Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais il faut bien l’admettre : Marine Le Pen a réussi son coup. Son parti est devenu, pour un nombre toujours plus croissant d’électeurs, au mieux une option envisageable, au pire un choix ferme.
À la veille des régionales, le Rassemblement national est l’enjeu unique dans au moins deux Régions – Provence-Alpes-Côte d’Azur et Hauts-de-France. Et pour 2022, Marine Le Pen est la seule, parmi tous les candidats déclarés ou supposés, à être assurée d’être au second tour.
Au prix certes de beaucoup d’efforts, elle est parvenue à modifier l’image du RN, qui est désormais perçu comme un parti de droite dure, mais pas forcément extrême. On l’a vu à plusieurs reprises lors de la campagne des régionales, les (petits) candidats au racisme décomplexé qui se lâchent un peu trop ouvertement, et surtout un peu trop publiquement, sont désormais écartés à grand bruit. Qu’on se le dise : pas de ça chez nous. Sans compter que ses thèmes de prédilection – immigration, sécurité – sont aujourd’hui au cœur des discours de tous les partis de droite et du centre, parfois de manière tout aussi radicale. Certains membres éminents des Républicains, comme Éric Ciotti, Guillaume Peltier ou Nadine Morano, font sur ces sujets souvent jeu égal avec n’importe quelle figure du RN.
Elle a en outre parfaitement adapté son offre à la demande, « socialisant » son programme pour capter un électorat populaire qui s’estime délaissé par la gauche, et, s’inspirant de ce qui a marché ailleurs – Trump, Orbán –, a joué à fond la carte populiste anti- « establishment », anti-« pensée unique », proche des préoccupations des « petites gens ». Attirant par la même occasion fondus complotistes et rebelles autoproclamés. Le RN est passé du parti de l’ordre au parti du désordre, de la révolte, du ras-le-bol, de la revanche des oubliés du « système ».
Voilà pour la façade, dûment ravalée. Mais derrière la façade, il y a la réalité du parti. Et la réalité, c’est que le Rassemblement national sert toujours de home sweet home à toutes les familles de l’extrême droite. On y trouve de tout, soit en son sein, soit en gravitation proche. Des païens, des cathos intégristes, des royalistes, des maurrassiens, des ex-skinheads, des nostalgiques du Reich, des fascistes pur jus, des pétainistes, des « c’était le bon temps des colonies et de l’OAS », des identitaires, des négationnistes… Ils sont venus, ils sont tous là, autour de fondamentaux qu’on ne trouve réunis qu’au RN : un racisme franc du collier, un nationalisme de fer, le mépris de la démocratie et un antisémitisme plus ou moins assumé, car on ne se refait pas. Certains, souvent les plus en vue, ont subi un gros lifting pour apparaître respectables. Mais ça ne signifie pas qu’ils renient les idéaux de leur jeunesse.
D’ailleurs, les transfuges ne voyagent que dans un seul sens. On passe des Identitaires au RN, pas l’inverse. Même si les plus fanatiques trouvent Marine Le Pen trop molle, voire carrément gauchiste, ils se rendent à l’évidence : quand on veut faire carrière à l’extrême droite, quand on veut voir ses idées triompher, c’est au RN que ça se passe, et nulle part ailleurs. Ce parti reste un appeau à fachos. Et c’est sans doute encore plus vrai aujourd’hui qu’il est aux portes du pouvoir. Alors, s’il faut côtoyer des femmelettes de la droite « classique » venues à la soupe au cochon, tant pis. Il sera toujours temps de faire une « Nuit des longs couteaux » si nécessaire une fois le pouvoir pris.
Il paraît que Marine Le Pen ne veut pas que l’on dise que le Rassemblement national est toujours un parti d’extrême droite. Il va pourtant falloir qu’elle s’y fasse. Car elle a beau mettre beaucoup de sciure sur la merde au chat, elle dirige bien la maison commune de l’extrême droite française.
Gérard Biard