Entraînés par deux clercs illuminés, 10 000 gueux s’en vont tuer du juif à Toulouse, faute de pouvoir se rendre en Palestine.
Les Parisiens s’interrogent. Qui sont ces envahisseurs d’apparence aussi misérable ? Ceux-ci leur disent vouloir se croiser, mais qu’ils ont fait un crochet par Paris pour rallier à leur cause le roi, mais aussi faire libérer quelques-uns des leurs emprisonnés au Châtelet. Par la force, au besoin. Le prévôt de Paris descend à leur rencontre pour parlementer. Mais autant inciter des frelons asiatiques à faire demi-tour avec des courbettes. Le malheureux prévôt est aussitôt piétiné à mort sur les marches du Châtelet. Les Pastoureaux s’engouffrent alors dans la sombre forteresse pour extirper leurs compagnons de leurs geôles. Pendant ce temps, les autorités se ressaisissent. Des troupes sont envoyées à la rencontre des envahisseurs, qui préfèrent battre en retraite sur le pré Saint-Germain, le fameux pré aux Clercs. Les deux troupes se font face, les injures fusent. Mais la bataille n’a pas lieu, car, finalement, les Pastoureaux se retirent, prenant la route de l’Aquitaine. Faute d’avoir convaincu le roi de partir en croisade, ils décident d’aller faire un nettoyage ethnique dans le sud du pays. Faute de merles mahométans, ils se contenteront des grives israélites.
La menace du pape
Cette deuxième croisade des Pastoureaux (la première ayant eu lieu en 1251) démarre au Mont-Saint-Michel. De jeunes paysans venus en pèlerinage du nord de la France sont convaincus par un moine bénédictin apostat et un prêtre banni de l’Église de partir combattre les infidèles en terre sainte. Par un prompt renfort, cette troupe dépenaillée devient une armée comptant plusieurs milliers de miséreux : bergers, paysans abandonnant leurs terres, jeunes gens, voleurs, vagabonds, des filles aussi. Pour indiquer leur volonté de se croiser, ils tracent des croix sur leurs sarraus. La troupe marche sur Paris pour convaincre le roi de France de prendre la tête de la croisade. Au départ de Normandie, ils ont encore bonne réputation. La population leur offre de la nourriture. Mais beaucoup de malandrins se sont glissés parmi eux pour piller les fermes rencontrées. Après dix jours de marche, la troupe arrive donc à Paris. Toutefois, Philippe V n’a aucune envie de se croiser en terre sainte. Il a déjà suffisamment de boulot en France pour récupérer les provinces perdues. Alors, partir chez les mahométans pour revenir en pièces détachées comme son arrière-grand-père Saint Louis, pas question…
Même le pape les menace d’excommunication ! Quelle misère ! Chassée de Paris, la troupe emprunte la nationale 20… Direction Toulouse. En cours de chemin, la bande de croisés se transforme en bande de voleurs. Les Pastoureaux terrorisent, pillent, violent et massacrent tout sur leur passage. Les juifs en priorité, mais très vite tout le monde y passe. Les églises et les abbayes sont saccagées. Personne ne peut les arrêter. Telle une nuée de sauterelles affamées, les prétendus croisés s’abattent sur les villes de Saintes et d’Angoulême, qu’ils mettent à sac. Le Périgord, le Quercy et la Lomagne reçoivent leur visite. Ils sont désormais plus de 40 000. Le 25 juin, ils débarquent à Albi et, surtout, à Toulouse, où les juifs se réfugient dans le château narbonnais. Mais les Pastoureaux les délogent pour massacrer tous ceux qui refusent de recevoir le baptême. Ça défoule. Au total : 115 morts.
Siège
Une partie de la troupe prend alors le chemin de l’Espagne pour y poursuivre ses tueries, tandis qu’une autre remonte la Garonne. Quelque cinq cents juifs habitant les rives du fleuve s’enferment dans la tour du château de Verdun-sur-Garonne. Ils sont bientôt assiégés. Pour se défendre, ils balancent tout ce qu’ils trouvent par les ouvertures. N’ayant plus rien à jeter, ils saisissent leurs propres enfants, prétend Guillaume de Nangis (ou plutôt celui qui poursuit ses chroniques). Laissons-le achever cette belle histoire : « Néanmoins, le siège ne cessa pas, car les Pastoureaux mirent le feu à l’une des portes de la tour et incommodèrent beaucoup par la fumée et les flammes les juifs assiégés. Ceux-ci, voyant qu’ils ne pouvaient s’échapper et aimant mieux se donner eux-mêmes la mort que d’être tués par des hommes non circoncis, chargèrent un des leurs, qui paraissait le plus fort d’entre eux, de les égorger avec son épée ; il y consentit et en tua sur-le-champ près de cinq cents. Descendant de la tour avec un petit nombre d’hommes encore vivants et les enfants des juifs, qu’il avait épargnés, il obtint une entrevue avec les Pastoureaux et leur déclara ce qu’il venait de faire, demandant à être baptisé avec les enfants. Les Pastoureaux lui dirent : Coupable d’un si grand crime sur ta propre nation, tu veux ainsi éviter la mort ! Aussitôt, ils lui dépecèrent les membres et le tuèrent, mais ils épargnèrent les enfants, qu’ils firent baptiser catholiques et fidèles. »
Leur nettoyage ethnique achevé, l’armée de gueux prend la route de Carcassonne, multipliant les meurtres de juifs dans chaque cité traversée. Sur ordre du roi de France, le sénéchal du pays ordonne aux bons chrétiens de protéger les juifs contre cette bande de barbares, mais « beaucoup de chrétiens, contents de voir périr les juifs, refusaient d’obéir à cet ordre, disant qu’il n’était pas juste de prendre le parti des juifs, infidèles et jusqu’alors ennemis de la foi chrétienne, contre des fidèles et catholiques, ce que, voyant, le sénéchal défendit sous peine capitale qu’au moins personne ne prêtât secours aux Pastoureaux », poursuit le continuateur de Guillaume de Nangis. Finalement, l’armée royale, placée sous le commandement d’Aymeric de Cros, attend les Pastoureaux devant Carcassonne pour les hacher menu. Les survivants sont traqués et impitoyablement pendus. À l’automne 1320, les Pastoureaux ont tous rejoint le paradis ou l’enfer.