À l’occasion de la publication de Archéologie du judaïsme en France (Inrap/La Découverte), Paul Salmona, directeur du musée d’art et d’histoire du judaïsme, et ancien collaborateur de l’Inrap, revient sur le rôle de l’archéologie pour documenter la présence juive en France, de l’Antiquité jusqu’à nos jours.
À quand remonte la présence juive en France, du point de vue de l’archéologie ?
Paul Salmona : On fait l’hypothèse que la présence juive remonte à la colonisation de la Narbonnaise. En effet, en 1967, Francis Hoffmann a découvert à Orgon (Bouches-du-Rhône), une petite lampe à huile de type Dressel III à décor de double ménorah – chandelier à sept branches – caractéristique du Ier siècle avant notre ère. Ce n’est pas une preuve de présence pérenne, car cette lampe a pu appartenir à un voyageur, mais c’en est un indice. Pour les siècles suivants, on dispose d’un semis de vestiges : une lampe du IIIe siècle mise au jour par Jean Charmasson en 1963 à Vénéjan, près de Bagnols-sur-Cèze (Gard) ; une matrice de sceau du IVe siècle, là aussi à décor de ménorah, conservée au musée Calvet en Avignon.
La découverte la plus importante est celle du sarcophage double de Pompeia Iudea (« Pompée la juive ») et Cossutius Eutycles, du IIIe siècle de notre ère, exhumé par Alain Genot, conservateur au musée de l’Arles antique, en 2009 lors d’un suivi de chantier d’adduction d’eau sur la rive droite du Rhône, qui est le premier témoignage nominatif de la présence d’un juif – une femme en l’occurrence – sur le sol de la France actuelle. Cela n’a rien de surprenant si l’on considère qu’il existe une communauté juive à Rome dès le IIe siècle avant notre ère. Pour les siècles suivants, elle est très bien documentée dans les catacombes romaines et les juifs sont présents dans tout l’ouest de l’Empire. On connaît ainsi des synagogues antiques à Ostie près de Rome, à Bova Marina en Calabre, à Elche dans la province de Valence en Espagne, ou à Saranda sur la côte albanaise, sans évoquer l’Afrique du Nord.
A-t-on également découvert des vestiges datés de l’Antiquité tardive ?
Des stèles provenant d’Auch (Gers) et de Narbonne (Aude), mises au jour au XIXe siècle témoignent d’une présence continue de l’Antiquité au Moyen Âge. La « stèle d’Auch » a été trouvée sur le site de Saint-Orens et acquise par le musée d’Archéologie nationale en 1873. Datée des Ve-VIIe siècles, elle comporte une inscription en latin, suivie du mot shalom (paix) en caractères hébraïques, à côté de la représentation d’un chandelier à sept branches et de deux symboles religieux juifs. Son statut est discuté : inscription dédicatoire ou stèle funéraire, mais c’est incontestablement une inscription juive. La stèle de Narbonne est celle de Justus, Matrona et Dulciorella, les trois enfants de Paragorus : datée de 688-689, elle comporte une ménorah à cinq branches et la mention « Paix sur Israël » en hébreu à la fin de l’épitaphe latine.
Les juifs semblent s’être bien intégrés dans la vie de la cité à la fin de l’Antiquité. À quel moment, peut-on dire qu’ils ont été discriminés ?
