Alors que les roquettes pleuvent sur Israël et que l’État hébreu y réplique avec des bombardements sur la bande de Gaza, une vague de violence sans précédent oppose Juifs et Arabes dans une douzaine de villes à l’intérieur même d’Israël.
Depuis une dizaine d’années, la ville d’Akko, dans le nord d’Israël, s’est imposée comme un modèle de coexistence entre Israéliens juifs et arabes. La municipalité a créé un poste de maire adjoint arabe, représentant cette communauté qui compose 30 % de la population d’Akko. Les écoles de cette ville enseignent l’arabe aux écoliers juifs. Il y a des initiatives culturelles mixtes, un théâtre qui réunit des artistes des deux communautés.
En trois jours, toute cette belle harmonie a volé en éclats. Le théâtre a annulé toutes ses représentations et les habitants de la ville ont maintenant peur de sortir de chez eux, de crainte d’être pris à partie parce qu’ils sont soit juifs, soit arabes.
« Akko, c’était notre phare d’espoir, mais tout ça a été littéralement mis à feu », déplore Gershon Baskin, un analyste israélien qui a longtemps travaillé au dialogue israélo-palestinien.
À Akko, des émeutiers s’en sont pris à des commerces appartenant à des Juifs, dont l’un des restaurants les plus populaires de la ville. Mardi, des protestataires ont lancé un assaut contre un poste de police, fracassant ses vitres. Mercredi, des émeutiers arabes armés de barres de fer et de pierres ont sauvagement attaqué un enseignant juif, grièvement blessé dans cette agression.
La scène la plus choquante de ce déferlement de violence est survenue dans la nuit de mercredi dans une autre ville, Bat Yam, près de Tel-Aviv. Des centaines d’extrémistes juifs ont vandalisé des commerces arabes, dont un populaire stand de glaces, et tiré un conducteur arabe de sa voiture pour le passer à tabac.
La scène a été filmée et des milliers d’Israéliens ont pu assister à un lynchage en direct sur leurs écrans de téléphone. On a aussi entendu des groupes de Juifs d’extrême droite déambuler en criant : « Mort aux Arabes ! »
À l’inverse, à Lod, épicentre de cette déflagration interethnique, des émeutiers arabes ont incendié une synagogue, tandis qu’un homme armé d’une mitraillette a tiré sur un groupe de Juifs israéliens, blessant une personne.
« Ces affrontements sont sans précédent et créent une grave escalade », dit Gershon Baskin, qui rappelle que des explosions de violence passées dans les villes arabes d’Israël, dont la dernière remonte au début des années 2000, opposaient surtout les protestataires arabes à la police de l’État hébreu. Aujourd’hui, les attaques ciblent mutuellement les deux communautés.
Indignés, les politiciens israéliens ont dénoncé ces agressions, que le premier ministre Benyamin Nétanyahou a décrites comme « intolérables », alors que le ministre de la Défense, Benny Gantz, a affirmé que « les divisions internes israéliennes n’étaient pas moins dangereuses que le Hamas ».
Le politicien Naftali Bennett, chef du parti Yamina, a dénoncé les attaques de Bat Yam comme « non juives, immorales et inhumaines ». Pourtant, la droite israélienne s’est radicalisée au cours des dernières années, tandis que des bandes de rue arabes ont pu aussi prendre un essor, créant des conditions parfaites pour un affrontement.
Essor de l’extrême droite israélienne
Selon Gershon Baskin, la police israélienne a longtemps ignoré les appels à l’aide des leaders arabes débordés par la montée de bandes armées à l’intérieur de leurs communautés. De l’autre côté, il y a des organisations juives extrémistes, aux discours agressifs et aux actions violentes, qui ont pris un essor en Israël.
Un de ces groupes s’appelle Lehava et combat, entre autres, les mariages interethniques et interreligieux, pour préserver le caractère juif d’Israël. Antiarabes, anti-LGBT, les militants de Lehava ne s’en prennent pas uniquement aux musulmans. Ils visent aussi des organisations chrétiennes. Ils ont déjà tenté de faire annuler un concert commun rassemblant deux chorales : une juive, une chrétienne.
Jusqu’à maintenant, Lehava s’est retrouvé mêlé à des lynchages sporadiques, mais maintenant, « ça s’est répandu dans tout le pays avec un niveau de violence très élevé, c’est pire que tout ce qu’on a pu voir jusqu’à maintenant », signale Yair Wallach, historien et professeur d’études israéliennes l’École d’études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres.
Proches du parti politique des Sionistes religieux, qui a réussi à faire élire six députés à la Knesset lors des législatives de mars dernier, ces militants radicaux ont un poids électoral limité. « Mais leur pouvoir réside dans le fait qu’ils réussissent à influencer le débat public », dit Yair Wallach.
Un des leaders du mouvement est Itamar Ben-Gvir, qui a dressé une table au milieu du quartier arabe de Cheikh Jarrah, le 6 mai dernier, en appui aux colons juifs qui veulent en évincer des habitants arabes. Provocation qui a contribué à mettre le feu aux poudres.
Or, ce député provocateur est la coqueluche des médias israéliens. « Il est leur invité favori après Benyamin Nétanyahou », résume Gershon Baskin. Pas étonnant que son discours porte.
Protestations pacifistes
Les violences qui ont embrasé les villes israéliennes abritant une forte population arabe sont le fait de minorités dotées d’un fort pouvoir de nuisance. Et alimentées par les roquettes du Hamas et les bombes israéliennes qui s’abattent sur la bande de Gaza.
Choqués par ces images de violence gratuite, des Israéliens sont descendus dans la rue, jeudi, pour protester contre une vague de brutalité dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Membre du groupe « Debout ensemble » (Standing Together), qui rassemble Israéliens juifs et arabes, Doron Aruch, 30 ans, énumère les évènements qui ont ponctué la « folie » des derniers jours.
Une manifestation pacifiste à Haïfa accueillie par les grenades assourdissantes, les nuits interrompues par des alarmes avertissant de tirs de roquettes, les nouvelles à la télé repassant les synagogues qui brûlent et les attaques contre des mosquées à Jérusalem, Lod, Akko ou Bat Yam.
Jeudi matin, à 11 h, elle a publié un appel à manifester sur la page Facebook du groupe. Les manifestations ont commencé à 18 h et ont été suivies dans une trentaine d’endroits au pays. « On n’en revenait pas de voir que des milliers de personnes ont répondu à notre appel, ils partagent le même désir de vivre dans la paix, la liberté et l’égalité », confie la jeune femme, jointe à Tel-Aviv vendredi.
À ses yeux, la responsabilité de l’explosion actuelle revient au politicien radical Itamar Ben-Gvir, qui a tout fait pour allumer la mèche. Et au premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui n’a rien fait pour l’éteindre. « Cette confrontation finira par s’arrêter, mais elle aura des conséquences à long terme », déplore-t-elle.
L’analyste Gershon Baskin renchérit : « Il faudra des années pour réparer les dégâts dans les relations construites depuis deux décennies entre Juifs et Arabes en Israël. »