Alors que le conflit fait rage entre Israël et le Hamas, la cause palestinienne est instrumentalisée par des groupuscules islamistes pour mener à bien un agenda politique et religieux sur le sol français, argumente la professeure d’histoire-géographie, Barbara Lefebvre.
Après une semaine de violences entre l’État hébreu et le Hamas islamiste, on entend en France par la voix de politiques, de journalistes, la récurrente invocation de veiller à « ne pas importer le conflit en France ». S’agit-il de naïveté, de cynisme, de déni ? Toute personne douée de raison constate que depuis des années, ce conflit s’invite dans nos actualités nationales en Europe, et singulièrement en France où une communauté juive d’environ 470 000 personnes vit aux côtés d’une communauté musulmane approximativement évaluée entre 5 et 8 millions de personnes (selon les méthodes statistiques). Au cours de la seconde intifada (2000-2005), nous avons vu, en France, les flambées de violences antijuives commises par des musulmans qui pour la majorité d’entre eux ne possède qu’une faible connaissance de la géopolitique moyenne-orientale. On se souvient de l’antienne d’un « génocide palestinien » commis par les nazisraéliens (et hier encore présent sur les pancartes dans les manifestations) qui a longtemps paru acceptable dans les discours publics ; personne ne songeant à rappeler qu’en 1944 la Palestine mandataire comptait 1.4 millions d’Arabes palestiniens et qu’ils sont à présent plus de 5 millions…
Depuis les années 2000, les Français juifs menacés et assassinés par des Français musulmans l’ont été au nom du jihad et fréquemment de la cause palestinienne. Les Français juifs ont-ils riposté à ces multiples attaques par les armes ? Ont-ils lancé des représailles contre des mosquées ou des commerces hallal ? Ont-ils organisé des manifestations en hurlant « mort aux musulmans » ? Des élèves juifs ont-ils constitué des groupes de camarades pour harceler des élèves musulmans ? Si importation il y a, elle vient exclusivement des islamistes et des troupes qui leur obéissent en se mobilisant au nom de « la cause palestinienne » quand il s’agit de crier « Mort à Israël ! » (comme hier encore lors des manifestations). Quand Ilan Halimi a été kidnappé en 2006, séquestré, torturé et exécuté, la cause palestinienne a servi de catalyseur à ses bourreaux, comme l’ont prouvé les propos de Yousouf Fofana sur « le sang des enfants palestiniens » et les documentations propalestiniennes retrouvées au domicile de certains geôliers (tous libérés aujourd’hui). Idem pour les djihadistes de Toulouse et de Vincennes, idem pour l’assassin de Sarah Halimi, Kobili Traoré et sa bande d’amis dont les propos sur les réseaux sociaux ne laissent aucun doute sur leur palestinophilie puissamment colorée d’antisémitisme. Pourquoi ces musulmans-là ne se passionnent-ils que pour les Palestiniens ? Pourquoi les associations musulmanes françaises organisent-elles plus de la moitié de leurs actions caritatives en faveur de cette cause alors que dans le monde musulman le niveau de sous-développement éducatif, sanitaire, économique devrait bien davantage mobiliser les musulmans européens ? Sans parler de leur relative indifférence au sort des minorités musulmanes opprimées en Asie.
Voici des décennies que les États arabes exportent ce conflit en instrumentalisant la cause nationale palestinienne, d’une part pour détourner l’attention des foules musulmanes de leur propre incurie politique, d’autre part pour continuer à nourrir un antijudaïsme consubstantiel au récit coranique sur lequel s’appuie depuis toujours le nationalisme arabe. Le moudjahidin, qu’il fut algérien, afghan, somalien, syrien ou tchétchène, fut et demeure un combattant de la foi engagé dans le jihad au sens littéral. La dimension nationaliste du conflit dans laquelle s’insère le moudjahidin n’évacue en rien sa dimension spirituelle, carburant de son nationalisme, et non l’inverse. Mais pour les États européens sécularisés du XXème siècle, et déculturés du XXIe siècle, cette double dimension spirituelle et nationaliste est incompréhensible, ou réduite à un folklore. Pourtant, tous les conflits contemporains dans lesquels des États ou groupes musulmans sont impliqués sont marqués du sceau du jihad, car lui seul permet d’agréger des musulmans de toutes origines ethniques. Ne pas le comprendre, ou refuser de le voir quand il s’exprime dans nos pays européens, c’est la garantie de ne pas être prêts à y répondre le moment venu. Le jihad est le moteur de l’import-export des conflictualités politiques au-delà de leurs terrains d’expression ; son rôle n’est en rien accessoire pour maintenir l’union de l’Oumma, toujours plus menacée par la mondialisation, l’acculturation. Plus le monde musulman est faible économiquement, culturellement, politiquement, socialement, plus il se raccroche à ses mythes fondateurs, à l’islam des origines. Or que cela plaise ou non aux belles âmes, cet islam des origines est empreint de violences politiques. L’arbitrage théologique a été fait il y a déjà plusieurs siècles : le belliqueux Coran médinois a vaincu le pacifique Coran mecquois. Le prophète tolérant prêt à débattre et cohabiter avec l’altérité a été vaincu par Mohamed le chef de guerre. Cet islam des origines dans les récits populaires (qui n’est pas celui des universitaires, mais qui est bien plus puissant !) c’est celui où le premier acte d’union politique de Mohamed et ses troupes récemment installés à Médine sera d’exterminer les juifs de l’oasis de Khaybar en 628. Est-il alors étonnant que dans les manifestations propalestiniennes en France, comme partout ailleurs, on entende les foules hurler : « Khaybar Khaybar ya yahoud, Jaych Mhammad sa yaaoud » (« Khaybar Khaybar aux juifs, l’armée de Mohamed va revenir »). Importation, dites-vous ? Islamisation et djihadisation de la géopolitique, plus sûrement.