Dans l’Empire romain les juifs jouissent de la citoyenneté, mais dès le Ve siècle, des conciles limitent les relations entre juifs et chrétiens et interdisent la commensalité entre eux, ce qui indique bien que les juifs participaient à la vie sociale de leurs voisins chrétiens. Toutefois, la rupture décisive intervient en France avec les expulsions des juifs par les Capétiens. Philippe Auguste « ouvre le bal » en 1182, en bannissant les juifs du domaine royal. Ils auront le droit de revenir moyennant rançon, avant d’être à nouveau chassés et spoliés par Philippe le Bel en 1306, puis de revenir à nouveau, jusqu’à leur expulsion définitive par Charles VI en 1394. L’histoire européenne retient comme fait marquant l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492 par les rois catholiques, concomitante de la prise de Grenade, alors qu’en réalité les Capétiens sont les pionniers dans ce processus, suivis par Édouard Ier d’Angleterre en 1290. Toutefois en France cette histoire est complexe en raison de la constitution progressive du royaume : ainsi, des juifs du Nord de la France ont pu se réfugier en Provence, puis, lorsque celle-ci est rattachée au royaume, ils en sont expulsés en 1501 ; certains partent alors pour le Maghreb, où ils bénéficient d’une protection juridique en terre d’Islam, la « dhimma ». Le patronyme « Sarfati », signifiant en hébreu « le Français », est ainsi très répandu chez les juifs d’Afrique du Nord. D’autres se réfugient à Avignon et dans le Comtat Venaissin, États français du pape jusqu’à la Révolution. Installés dans des « carrières » (les quartiers juifs en Provence), ces « juifs du pape » sont regroupés en 1624 dans les villes d’Avignon, Carpentras, L’Isle-sur-la-Sorgue et Cavaillon.
Après leur expulsion en 1492, des juifs de la péninsule Ibérique sont tolérés comme « nouveaux chrétiens » sur la côte aquitaine. On observe le même phénomène en Lorraine, où Henri II a besoin des réseaux commerciaux des juifs rhénans pour ravitailler la citadelle de Metz conquise en 1552. Il autorise leur réinstallation dans la région, qui abritera la seconde plus importante communauté juive de France à la Révolution. Et il y a le cas de l’Alsace, terre d’Empire où les expulsions n’ont jamais été définitives : elle est rattachée à la France par le traité de Westphalie en 1648 et les juifs y constituent une très importante communauté lors de l’Émancipation par la Constituante en 1791.
Dans quelle mesure ces communautés juives étaient-elles intégrées à la vie du royaume ?
Au Moyen Âge, les juifs sont actifs dans de nombreux domaines de la vie économique, bien que l’on retienne presque uniquement le rôle de banquiers de certains d’entre eux. Cela étant, cette fonction est majeure dans l’économie médiévale : ils sont notamment les petits prêteurs de du monde paysan qui font fonctionner la société rurale, avançant les fonds avant la moisson ou la vendange. Par ailleurs, les relations entre rabbins et théologiens chrétiens sont étroites notamment pour permettre aux seconds d’accéder à la Bible dans le texte originel hébreu et non pas seulement dans la Vulgate, la traduction latine de saint Jérôme. Dans cet ouvrage, j’ai cherché à montrer ce que les archives du sol pouvaient apporter à la connaissance de cette présence juive, de l’Antiquité à la période contemporaine, car ce que montre l’archéologie, notamment dans les fouilles urbaines, c’est l’intrication des habitats juifs et chrétiens au Moyen Âge dans des quartiers qui ne deviendront des ghettos fermés qu’à partir de 1516 à Venise.
À partir du XVIe siècle, en Alsace et en Lorraine, les juifs ont un rôle essentiel comme maquignons, marchands de chevaux ou de grains. Au XVIIIe siècle, des marchands juifs de Carpentras circulent dans tout le Languedoc pour vendre « meules, meulets, chevaux, et autres bettes de trait ». Une enseigne en mortier de l’écurie Abraham en témoigne encore sur les murs de la juiverie de l’Isle-sur-la-Sorgue. À Lyon, dans une crypte de l’Hôtel-Dieu, une fouille d’Olivia Puel, du service archéologique de la ville, a mis au jour en 2015 des inhumations de ces juifs qui circulaient dans le royaume malgré la validité de l’édit d’expulsion de 1394 rappelé par Louis XII en 1615.
Précisément, quelles sont les caractéristiques de ces archives du sol ? Quels types de vestiges cherche-t-on ?
