La Knesset a voté en faveur de la « coalition du changement », renversant Benyamin Netanyahou. Mais le Premier ministre de tous les records n’a pas dit son dernier mot.
En octobre prochain, le 21 très précisément, Benyamin Netanyahou aura 72 ans. D’ici là, il aura dû quitter la résidence des Premiers ministres, rue Balfour à Jérusalem et, si tout se passe comme prévu, s’habituer à siéger à la Knesset sur les bancs de l’opposition tout en suivant, en présentiel ou dans le cabinet de ses avocats, le déroulement de son procès. Un changement de statut pas entièrement nouveau pour lui (rappelons-nous ses quelques années de traversée du désert au début des années 2000), mais dont il s’est peut-être déshabitué lors de ses 15 ans de « règne », dont douze en continu. Ainsi a-t-il battu le record de longévité au pouvoir de David Ben Gourion, le fondateur de l’État.
Sa carrière de chef de gouvernement débute en 1996, lorsqu’il bat le Premier ministre sortant, le travailliste Shimon Peres qui dirige le gouvernement depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Selon la droite nationaliste et religieuse qui l’a porté au pouvoir, Benyamin Netanyahou est censé continuer à s’opposer par tous les moyens aux accords d’Oslo signés en 1993. Or, à la surprise générale, sous la pression du président Bill Clinton, il va non seulement serrer la main de Yasser Arafat, mais aussi signer divers retraits israéliens de Cisjordanie et notamment celui de 80 % de la ville d’Hébron. Furieuse, la droite va lui faire payer ce qu’elle appelle sa trahison : il perdra le scrutin de 1999, des élections anticipées gagnées par Ehud Barak devenu entre-temps le président du parti travailliste.Si les lumières de la politique l’ont alors abandonné, lui ne renonce pas. Il va profiter de ses années loin des caméras pour peaufiner sa stature ultralibérale en matière d’économie et de Monsieur Sécurité tant vis-à-vis des Palestiniens que sur la question du nucléaire iranien. Deux axes qui vont lui servir lorsqu’il revient sur le devant de la scène. D’abord en 2002-2003, comme ministre des Affaires étrangères ; puis durant deux ans, quand il est en charge des Finances. Un poste ministériel dont il démissionne en 2005, afin de protester contre le retrait israélien de la bande de Gaza.
À la clef : les faveurs retrouvées d’une partie de la droite et un coup de pouce du destin, la chance diront certains, lorsqu’Ariel Sharon quitte le Likoud pour fonder le parti centriste Kadima. Pour Benyamin Netanyahou, l’occasion est trop belle : fort de son expérience ministérielle et de ses dernières prises de position politique, il gagne la présidence du Likoud. En 2009, après des élections législatives au score très serré entre Kadima et le Likoud, il retrouve son fauteuil de Premier ministre. Il ne le quittera plus jusqu’à aujourd’hui. Malgré les turbulences de la politique israélienne, il réussit à se maintenir au pouvoir. Même en 2015, alors que les sondages le donnent perdant face au candidat travailliste, son parti fait un score exceptionnel. Pour ses aficionados, il n’est plus seulement le « Roi Bibi », mais aussi le « magicien ».
L’ennemi d’Obama, l’ami de Trump
En matière de politique étrangère, il ose tout. Même affronter le président Obama. Non seulement il arrive à faire capoter les négociations menées par John Kerry, le secrétaire d’État, en vue d’une solution au conflit avec les Palestiniens, mais sur la question iranienne, et grâce au soutien de ses nombreux amis républicains, il va faire ce qu’aucun dirigeant israélien avant lui n’a même envisagé : prononcer au Congrès un discours virulent contre le chef de l’exécutif américain et sa volonté de négocier avec Téhéran. Fureur des démocrates américains, mais triomphe en Israël où le public admire son « merveilleux anglais » et applaudit au concert de slogans anti-Obama.
Puis vient le Graal : l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump et, dans le ciel du Premier ministre israélien, un alignement parfait des planètes. Car son « meilleur ami » va tout lui donner : la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan, le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et, bien sûr, le désengagement américain de l’accord international sur le nucléaire iranien. Enfin, cerise sur le gâteau, il y a les accords Abraham de normalisation avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et apparemment, le Soudan. Pour Benyamin Netanyahou, c’est la preuve qu’on peut signer des traités avec le monde arabe – ce qu’il appelle, lui, des accords de paix – sans faire de concessions aux Palestiniens.Pourtant, à partir de 2019, la machine va commencer à se gripper. Les raisons sont multiples, mais, pour les experts, deux éléments sont prépondérants : sa mise en examen, en décembre 2019, pour corruption, fraude et abus de confiance. Et, en politique intérieure, sa volonté d’être seul maître à bord qui lui fait éliminer tous ses rivaux potentiels au sein de son propre parti, le Likoud, tout en se coupant de ses alliés nationalistes religieux. Résultat : de septembre 2019 à mars 2021, les Israéliens vont retourner quatre fois aux urnes. En plus de deux ans, il enregistrera un seul succès : lorsqu’il convaincra Benny Gantz, le président de Bleu-Blanc, de former avec lui un cabinet d’urgence nationale pour lutter ensemble contre la pandémie. Un gouvernement de rotation qui au bout de 8 mois a rendu l’âme. D’où une quatrième consultation qui a vu une nouvelle victoire du Likoud – 30 mandats – sans pour autant permettre à Benyamin Netanyahou de former une coalition majoritaire. La suite, on la connaît. Un improbable accord entre Naftali Bennett et Yaïr Lapid va permettre aux deux hommes de gouverner le pays.
Mais attention ! Benyamin Netanyahou reste une figure dominante de la politique israélienne. Le « bibisme » est toujours là. Et sur les bancs de l’opposition, Benyamin Netanyahou va tout tenter pour mettre un terme à ce qu’il appelle la « plus grande fraude électorale de l’histoire du pays ». Autrement dit, faire tomber le nouveau gouvernement dit du changement.
Danielle Kriegel, comme son époux le sinistre Charles Enderlin, ne peut jamais s’empêcher de distiller son venin.