En décidant de rejoindre le centre gauche, le chef de la droite religieuse Naftali Bennett a provoqué un tollé en Israël. Portrait d’un audacieux.
Naftali Bennett ne manque pas d’air: lui qui n’a obtenu que six sièges sur les 120 du Parlement, le voilà proche de devenir premier ministre par tournus! Ses détracteurs s’en étranglent. «Un petit garçon qui a des prétentions», l’a décrit mardi l’ultra-orthodoxe Arye Deri, président du parti ultra-orthodoxe Shass. C’est que le quasi-quinquagénaire, dont la kippa tricotée colle au crâne dégarni, a fait sienne une qualité israélienne parfois horripilante: la choutzpa, soit le culot.
Naftali Bennett incarne un pays qui vit au rythme des prises de risque. A l’origine de son histoire, il y a une immigration réussie: celle de ses parents, des Américains de San Francisco originaires de Pologne. Comme Benyamin Netanyahou, Naftali Bennett qui détient la citoyenneté américaine connaît parfaitement les Etats-Unis pour avoir passé une partie de son enfance et de sa vie d’adulte de l’autre côté de l’Atlantique. Une proximité avec l’allié américain qui représente un atout certain quand on brigue le pouvoir en Israël.
A cela s’ajoute qu’aux yeux de ses concitoyens Naftali Bennett a mouillé sa chemise. Père de quatre enfants dans un pays où les grandes familles sont un symbole de réussite, c’est, comme Benyamin Netanyahou d’ailleurs, un ancien de la prestigieuse unité de commandos «Sayeret Matkal». L’esprit de corps le marque au point qu’il a nommé son fils aîné Yoni comme le frère de Netanyahou, un commando d’élite assassiné en 1976 lors d’une opération en Ouganda.
Et puis, Naftali Bennett est un de ces entrepreneurs à succès qui font la «start-up nation» dont se vante l’Etat hébreu. Fondateur en 1999 à New York de Cyotta, une entreprise active dans la cybersécurité, il la revend pour 145 millions de dollars en 2005. «J’aurais pu finir ma vie à boire des cocktails dans les Caraïbes», dit-il souvent en interview, une manière de vanter le sacrifice qu’il a fait en troquant la sérénité des plages turquoise pour le vacarme de la Knesset.
Car ce juif orthodoxe moderne a des convictions qu’il compte bien défendre. Devenu en 2006 le chef du bureau de campagne de Benyamin Netanyahou, il le quitte deux ans plus tard pour diriger la principale organisation des colons israéliens, le Conseil de Yesha. Ces derniers deviendront son fonds de commerce politique, même si lui n’a jamais habité en Judée et Samarie, le terme donné par la droite à la Cisjordanie. Bennett utilise des termes fleuris pour parler des Palestiniens, estimant que le conflit avec eux doit être supporté «comme un éclat d’obus dans les fesses». Il fait preuve d’imagination aussi en lançant en 2010 le concours du «Meilleur éditeur sioniste» de Wikipédia, voyage en montgolfière à la clé. Il a pourtant bien les pieds sur terre, occupant pas moins de cinq portefeuilles ministériels en sept ans.
Donné pour mort et ressuscité
Défenseur du vrai Israël pour les uns, «clown» à la tête d’un «parti nationaliste délirant qui sent le fascisme» pour d’autres, selon les mots de l’ancien premier ministre Ehud Barak, Naftali Bennett est en train de relancer sa carrière politique de manière spectaculaire. Elle était donnée pour morte lorsqu’en 2019, son parti Nouvelle Droite avait échoué à franchir le seuil des 3,25% de votes imposé pour qu’un parti entre au Parlement. Alors limogé par Benyamin Netanyahou de son poste de ministre de l’Education, il peut aujourd’hui espérer devenir premier ministre.
Ce n’est certes pas la première fois que le chef du parti qui n’a pas remporté le plus de sièges peut briguer ce poste. En 2009, Benyamin Netanyahou avait fait de même grâce à son alliance avec les ultra-orthodoxes. Mais le fait qu’un homme de la droite dure accepte de collaborer avec les travaillistes et même les islamistes du parti Raam horrifie une grande partie de la droite israélienne. Selon un sondage lundi de Channel 12, 61% de ses électeurs ne voteront plus pour lui. Certes, une manifestation de soutien a été organisée lundi à Tel Aviv, mais chaque soir, des protestataires se réunissent sous ses fenêtres et, sur les réseaux sociaux, les militants se déchaînent: «Tu as vendu ta terre et ton peuple pour ton siège», «traître à Israël».
Placé sous haute protection tout comme Shaked et le centriste Yaïr Lapid qui devrait dans les prochaines heures annoncer au président qu’il tient un gouvernement, Naftali Bennett semble apprendre une dure leçon. Celle qu’aux yeux de certains, sauter par-dessus les fossés idéologiques est l’une des rares audaces qui, dans l’Israël d’aujourd’hui, ne peuvent être pardonnées.
Culotté oui mais pas vraiment audacieux. Aurait voulu aller avec Bibi mais ça n’a pas réussi,et risquait de tout perdre au cas de 5èmes élections