Le mobilier archéologique proprement juif est limité (amphores ou plombs de douane marqués d’un signe de cacherout, lampes de hanoukkah à huit godets, chandelier à sept branches…), car les juifs partagent la culture matérielle de leurs voisins. Ce qui est le plus caractéristique ce sont évidemment les inscriptions hébraïques (dédicatoires, funéraires ou graffitis), mais hormis ces marqueurs linguistiques, faute de connaissance sur le passé juif de la France, il se peut que des archéologues soient tombés, par exemple, sans le savoir sur des cimetières juifs médiévaux, car dans le judaïsme les rituels d’inhumation ne comportent pas de mobilier funéraire. Pour les caractériser, il faut s’en tenir à ce que Philippe Blanchard, archéologue à l’Inrap, appelle des « signes discrets » : les tombes suivent une orientation ouest-est, en direction de Jérusalem ; les mains sont en position basse, les sépultures ne se recoupent pas, la loi religieuse interdisant de toucher aux restes humains, d’où l’importance du marquage de la tombe par une stèle (verticale au nord de l’Europe, horizontale dans l’aire méditerranéenne). Un impératif de pureté exige en effet que les juifs soient inhumés hors les murs, en terre vierge, à l’instar du cimetière juif de Carpentras, situé à l’extérieur de l’enceinte médiévale. C’est l’un des rares cimetières médiévaux conservés, car toujours en usage, sur plus de cent quarante nécropoles juives connues par les archives. Mais il n’a jamais fait l’objet d’une étude archéologique. On en connait également un à l’Isle-sur-la-Sorgue, étudié par François Guyonnet, directeur du patrimoine de la ville, qui en projette la mise en valeur. À Paris, une découverte fortuite a mis au jour le cimetière juif de la rue de la Harpe, à l’emplacement de l’actuelle rue Pierre-Sarrazin, situé hors les murs du Paris médiéval, par l’éditeur Louis Hachette en 1849, lors de l’agrandissement de sa librairie. C’est le seul cimetière juif médiéval dont le site originel ait livré des stèles. Elles sont aujourd’hui au mahJ. Certaines sont de véritables « livres de pierre ».
Ces cimetières sont difficiles à repérer aussi parce que l’on n’y trouve plus de stèles ?
En effet, les cimetières ont subi le sort de l’ensemble des biens fonciers des juifs après les expulsions. Ils ont été accaparés par la Couronne qui les a vendus ou donnés à des ordres religieux, tandis que leurs stèles ont été vendues à l’encan. Ainsi, à Paris, on en retrouve dans des murs de la rive gauche dès le XVIe siècle. Au Moyen Âge, une stèle est un précieux matériau : l’escalier du château de Loudun (Vienne), a été bâti avec des stèles funéraires, comme le rapporte déjà Louis Trincant, un érudit local, en 1652.
Bien évidemment, l’enlèvement des stèles entraîne la disparition du cimetière dans le paysage. À Châteauroux (Indre), Philippe Blanchard a fouillé le site dit de la « Juiverie », ou « Cimetière des Juifs » qui, sur un plan de 1789, figure à l’extérieur des murailles de la ville, mais il n’y a pas trouvé de stèles. D’après les archives textuelles, on recense environ 150 cimetières juifs en France, mais seuls 24 ont livré des stèles hors site. On en a retrouvé à Chartres (Pascal Gibut) ou à Schiltigheim (Elise Arnold). On connaît ainsi environ 300 inscriptions pour la France médiévale, ce qui est peu rapporté à ce qu’a pu être la population juive au Moyen Âge et au nombre de sites que l’on peut dénombrer en s’appuyant sur la toponymie.
Parmi les indices que vous collectez, vous accordez une place importante aux juiveries et à la toponymie…
En France, la toponymie actuelle (plans des villes, cadastres…) comporte plus de 500 rues aux juifs (ou de la juiverie) et lieux-dits « au juif » ou « à la juive », qui sont la trace fossile des communautés médiévales. J’ai eu la chance, en préparant le colloque « Archéologie du judaïsme en France et en Europe » pour l’Inrap en 2009, de rencontrer le responsable de la toponymie à l’IGN, qui a extrait de ses bases de données toutes les « rues aux Juifs » et leurs variantes régionales : « jurue », « jutarié », « judengasse », etc. Toutefois, beaucoup de rues ont changé de nom et on peut en repérer dans les cartes postales anciennes : pour établir la carte des toponymes publiée dans l’ouvrage, j’ai compilé les données de l’IGN, la collection de cartes postales du mahJ et celle d’un collectionneur de cartes anciennes. Les dénominations de ces sites doivent alerter les archéologues, car on y trouve peut-être encore des bâtiments médiévaux (synagogue, bain rituel notamment). C’est le cas, on l’a vu, du cimetière de Châteauroux, ou de celui de Châlons-en Champagne fouillé par Geert Verbrugghe de l’Inrap en 1994.