La cause palestinienne est le parangon de la cause exportée. Au début du XXème siècle, dès l’époque britannique, les chefs arabes – que l’on ne nommait pas encore « palestiniens » – galvanisaient déjà les populations musulmanes au-delà des frontières de la Palestine mandataire. Les Arabes avaient supporté le joug ottoman pendant des siècles, dans le plus grand sous-développement, car il était islamique, ils ne supporteraient pas le modèle des kouffars anglais, moins encore des sheitans sionistes. Cela aboutira à de multiples pogroms organisés contre les villages juifs à partir de 1920 et l’attaque inaugurale de Tel Haï. La dimension djihadiste est immédiatement présente dans la narration palestinienne à travers des figures comme Izz al-Din al-Qassam un imam soufi syrien installé à Haïfa, puis le Frère musulman Haj Amin al-Husseini, grand mufti de Jérusalem, qui s’installera à Berlin pour collaborer directement avec le IIIe Reich. Al-Husseini à la tête du Haut Comité Arabe coordonne après la guerre (grâce à la sollicitude française il a pu quitter l’Europe libérée en 1945 en toute impunité) les actions terroristes au nom du jihad avec des jeunes musulmans recrutés en Égypte, en Syrie : « Je déclare le djihad, mes frères musulmans. Tuez les juifs ! Tuez-les tous ! ». Des massacres de juifs ont lieu en écho aux appels des « chefs palestiniens » en Égypte et au Liban dès 1945, en Lybie en 1948, Syrie en 1949. Pour ce qui est de l’import-export du conflit, tout cela est donc archi-connu des historiens. Lorsque le plan de partage de 1947 fut validé par l’ONU, accepté par le camp sioniste et refusé par le camp arabe en dépit des avantages territoriaux accordés, les pays arabes coalisés lancèrent leur guerre d’extermination visant à « jeter les juifs à la mer », exigeant des familles arabes qu’elles abandonnent leurs maisons pour laisser passer les armées arabes, puisque la conquête serait rapide et sanglante. Ces armées furent défaites par une armée israélienne naissante qui perdit, dans cette guerre d’indépendance, une grande partie de sa jeunesse. Depuis lors, la lucidité sur la motivation de l’ennemi n’a jamais fait défaut aux Israéliens. C’est sans doute ce qui explique l’agilité et la réactivité israélienne depuis plus de sept décennies. L’Europe, qui se berce d’illusions, n’a évidemment pas les moyens de comprendre de quoi il retourne, ni combien ce qui se déroule en Israël la concerne du point de vue civilisationnel.
En 1948, s’ouvrent pour les civils palestiniens de longues décennies d’abandon et d’instrumentalisation politique dont « l’import-export » de cette cause est un des ressorts : les États arabes les utilisent pour servir leurs intérêts propres tant au sein de conflits régionaux qu’internationaux. L’Égypte occupe Gaza, la Jordanie occupe la Judée-Samarie et Jérusalem Est (Vieille ville incluse), la Syrie occupe le Golan. Entre 1948 et 1967, quels droits ces pays arabes ont-ils accordés à leurs « frères palestiniens » ? Quelles perspectives politiques et économiques leur ont-ils offertes ? Qu’a mis en œuvre la Ligue arabe pour aider les Palestiniens à obtenir par la voie diplomatique, l’État dont la stratégie erratique de leurs propres dirigeants les a privés en 1948 ? Puis vint le temps plus désolant encore des leaders palestiniens de l’OLP et du FPLP. Eux ont exporté le conflit en le projetant dans le terrorisme international, ciblant des juifs à travers le monde et non uniquement « les intérêts israéliens ». À partir de 1967, attaques et détournement d’avions à profusion en Europe, attentats à la voiture piégée etc. La France sera frappée le 9 août 1982 rue des Rosiers où six personnes perdent la vie ; la France négocia avec le groupe palestinien d’Abou Nidal et personne ne fut jamais jugé pour ces faits. La même année à Anvers, soit trente ans avant l’attentat de l’école Ozar a-Torah (l’assassin de Toulouse disait venger les enfants palestiniens), un terroriste palestinien attaquait une école juive tuant un enfant.
