de Saint-Denis, de Nanterre et celles du Mirail à Toulouse ainsi que Lyon II et III, sont devenues quasiment « Judenfrei ».
Aux États-Unis, notamment sous influence du mouvement intersectionnel on assiste à des rassemblements pour mener des combats antiracistes duquel les Juifs sont à minima exclus, ou pire attaqués. Ainsi a-t-on vu des cas où des étudiants juifs qui voulaient participer au mouvement « Black Lives Matter » se voyaient demander de signer une décharge dans laquelle ils affirmaient ne pas être sionistes.
L’antisémitisme des élites est-il différent de l’antisémitisme que l’on peut retrouver dans des classes plus pauvres ?
La différence réside essentiellement dans le fait que les gens plus éduqués essaient de donner une consistance théorique et intellectuelle à leur antisémitisme. Il est ensuite repris à tous les niveaux jusqu’à devenir des préjugés spontanés transmis chez les personnes moins éduquées. Aujourd’hui il prend souvent la forme d’un antisionisme radical qui devient une antisémitisme justifié, mis à la portée de tous. Il est la permission d’être antisémite au nom de l’antiracisme et des droits de l’Homme.
Il n’y a là rien de véritablement nouveau, mais simplement la confirmation de la grande diffusion des thèmes centrés sur la diabolisation des juifs.
Bonjour,
La première chose qui me vient à l’esprit, c’est la méconnaissance de l’histoire, de notre histoire, ensuite pour ce qui est du Sionisme, c’est la libération de la terre, se réinstaller dans le pays d’origine et le protéger ainsi que ses habitants !
La jalousie est tenace, enfin pour ce qui est de la France, les Juifs y résident depuis plus de deux mille ans !