De même, on a mis au jour en1985 un important bain rituel (mikvé en hébreu) à Strasbourg, sur un site connu comme « Zum Judenbad », « le bain des Juifs » (publié par Marie-Dominique Waton du SRA Alsace en 1990). Certains de ces mikvés sont bien conservés, comme celui dégagé à Pernes-les-Fontaines en 1990 par Elisabeth Sauze de l’Inventaire général du patrimoine culturel, ou ceux récemment mis au jour par Guilhem Baro, archéologue au service archéologique du Vaucluse, toujours à Pernes, car ils étaient profondément creusés pour atteindre la nappe phréatique. À Provins, Claude de Mecquenem, archéologue à l’Inrap, spécialiste des synagogues, interprète la salle à double nef d’une maison médiévale de l’ancienne juiverie de la ville haute comme une synagogue ; elle donne accès à un bassin rectangulaire en gradins, toujours en eau, qui est probablement un mikvé. D’autres ont été identifiés, dans une cave à Saint-Paul-Trois-Châteaux et à Montpellier, où l’on peut visiter un très beau bain rituel médiéval rue de la Barralerie, étudié par Astrid Huser de l’Inrap dès 2001, et récemment fouillé par Christian Markiewicz. C’est un type de vestige que l’on retrouvera encore, si l’on est vigilant.
Et les synagogues ?
Près de cent-cinquante synagogues médiévales sont mentionnées dans les archives textuelles, mais ce sont des édifices à l’architecture non codifiée, qu’il est difficile d’identifier avec certitude dans le bâti ancien lorsqu’elles ont été réaffectées à d’autres usages après les expulsions. On connaît les emplacements des synagogues médiévales reconstruites au XVIIIe siècle à Cavaillon et à Carpentras ; cette dernière a fait l’objet d’une étude de bâti par Guilhem Baro en 2019. Pour leur part, Nathalie Molina et Robert Thernot de l’Inrap ont étudié en 2009 un édifice situé rue des Juifs à Trets, dans les Bouches-du-Rhône, mais sa fonction synagogale demeure incertaine. La seule synagogue médiévale encore en élévation est celle de Rouffach, un village rural du Haut-Rhin ; elle vient seulement de faire l’objet d’un mémoire universitaire par Carla Heym, une étudiante de l’université de Bamberg. Toutefois, la découverte la plus importante, dans ce domaine, est celle des vestiges de la synagogue de Rouen, un édifice de la fin du XIe siècle, mis au jour fortuitement en 1976 lors de la rénovation de la cour du palais de justice de Rouen. C’est un bâtiment somptuaire, qui a la qualité architecturale de l’abbatiale de Saint-Georges-de-Boscherville, près de Rouen. Les conditions contingentes de sa découverte sont emblématiques de l’absence de réflexion « préventive » sur la présence de vestiges juifs, alors qu’on intervenait précisément… rue aux Juifs !
Vous évoquez dans votre livre un vestige très caractéristique du monde juif : les genizot. De quoi s’agit-il ?
Dans les synagogues, la genizah (pl. genizot) est un dépôt temporaire de textes portant le nom de Dieu, qui ne doivent pas être jetés mais entreposés provisoirement avant leur enterrement rituel. Les rouleaux de la Torah, par exemple, doivent être inhumés. Mais on ne va pas au cimetière chaque fois que l’on a un livre de prières abimé ou des rouleaux qui ne seraient plus valides pour la lecture à la synagogue. À Dambach-la-Ville (Bas-Rhin), dans la synagogue du XIXe siècle, désaffectée depuis la Seconde Guerre mondiale, Claire Decomps, lorsqu’elle était conservatrice à l’Inventaire général du patrimoine culturel de Lorraine, a sauvé de la benne près de 2 000 documents et objets de la genizah, mêlés à des gravats et de la fiente de pigeons, se trouvant dans les combles, et qui avaient commencé à être jetés par les ouvriers travaillant à la transformation de l’édifice en lieu culturel.
