Le mois dernier, la nomination de l’ancienne Première ministre Beata Szydlo au sein du conseil consultatif du musée d’Auschwitz-Birkenau avait suscité de nombreuses critiques.
Le gouvernement a été fréquemment accusé d’interventionnisme dans le champ historique. Pour le journaliste et commentateur juif Konstantin Gebert, le pouvoir polonais cherche en effet à réécrire le passé en glorifiant exagérément l’attitude des Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale.
Konstantin Gebert : Il s’agit d’une tentative majeure de réécriture du passé qui dépasse de très loin les limites d’un débat acceptable sur ce qui s’est réellement passé. Nous savons aujourd’hui que la participation de Polonais à titre individuel [l’État polonais n’a pas pris part à l’Holocauste, ndlr] dans certains crimes nazis était beaucoup plus grande que nous ne le savions il y a environ 15 ans. Il est tout à fait légitime de débattre pour voir à quelle point cette participation est représentative de l’attitude qu’ont eu les Polonais en général pendant la guerre. Mais quand le Premier ministre déclare que les 300 000 juifs polonais qui ont survécu, s’en sont tirés parce qu’ils avaient rencontré des Polonais, il fait un contresens obscène. D’abord, l’immense majorité de ces juifs, qui ont survécu, ont survécu en Union soviétique. Deuxièmement, rencontrer des Polonais pouvait signifier s’exposer au risque de chantage, de dénonciation, voire d’assassinat.
Je trouve que ce n’est pas le rôle du gouvernement de mener une politique historique, mais c’est un parti pris qu’on peut débattre. Mais je pense qu’il n’est pas possible de débattre que le gouvernement ait plus de droit de mentir que quiconque d’autre. Or le gouvernement ment de façon systématique sur ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces mensonges alimentent une montée de l’antisémitisme en Pologne qui va à contresens du long processus historique que nous avons vu depuis la chute du communisme. Pendant quinze ans, l’antisémitisme était en chute libre. Et puis, vers 2010, il y a eu un renversement de tendance : cela précède la prise du pouvoir du PiS, et c’est probablement un des facteurs qui ont alimenté cette prise du pouvoir.
Pourquoi le gouvernement veut-il glorifier l’attitude des Polonais pendant la guerre et mettre en valeur ceux qui ont aidé les juifs ?
Cela répond en premier lieu à un profond besoin psychologique. Le mythe national fondateur de la Pologne est : « nous sommes la victime innocente ». Une victime ne peut pas être coupable, c’est un contresens. Sauf que les victimes sont elles aussi coupables. Reconnaître ses propres crimes, même si c’est difficile, ne diminue en rien la valeur morale du martyre, au contraire, cela permet une confrontation plus honnête avec sa propre histoire. Mais c’est difficile, cela fait mal. Un parti politique qui promet de nous protéger de tout cela automatiquement, se crée un soutien électoral. Les Polonais, dans l’immense majorité, ne savent pas vraiment ce qui s’est exactement passé dans leurs familles pendant la guerre, et ils ne veulent pas savoir parce qu’ils ont peur d’apprendre quelque chose qui leur déplairait. Mais pour la majorité, ce n’est pas le cas ! L’immense majorité des Polonais était trop préoccupée à essayer de survivre pour faire du mal à d’autres. Mais comme on ne peut pas le savoir avant d’ouvrir l’armoire, celui qui promet que l’armoire ne sera jamais ouverte obtient déjà un soutien. Et le parti Droit et Justice n’a aucun espoir de trouver des nouveaux électeurs au centre, il ne peut qu’essayer de convaincre des électeurs de droite.
Est-ce que le Musée de la mémoire des habitants des terres d’Oswiecim, consacré à l’aide apportée aux prisonniers d’Auschwitz par les habitants des alentours et qui sera inauguré en 2022, s’inscrit dans la continuité de la politique mémorielle du gouvernement ?
C’est un cas typique des initiatives de ce gouvernement. L’idée est excellente : faire un travail de recherche sur comment coexister avec l’horreur. Mais au regard des antécédents politiques, il n’y a aucune raison de croire que ce musée sera dédié à une recherche et une analyse objective des faits, mais plutôt qu’il sera encore une œuvre de propagande comme l’est par exemple le Musée de la famille Ulma dans la ville de Markowa (sud-ouest de la Pologne) : les Ulma [une famille polonaise assassinée par les Allemands pour avoir recueilli des juifs, ndlr] sont des vrais héros, ils méritent une place dans la mémoire collective en tant qu’exemple de ce qu’il est possible de faire dans les circonstances les plus odieuses. Ce qu’on n’apprend pas dans le musée, c’est qu’ils ont été dénoncés par leurs voisins. Le musée ignore aussi le fait qu’après le massacre de la famille, plus de 30 juifs ont été assassinés par des paysans de Markowa et des villages environnants.
Dans un musée des Justes, cela devrait être une partie fondamentale du récit, pour montrer l’ampleur des choix à faire, mais c’est transformé en un discours de propagande qui insulte la mémoire des Justes. Je n’ai aucune raison de croire que le futur musée à Oswiecim sera différent : au lieu de parler de ce vrai cauchemar existentiel – c’est-à-dire comment fait-on pour coexister avec l’horreur – il va nous donner une réalité en noir et blanc, flattant l’orgueil national et interdisant tout débat. Un musée qui laisse perplexe fait son travail, pas celui qui impose un point de vue.