Tout oppose les deux hommes qui ont fait alliance pour gouverner l’État hébreu, sauf… leur rejet de Benyamin Netanyahou. Portrait croisé, par Danièle Kriegel.
Naftali Bennett et Yaïr Lapid, c’est un quasi-oxymore à forme humaine. Difficile en effet de trouver deux personnalités aussi antinomiques. Que ce soit dans leurs choix politiques ou dans le domaine privé, et notamment le milieu familial dont ils sont issus.
Ordre alphabétique oblige, la priorité revient à Naftali Bennett. Pour ce fils d’immigrants américains originaires de San Francisco, cela veut dire une jeunesse sage-religieuse (il porte la kippa) à Haïfa, la métropole portuaire du nord d’Israël, ponctuée par des séjours aux États-Unis, d’où son anglais parfait. Vient un service militaire dans les règles effectué dans un commando d’élite. Il en sort officier avec le grade de commandant. Revenu à la vie civile, il étudie le droit à l’Université hébraïque de Jérusalem, alors qu’en parallèle, il travaille dans la high-tech. En 1999, il crée sa propre start-up, Cyota, spécialisée dans la lutte contre la fraude sur Internet. C’est à New York, en 2005, qu’il fait fortune. Il vend Cyota à une entreprise de sécurité américaine pour la coquette somme de 145 millions de dollars. Désormais multimillionnaire, il rentre en Israël, où il va se consacrer à son autre passion : la politique.
Bennett, de Netanyahou au Foyer juif
Résolument ancré à droite, il se range aux côtés de Benyamin Netanyahou, alors chef de l’opposition, dont il est directeur de cabinet, de 2006 à 2008. Mais vient le temps de la rupture entre les deux hommes. Sans qu’on sache ce qui est réellement arrivé. Bennett trace son chemin. D’abord comme numéro un du Conseil des colonies de Cisjordanie. Puis en 2012 à la direction du parti procolonst : le Foyer juif. Un an plus tard, le succès est au rendez-vous. La liste qu’il a présentée aux législatives de 2013 remporte douze sièges. Ce qui lui vaut de devenir ministre de l’Industrie et du Commerce dans le nouveau gouvernement Netanyahou.
À partir de là, malgré l’inimitié que lui voue Benyamin Netanyahou et des résultats mitigés à la tête de formations nationalistes et religieuses, il sera, coalition oblige, de pratiquement tous les gouvernements, avec des portefeuilles importants, de l’Éducation nationale à la Défense, en passant par les Affaires religieuses ou le ministère en charge de la Diaspora. À 49 ans, Naftali Bennett, marié et père de quatre enfants, ne renie rien de ses convictions : religieux, procolons, il ne fait pas mystère de son idéologie annexionniste. Et en matière économique et sociale, un seul credo : l’ultralibéralisme et donc un désengagement maximal de l’État.
Lapid, « l’enfant gâté »
Mis à part l’ambition, c’est un tout autre destin que porte en lui Yaïr Lapid. À commencer par une enfance tel-avivienne, au sein d’une famille célèbre. D’origine hongroise, rescapé de la Shoah, son père, Tommy Lapid, était une des grandes figures du paysage audiovisuel israélien. Sa mère, Shulamit Lapid, était une romancière à succès. Autodidacte, profondément laïque comme ses parents, il est tour à tour, acteur, romancier, boxeur à ses heures perdues ou joueur de guitare électrique, le jeune Yaïr ajoute aux talents le succès, sans compter un physique à la George Clooney. Un itinéraire d’enfant gâté, répètent ses détracteurs. Devenu journaliste, il anime un talk-show très regardé, puis la présentation du JT, avec, en parallèle, une chronique régulière dans ce qui est alors le premier quotidien du pays, le Yediot Aharonot. Rien ne lui résiste. Pas même la politique. Un an après avoir créé son propre parti, Yesh Atid (en français, « Il y a un avenir »), il se lance, en 2013, dans la course aux législatives sur un créneau de centre droit.
Le résultat est fulgurant : Yesh Atid devient le deuxième parti du pays après le Likoud, et son dirigeant, Yaïr Lapid, entre dans la coalition présidée par Benyamin Netanyahou. Et même si, dix-huit mois plus tard, il est limogé de son poste de ministre des Finances, il ne disparaît pas pour autant de la scène politique. Bien au contraire. Au fil des années, il en est devenu un acteur incontournable, prenant la tête du camp anti-Netanyahou. « Un danger pour la démocratie israélienne », a-t-il lancé lors de la dernière campagne électorale, allant même jusqu’à conseiller aux électeurs de voter également pour les deux partis de gauche. À 57 ans, marié et père de trois enfants, Yaïr Lapid reste le favori des classes moyennes, celles qui ont le sentiment de porter l’ensemble du fardeau, militaire, économique et social, sans pour autant être reconnues comme telles. Patriote et faucon en matière de sécurité, il est pourtant de ceux qui veulent encore croire à la solution à deux États, Israël et la Palestine. Mais attention, cela ne fait pas de lui un pacifique convaincu à la manière du petit parti de gauche Meretz. En réalité, ce qu’il entend incarner, c’est un centre moderne, progressiste, démocratique, loin de toute radicalité, qu’elle soit de gauche ou de droite.
Naftali Bennett, Yaïr Lapid, deux parallèles, qui, en dehors de toute logique mathématique, se sont rencontrées. Pour combien de temps ? Les paris sont ouverts.
Danièle Kriegel, correspondante du Point à Jérusalem