Elle en a organisé la fouille avec des bénévoles de la Société d’histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine et a mis au jour un trésor de culture matérielle. Le document le plus ancien est un manuscrit sur parchemin du XIVe siècle, copie du Mishné Torah de Maïmonide. Dans la genizah, ont aussi été découvertes de très nombreuses mappot (sing. mappah), ces langes de circoncision brodés que le garçon apporte à la synagogue lors de son troisième anniversaire et qui serviront à emmailloter la Torah, un rituel symbole de l’Alliance. Données au musée Alsacien de Strasbourg, elles constituent la plus extraordinaire collection de mappot en Europe. Jusqu’ici, les genizot françaises ont été peu étudiées et les travaux dans les synagogues devraient toujours donner lieu à une prescription archéologique, parce que l’on est presque sûr d’y trouver une genizah.
Votre panorama embrasse également la période contemporaine. Quels types de vestiges l’archéologie interroge-t-elle ?
Nous avons évoqué la période moderne pour la crypte de Lyon et la genizah de Dambach, il faut aussi citer les travaux de Gérard Nahon dégageant et relevant dans les années 1960 les dalles sépulcrales des cimetières judéo-ibériques de Bidache et La Bastide-Clairence (Pyrénées-Atlantiques) et de Peyrehorade (Landes), ainsi que les 225 sépultures du cimetière « portugais » de Bordeaux dans les années 2000.
La période contemporaine a été bien étudiée par les historiens, mais j’ai trouvé intéressant de montrer l’apport spécifique de l’archéologie à la connaissance de cette période. Ainsi, parmi les nombreux camps d’internement ouverts en France de 1938 à 1945, seuls ont été fouillés ceux de Royallieu, du Struthof et des Milles, et certains ont été détruits sans avoir été étudiés comme à Pithiviers ou à Beaune-la-Rolande, de sinistre mémoire.
Toutefois, on a fait une extraordinaire découverte à Drancy en 2009 : lors de la rénovation de la cité de la Muette, près de 70 carreaux de plâtre comportant des graffitis des internés ont été mis au jour. Ce sont les derniers témoignages de ces déportés : restaurés et étudiés, ils sont désormais conservés aux Archives nationales (ils ont été publiés par Benoit Pouvreau). Un cas singulier d’archéologie de la Shoah est celui de l’exhumation de Jeanne Benyoumoff, morte en 1943 dans le convoi qui l’amenait de Marseille au camp de Royallieu et qui fut enterrée au cimetière de Compiègne. Elle avait cousu dans ses vêtements onze bijoux qui furent découverts en 1963 à l’occasion de la restitution du corps à sa famille. Une lettre du greffier du tribunal de Compiègne en dresse la liste. Juridiquement, bien sûr, ce n’est pas de l’archéologie, mais en l’occurrence on exhume le cadavre de cette femme et on documente les conditions de son arrestation… Il s’agit donc bien d’une découverte de nature scientifique.
Et puis il y a le cas des mosaïques qui sont parfois, comme pour l’Antiquité, la seule trace qui demeure quand l’édifice ou la fonction a disparu : ainsi à Paris, rue des Rosiers, de la façade du restaurant « Jo Goldenberg » – où s’était produit l’attentat du groupe Abou Nidal en 1982 –, qui est aujourd’hui un magasin de prêt à porter, ou de la mosaïque de seuil de la boutique « Chapeaux Alfred », appartenant au beau-frère de Jeanne Benyoumoff, à Montpellier… transformé en boutique de chaussures bon marché.
Comment expliquez-vous que l’archéologie du judaïsme soit si peu développée en France ? En quoi peut-elle contribuer à mieux connaître l’histoire des juifs de France ?
