Dani Karavan, le sculpteur israélien, spécialiste des créations en plein air et internationalement reconnu, est mort samedi, à l’âge de 90 ans.
Petit nonagénaire, pétillant de forme et d’impatience, l’artiste interrompt vertement l’entretien que mène avec lui le réalisateur d’un documentaire sur sa vie et son œuvre (High Maintenance, sorti cette année) et se dirige clopin-clopant, mais prestement vers le hors-champ. La raison de cette ire ? Si son interlocuteur ne connaît même pas Guernica de Picasso, alors c’en est assez. Dani Karavan, ne plaisantait pas avec l’histoire de l’art ni la mémoire, et peu lui importait de plaire. Le sculpteur, il vaudrait mieux dire bâtisseur d’espaces intermédiaires, se connectant à la nature et au temps (au passé et au futur) est mort le 29 mai, couvert de gloire : il s’est vu décerner en 1998 le prestigieux Praemium Imperiale, récompense décernée aux plasticiens du monde entier par le Japon, et a exposé au pavillon israélien de la biennale de Venise, en 1976, entre autres.
Décor dur et pérenne
Né en 1930, d’un couple de pionniers, arrivés en Israël dès les années 20, Dani Karavan a sans doute hérité sa vocation de son père, un architecte-paysagiste, responsable de l’aménagement de Tel-Aviv, jusque dans les années 60. Mais, c’est d’abord la peinture qu’il étudie, tôt, dès l’âge de 14 ans, à Tel-Aviv puis à Jérusalem, avant d’installer son atelier, au kibboutz Harel, dont il est un des fondateurs. Quinze ans plus tard, il veut parfaire son apprentissage et part à Florence, à l’académie des Beaux-arts, où il s’initie à la pratique de la fresque, puis, à Paris à l’académie de la Grande-Chaumière, dans le quartier de Montparnasse, foyer de la faune artistique de l’immédiat après-guerre. Délaissant les toiles, il crée des décors pour le théâtre et le ballet, collaborant notamment avec la chorégraphe américaine Martha Graham, à l’avant-garde d’une danse épurée dans les années 60.
Volume et plein air
Se détachant de la planéité du mur, l’artiste en passe bientôt au volume et au plein air : son art, s’appuie et s’étend sur des environnements, naturels ou urbains. Il prend avec ambition et grâce la mesure de vastes espaces dont il épouse le relief, la topographie, l’atmosphère et même les sonorités.
En 1968, fasciné par le bruissement guttural qu’émet le vent en s’engouffrant dans un vieux conduit de cheminée industriel, il achève de bâtir, en plein désert, le Monument du Néguev, un ensemble architectural ou sculptural (à cette échelle, les deux dimensions se confondent) qui tient de la cité fantôme, de la ruine archéologique et futuriste. Les masses, en béton, enchevêtrent leurs courbes, laissent éclore un dôme et se dresser des blocs fuselés comme des pépites de quartz. Mais, ne cherchent qu’à se lover au creux de leur territoire d’élection, le sable, le ciel, la lumière. La fiche technique de la pièce l’énonce sans ambiguïté en incluant dans les matériaux à l’œuvre «le vent, les rayons du soleil, l’eau, le feu, le désert» et, in extremis, «le ciment».
Partout ailleurs (aux Etats-Unis, Michael Heizer, en Angleterre, Richard Long) les artistes mettent de même les voiles, quittant les murs des espaces d’expositions pour créer in situ, en pleine nature, loin des yeux mais connecté à l’âme du paysage. Ce qu’on appellera le land art.
Lien viscéral aux éléments
Dans le documentaire que lui a consacré Barak Heymann, Dani Karavan, sûr de ce lien viscéral avec les éléments, le déclare avec force dans une formule pleine d’humilité : «La nature est mon big boss.» Et il sait lui laisser toute la place dans des environnements urbains ou périurbains. En France, où il a toujours gardé un atelier, une de ses œuvres, s’étend en majesté sur plus de trois kilomètres. A Cergy-Pontoise, en 1986, il conçoit l’Axe majeur, une installation en forme de promenade rectiligne, à arpenter, à traverser, au gré de ses allées, de ses pavés, de ses ponts d’un rouge vif, passant par dessus l’eau des étangs et filant à travers des architectures postmodernes. C’est une œuvre qui file droit mais ne tient pas seule, pour ou par elle-même : elle est un promontoire qui porte à regarder ailleurs, autour, plus loin en faisant longuement l’expérience du site. Les chemins que les environnements de Dani Karavan tracent peuvent aussi être plus sinueux, à l’image de celui qu’il dessina au Japon dans les années 90, en faisant slalomer ses monticules de béton blanc entre l’herbe verte et en y faisant résonner le frémissement d’une petite musique douce comme la brise.
L’artiste, ancrant ses œuvres avec tant d’autorité (les formes sont massives) et d’humilité (elles se plient aux accidents de terrain et font résonner l’air et sa musique) dans l’espace, était porté par l’espoir de tisser un lien avec le passé et le futur. C’est pourquoi, sans doute, il édifia nombre de mémoriaux à travers le monde. Et puis, en 1994, à Portbou, en Espagne, un «hommage à Walter Benjamin», monument ferreux qui prend la forme, discontinue, d’une volée d’escalier conduisant à la mer. Mais, l’installation, comme toutes celles de Dani Karavan, est d’abord une manière de céder à celui qui l’emprunte, seul, immergé, le fin mot. C’est une œuvre dont la seule visée est de passer le relais.