La préfecture de Police a annulé une manifestation de soutien à la Palestine ce samedi 15 mai. Pour Benjamin Sire, l’indignation sélective de ces mobilisations ciblant Israël plutôt que des régimes autoritaires dissimule un antisémitisme latent.
Comme lors de chaque rebond du conflit israélo-palestinien (et celui du moment est de taille), les rues de France vont bruisser de plusieurs manifestations en soutien d’une pacifique Palestine croulant sous les bombes de l’ogre israélien, selon le storytelling habituel d’une certaine gauche et de mouvements se réclamant de «l’antisionisme», plus soucieux des graves agissements du gouvernement israélien que de ceux des terroristes du Hamas, passés maîtres dans la guerre des images et de la communication, à plus forte raison depuis que Twitter est devenu l’épicentre des stratégies d’influence. Dans ce contexte, le rassemblement prévu à Paris dans l’après-midi de ce samedi 15 mai a été interdit par des autorités craignant de nombreux débordements, sans pourtant ignorer que des attroupements braveront ladite interdiction et provoqueront des violences.
🇫🇷 FLASH I À #Paris, des manifestants pro-palestiniens scandent : « À mort #Israël ! ».
(Correspondant Conflits France) #IsraelPalestine pic.twitter.com/EGJtuCtW18
— Conflits France (@ConflitsFrance) May 15, 2021
Ce manège bien rodé depuis des années et qui avait connu son acmé lors des manifestations contre l’offensive israélienne de 2014, illustre à merveille la formule «no jews, no news», voulant que les guerres, attentats et régimes autoritaires ne suscitent pas de grande émotion chez certains activistes quand le petit Israël ou les Juifs ne sont pas en question, ce qui laisse à penser que le sujet principal n’est pas tant un conflit meurtrier au Proche-Orient, qu’un antisémitisme qui ne cesse de croître sur notre territoire, mais également dans tout l’Occident.
Pour nous en persuader, il suffit de faire un petit tour du monde à la rencontre des violences et indices démocratiques qui s’y expriment. Un tel voyage n’a pas pour autant vocation à dédouaner un gouvernement israélien qui, depuis Begin en 1977, mais encore davantage avec Netanyahou, a joué les apprentis sorciers en acceptant le secours d’ultras religieux juifs qui l’a pris en otage, pas davantage que la gauche israélienne, cornerisée par la radicalité de sa minorité et les scandales qui ont décrédibilisé son versant plus social démocrate (pour résumer à très gros traits).
Actuellement, selon les reconnaissances officielles de l’ONU, notre petite planète compte 195 pays indépendants, dont seulement deux ne sont pas membres de l’organisation internationale, mais simples observateurs, à savoir, le Vatican et… la Palestine.
Dans cet ensemble il existe actuellement 38 conflits d’intensités diverses, mettant aux prises des belligérants de plusieurs pays ou des factions armées s’affrontant dans le cadre de guerres civiles. Parmi ces conflits, 12 peuvent être considérés comme majeurs à raison du nombre de morts qu’ils font annuellement, tels ceux en Syrie ou au Yémen, celui opposant plusieurs nations africaines à la secte islamiste Boko Haram, ou celui qui ne cesse de secouer l’Afghanistan, et a pris une nouvelle tournure depuis 2015 etc. Nulle trace parmi eux du conflit israélo-palestinien, qui est pourtant celui qui fait le plus de vagues.
Notre mémoire est peut-être courte et sélective, mais tandis que le cauchemar syrien continue de se produire dans l’indifférence générale, nous n’avons pas le souvenir de manifestations de masse dans nos quartiers pour dénoncer les abominations commises par Boko Haram, ni celles pouvant être mises au crédit des talibans, la plupart frappant pourtant des musulmans. Il en est de même de l’atroce situation des Ouïgours, eux aussi musulmans, et pourtant plus nombreux à eux seuls que l’ensemble des populations israéliennes et gazaouites, incapable de troubler le sommeil d’un militant pro-palestinien ou de l’extrême gauche française. «No jews, no news», on vous dit.
Concernant la situation des régimes présidant à la destinée de l’ensemble des nations formant notre terre géopolitique, et selon l’indice mis en place par The Economist Group depuis 2006, il existerait 4 types de gouvernances allant de la plus démocratique à la plus autoritaire : les démocraties pleines, les démocraties imparfaites, les régimes hybrides et les régimes autoritaires. Dans ce corpus se fondant sur une soixantaine de critères et ne se focalisant que sur 167 pays parmi les 195 mentionnés plus haut, Israël, au même titre que les États-Unis et la France, appartiennent à la catégorie dite des démocraties imparfaites, prenant les 27, 25 et 24ème places respectives du classement.