On n’a pas attendu l’archéologie pour étudier l’histoire des juifs de France, et ce ne sont pas les études spécialisées qui manquent, mais cette histoire ne « percole » pas dans l’Histoire de France. Elle ne figure pas dans l’enseignement scolaire et est la plupart du temps absente des grandes synthèses historiographiques générales. C’est ce que j’appelle une « tache aveugle ». Même les grands historiens juifs comme Jules Isaac ou Marc Bloch sont silencieux sur le sujet. C’est une vaste question épistémologique à laquelle le mahJ a consacré un colloque en 2019, récemment publié par Albin Michel sous le titre Les juifs, une tache aveugle dans le récit national. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir cette question, mais je me borne à relever que, par exemple, la révocation de l’édit de Nantes en 1684 est bien mieux enseignée que l’expulsion de 1394. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les archéologues, mais aussi les conservateurs de musées ou les responsables du patrimoine soient mal informés sur cet aspect de notre histoire, et mal outillés pour le prendre en compte. Cependant, lorsqu’une découverte importante se produit, elle provoque une forme de « retour du refoulé » dans la cité.
Votre livre dresse un panorama conséquent des apports de l’archéologie à la connaissance de l’histoire des juifs en France, mais aussi une collection impressionnante d’erreurs, d’omissions, d’absence de mentions de la présence juive dans l’historiographie et dans l’enseignement de l’archéologie. Comment faire mieux connaître l’archéologie du judaïsme ?
Au cours des trente dernières années, l’archéologie préventive a permis des avancées importantes, liées statistiquement au nombre de sites étudiés en lien avec l’aménagement du territoire. Nous en avions présenté un certain nombre en 2010 au cours du colloque « Archéologie du judaïsme en France et en Europe », et dans mon ouvrage j’en évoque de nouvelles grâce aux contributions d’une vingtaine de chercheurs. Au fil du temps, certains se sont spécialisés, comme Philippe Blanchard ou Claude de Mecquenem, mais de manière « autodidacte ». Toutefois, le domaine de l’archéologie du judaïsme reste confidentiel. Il ne figure pas, par exemple, dans les axes de recherche du Conseil national de la recherche archéologique. L’y inscrire serait un signal important pour susciter la vigilance les services régionaux de l’archéologie et des services territoriaux sur la présence potentielle, dans la plupart des régions, de sites du judaïsme antique, médiéval, moderne et contemporain.
Par ailleurs, se pose la question de la formation des futurs archéologues, car, comme on l’a vu, les marqueurs du judaïsme sont parfois discrets et exigent une compétence particulière pour être repérés et interprétés, comme il en va pour tous les domaines. Ainsi, en 2020, un très important cimetière juif médiéval n’a dû son étude qu’à la vigilance d’un archéologue territorial qui avait participé à un séminaire sur le funéraire avec Philippe Blanchard. Enfin, il manque il un programme national de recherche pluridisciplinaire, convoquant l’archéologie, l’historiographie, la topographie urbaine, la conservation du patrimoine… pour faire progresser la connaissance du domaine.
En 2017 une trentaine de chercheurs – archéologues de l’Inrap, des SRA et des services territoriaux, chercheurs au CNRS, universitaires, conservateurs…) se sont réunis au mahJ pour susciter une véritable programmation sur le domaine. Leur texte, appelons-le « l’appel de l’hôtel de Saint-Aignan », reste d’actualité. Et du 23 au 25 mars 2022, l’Inrap organise avec le mahJ et l’Institut historique allemand à Paris un colloque sur l’archéologie du judaïsme en Europe. Il devrait contribuer à rendre le sujet plus familier des chercheurs.
Il en va de la sauvegarde de ce patrimoine et, par-delà l’histoire d’une minorité ancienne, de la connaissance de l’Histoire de France et de la représentation, univoque ou plurielle, que la nation donne d’elle-même.
Paul Salmona est directeur du musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris depuis 2013. Hispaniste de formation, il a dirigé l’auditorium du musée du Louvre de 1992 à 2005, puis le développement culturel et la communication de l’Institut national de recherches archéologiques préventives de 2005 à 2013. Il a été l’organisateur du colloque « Archéologie du judaïsme en France et en Europe » en 2010, dont les actes ont été publiés en 2011 (Inrap / La Découverte).
Bonsoir, c’est une excellente parution, il serait temps que nos concitoyens prennent conscience de ces faits, nous sommes en France pour beaucoup d’entre-nous depuis minimum 2000 ans !
Bonne soirée