L’histoire et la chronologie des attentats commis par le terrorisme palestinien en Europe et dans le monde ont été oubliées, effacées par l’héroïsation dont a bénéficié dans les années 1990 Yasser Arafat, le fossoyeur de la cause palestinienne, l’organisateur de la mécanique de corruption de l’Autorité palestinienne, le soutien indéfectible aux courants jihadistes palestiniens inventeurs de l’attentat-suicide contemporain. Le narratif mensonger palestinien (largement inspiré de la révision historique islamique opérée dès la fin des conquêtes au VIIème siècle) a si facilement convaincu en Occident qu’on ne peut que s’interroger sur les motifs conscients et inconscients du biais antisioniste commun aux élites intellectuelles et politiques occidentales depuis quatre décennies au moins. Elles ne veulent pas savoir que pendant plus de 1600 ans les juifs ont constitué la principale population de cette région qu’elles appellent Palestine (nom imposé par les occupants romains). En dépit des conquêtes assyrienne, babylonienne, perse, grecque, romaine, les juifs étaient majoritaires. Contraints à l’exil par la puissance romaine, des foyers juifs sont demeurés vivants sous Rome puis les Ottomans autour des quatre principaux centres urbains juifs, Safed, Tibériade, Hébron et Jérusalem, et secondaires à Gaza, Rafah, Ashkelon, Jaffa, Jéricho. Jamais « la Palestine » n’a été une terre sans juif. La Jérusalem ottomane était majoritairement peuplée de juifs, et les musulmans à peine un quart de sa population.
Depuis al-Husseini jusqu’à Ismail Haniyyeh, en passant par Arafat et Mahmoud Abbas, pas un leader musulman palestinien qui n’exploite la figure symbolique de l’esplanade des Mosquées pour attiser la violence antijuive. Et dans les galas de charité en faveur de la Palestine qui se déroulent en France c’est toujours l’image de la Mosquée d’Omar ou celle d’Al Aqsa qui est mise en relief pour enjoindre les fidèles aux dons. Les commentateurs européens de répéter comme des perroquets que ce lieu est saint pour l’islam, sans rappeler que c’est d’abord le lieu le plus sacré du judaïsme. C’est sur le Ar a-Beit (Mont du Temple), où jusqu’en 70 se tenait le Temple, que les conquérants musulmans érigent leurs mosquées, parce que c’est le lieu fondateur du monothéisme juif et surtout de sa souveraineté nationale. Pour être la religion ultime qui vient clore le projet divin, pour ériger le nouveau monde de la vraie foi, l’islam doit venir s’enraciner au sens propre et figuré dans la terre originelle du judaïsme. Ce remplacement n’est pas qu’une question de monument religieux, c’est un enjeu ontologique pour l’islam. Aujourd’hui, les juifs n’ont toujours pas le droit de venir prier en ce lieu, la police israélienne veille à ce qu’aucun juif n’y « provoque » le courroux musulman en prononçant à voix haute quelques prières que ce soit. En revanche, les chefs palestiniens aiment lancer des rumeurs d’exactions commises contre les mosquées ou les fidèles pour déclencher intifada et autres agitations. C’est ce que le Hamas a fait il y a quelques jours avant de lancer ses milliers de missiles sur des civils.
La dimension religieuse du conflit est centrale voire totale dans les imaginaires populaires musulmans, là-bas et ici ! Vouloir y plaquer nos représentations occidentales rationnelles à la Metternich relève de l’infantilisme. Le 30 avril 1999, la radio officielle de l’Autorité palestinienne diffusait le message suivant qui résume parfaitement le discours tenu au monde musulman depuis des décennies : « Le territoire de la Palestine musulmane est une entité unique qui ne saurait être divisée. Il n’existe aucune différence entre Haïfa et Naplouse, entre Lod et Ramallah, ni entre Jérusalem et Nazareth. La terre de Palestine est une terre du Waqf consacrée à tous les musulmans, l’est comme l’ouest. La libération de la Palestine est une obligation pour toutes les nations islamiques et non pas seulement pour la nation palestinienne ». Ce genre de message n’a cessé de se réitérer et de gagner en audience avec le développement de l’islamisme violent post 11 septembre et depuis que le Hamas est au pouvoir à Gaza (2007). Dès lors, celui qui connaît le contexte dans sa profondeur historique autant que dans sa dimension culturelle ne saurait s’étonner que l’importation du conflit est inévitable. La présence en France d’une mouvance islamiste minoritaire mais puissante, ayant des sympathies pour le djihadisme, nourrissant un antijudaïsme virulent, devrait conduire les commentateurs et les politiques à plus de lucidité.
Ils devraient aussi accepter de confronter la réalité israélo-palestinienne à notre réalité de difficile cohabitation avec des islamistes anti-France. La facilité avec laquelle ces courants s’arrogent des droits historiques sur des territoires où ils s’installent, y imposent leurs modes de vie, y régentent ceux qui seront tolérés (les dhimmis payant tribut) et ceux qui ne le seront pas, devraient inquiéter ceux qui comptent diriger la nation française dans la décennie qui vient. Auront-ils le courage et la pugnacité de la nation israélienne à défendre son droit à exister ?