Le rangement de ces trois pays que nous envisageons, vus d’ici, comme de véritables démocraties, dans une catégorie ayant besoin de progresser en termes de libertés et de considération du peuple est finalement un bien plus grand camouflet pour notre République et pour le géant d’Outre-Atlantique que pour nos amis israéliens, qui ne s’en sortent pas si mal pour un pays sans cesse renvoyé sur le banc des accusés de la géopolitique mondiale.
Parmi les démocraties pleines, on retrouve sans surprise les pays scandinaves qui trustent les premières places, mais également le Canada et les démocraties océaniennes, mais aussi Taiwan, le Costa Rica, le Japon et une dizaine d’autres parmi lesquels nombre de pays européens… à l’exception de la France donc, mais aussi de la Belgique, de l’Italie, de la Grèce ou du Portugal, qui restent pourtant assez éloignés de dictatures au sens où nous l’entendons le plus souvent.
Ces différences entre démocraties pleines et imparfaites restent cependant assez nébuleuses et peuvent laisser supposer que l’indice britannique est discutable et surtout marqué du sceau d’une considération très anglo-saxonne et libérale de la démocratie. Mais c’est une autre histoire.
Toujours est-il qu’à ce petit jeu, le régime israélien, en dépit de ses errances discontinues, reste assez éloigné de ceux qui mériteraient le plus de voir nos rues hexagonales remplies de manifestants outrés, prêts à en découdre avec des forces de l’ordre ne prenant pourtant pas leurs ordres du côté de Jérusalem.
Parmi ceux-là, les plus autoritaires, la Corée du Nord obtient année après année la palme d’or, suivie par plusieurs nations africaines, la République démocratique du Congo en tête, et de nombreux pays musulmans parmi lesquels le Yémen, l’Arabie saoudite, l’Iran, le Qatar ou encore l’Égypte, frontalière d’Israël, mais aussi bien entendu, la Chine et la Russie, tandis que la Turquie bénéficie du statut de régime hybride. Là encore, de mémoire (très imparfaite) de journaliste, le souvenir d’embrasements parisiens en soutien des peuples nord-coréens, saoudiens ou chinois est, pour tout dire, à peu près nul. «No jews, no news», là encore.
Tout cela étant dit, les images des enfants massacrés de Gaza (servant le plus souvent de boucliers humains aux cyniques communicants de guerre du Hamas), tout autant que celles des pluies de missiles survolant le territoire israélien et heureusement le plus souvent interceptées, évitant de véritables carnages, sont insupportables aux yeux de tout être humain normalement constitué. Mais qu’en est-il alors de celles de ces dizaines de fillettes tout juste assassinées par la folie des talibans en Afghanistan, qu’en est-il des horreurs absolues perpétrées par l’ensemble des mouvances islamistes ces derniers temps, là encore le plus souvent à l’encontre d’enfants ayant commis pour seul crime que de vouloir s’éduquer, au Pakistan, au Kenya en passant par le Burkina Faso ou le Nigeria ? Elles sont abominables, apocalyptiques, parce que toujours l’enfance visée sciemment est le reflet de l’absence d’humanité de ceux qui commettent ces actes. Mais ces derniers n’auront jamais le droit à la contestation de leurs actes par les masses rassemblées en nos rues. Parce qu’au jeu de la concurrence victimaire, ce sont toujours les mêmes qui gagnent. Non parce qu’ils sont réellement plus soucieux de leurs morts que de ceux des autres. Non, des victimes du camp qu’ils défendent ils ne voient que la morbide utilité pour, encore une fois, alimenter leur antisémitisme à l’heure du «no jews, no news», allant jusqu’à employer, dans un sommet d’indécence, le terme «génocide», qui caracole en tête des tendances Twitter depuis deux jours. Pendant ce temps, sur le terrain de la politique française, le Rassemblement national compte les points, et, parti originellement antisémite, se délecte d’être aujourd’hui la formation à recevoir la plus grande part d’intentions de vote de nos concitoyens de confession juive. Un véritable tour de force qui doit tant, tout à la fois au Hamas qu’à l’extrême gauche française et à ses soutiens islamistes…
Benjamin Sire