Dimanche à 22h30 sur France 5, Fabienne Servan-Schreiber raconte avec une grande sensibilité le parcours de son époux mort il y a un an du Covid. Une figure à part de la gauche.
Plus franc, moins affairé, plus intellectuel, moins politique. Quand il apparaît à côté d’autres leaders de gauche, de Daniel Cohn-Bendit à Lionel Jospin, on se dit qu’Henri Weber, décédé du Covid le 26 avril 2020 à l’âge de 75 ans, était une figure à part. France 5 a souhaité lui rendre hommage avec ce film, Henri Weber, le rouge et la rose, commandé à son épouse Fabienne Servan-Schreiber, à la tête de la société de production Cinétévé, et au réalisateur Patrick Rotman. Un récit à la première personne tiré de l’autobiographie de Weber, Rebelle jeunesse, publiée en 2018.
Quelle influence ses origines auront-elles eue sur son parcours? Henri Weber naît en 1944 dans un camp de travail soviétique du Tadjikistan. Ses parents, de confession juive, ont été chassés de Pologne. Revenus dans leur patrie, ils fuient à nouveau pour échapper à l’antisémitisme et arrivent à Paris. Là, leur pauvreté ne semble pas malheureuse. Les images d’archives se succèdent au rythme d’une élégante mélodie jouée au piano. Les enfants Weber sont marqués par le scoutisme socialiste et sioniste. Le père, horloger, conseille à Henri d’apprendre à réparer les montres: «On aura toujours besoin de savoir l’heure!» Plus intéressé par les grandes mécaniques de la société, son fils opte pour la sociologie.
Entre Lassay et Saint-Denis
Après la guerre d’Algérie puis celle du Vietnam, le sorbonnard voit rouge. En Mai 68, Henri Weber s’engouffre dans le courant de l’histoire. Il mène la Ligue communiste révolutionnaire, publie en cachette un ouvrage politique depuis l’appartement de Marguerite Duras. «Exilé pourchassé et détenteur d’une vérité à transmettre, Trotski était une figure romantique», avoue-t-il dans une archive, porté qu’il était alors par un idéal marxiste. Il n’a pas 25 ans, mais déjà cette diction qu’on lui connaît, pesant les mots et posant des accents marqués au milieu des phrases. Dix ans plus tard, la révolution et la violence ne lui disent plus rien. Qu’on ne lui parle pas de trahison : il a épousé l’économie de marché sans honte, dit-il, en cohérence avec sa pensée. Quelle doit être la nature de la gauche? Henri Weber a, en fin de compte, consacré sa vie à cette réflexion, poursuivie à travers une quinzaine d’ouvrages, comme Marxisme et conscience de classe et La gauche expliquée à mes filles. «Il n’a eu de cesse de débattre, de lire, de questionner», assure Fabienne Servan-Schreiber.
Weber, homme de compromis, libéré de tout sectarisme, fustigeait une certaine intelligentsia française, «manutentionnaire de concepts n’ayant aucune espèce d’expérience pratique». À la fin des années 1980, il fait des allers-retours entre l’hôtel de Lassay, où il assiste Laurent Fabius alors président de l’Assemblée nationale, et la mairie de Saint-Denis, où il officie comme adjoint. Le Sénat l’accueille en 1995. Comment se sont déroulés ses campagnes et ses mandats? Comment a évolué sa pensée politique? Le film passe malheureusement un peu vite sur ces questions. «On ne voulait pas raser le public», explique Fabienne Servan-Schreiber, de cette voix qui pourrait être celle d’un personnage de Truffaut.
Outre les images d’une carrière qui s’achève au Parlement européen, apparaissent celles de sa vie privée. Une existence plusieurs fois marquée par la souffrance. Sa fille décède à l’âge de 13 ans. «Henri me disait qu’il ne fallait pas perdre notre joie de vie. Il a fait tellement attention à me sauver et à sauver ses enfants, lui sait gré Fabienne Servan-Schreiber. Il nous a donné une direction.» On le comprend avec ce portrait posthume, la bonhomie d’Henri Weber cachait du courage et une immense pudeur.