Zawahiri, le successeur de Ben Laden, voue une haine particulière à la France, que la branche d’Al-Qaida au Sahel a désignée comme ennemi principal.
Cela fait dix ans aujourd’hui qu’Oussama Ben Laden a été tué dans un raid américain au Pakistan. Le chef d’Al-Qaida n’accordait qu’une place secondaire à la France par rapport aux Etats-Unis dans sa campagne de terrorisme contre « les Juifs et les Croisés », ainsi que les Occidentaux sont stigmatisés dans la propagande jihadiste. Il a fallu attendre juin 2008 pour qu’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), établie un an plus tôt par des jihadistes algériens, tue un ingénieur français à l’est d’Alger, dans un double attentat où onze Algériens ont également péri. En revanche, Ayman Zawahiri, le successeur égyptien de Ben Laden, considère que la France est « l’ennemie de l’Islam » depuis l’expédition du général Bonaparte en Egypte, en 1798-99. Il voit en effet dans la Révolution française une des sources des Lumières arabes, désignées sous le terme de Nahda (Renaissance), dont le jihadisme contemporain prétend liquider l’héritage.
Une alliance jihadiste aux ambitions régionales
La branche de loin la plus active du réseau mondial d’Al-Qaida est le « Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans » (GSIM/JNIM dans son sigle arabe). Cette coalition jihadiste est constituée en mars 2017 sous l’autorité d’Iyad Ag-Ghali, le chef touareg d’Ansar Eddine (les « Partisans de la Religion »), actifs dans le nord du Mali. Outre AQMI et une de ses dissidences, le GSIM intègre le Front de libération du Mecina (FLM), implanté dans le centre et le sud du pays. Iyad Ag-Ghali prête allégeance à Zawahiri au nom du GSIM, amplifiant une rhétorique anti-française devenue obsessionnelle. En mars 2018, le groupe lance une attaque coordonnée sur le centre de Ouagadougou, visant aussi bien l’ambassade de France au Burkina Faso que l’état-major des forces armées. Même si l’assaut est repoussé, huit militaires et huit jihadistes sont tués. En octobre 2020, Iyad Ag-Ghali obtient la libération d’environ deux cents jihadistes au Mali en échange de celle de quatre otages, dont la Française Sophie Pétronin. En janvier dernier, le GSIM tue cinq militaires français dans deux attaques successives.
La France considère le GSIM et son chef comme la principale menace au Sahel, où monte pourtant en puissance la branche de « l’Etat islamique » pour le « Grand Sahara » (EIGS), responsable de la mort, en août 2020, de six humanitaires français au Niger. Alors qu’une rivalité sanglante oppose le GSIM à l’EIGS, les militaires français s’efforcent de ne pas favoriser l’un par défaut en privilégiant les frappes sur l’autre. C’est ainsi que des coup sévères ont été portés à l’EIGS après le raid français qui a coûté la vie au chef algérien d’AQMI, en juin 2020 au Mali. Les autorités françaises sont aussi préoccupées par les velléités d’expansion du GSIM vers le Golfe de Guinée, avec infiltration de militants en Côte d’Ivoire et au Bénin. Quant à Iyad Ag-Ghali, il semble ménagé par les généraux algériens, soucieux de se poser en médiateurs au nord du Mali. C’est ainsi que la famille du chef jihadiste résiderait à Tin Zaouatine, dans l’extrême sud algérien, et qu’Iyad Ag-Ghali aurait, selon une enquête très fouillée du « Monde », échappé en 2016 à une tentative occidentale de « neutralisation » dans la ville algérienne de Tamanrasset.
Le rêve d’être les talibans du Sahel
Iyad Ag-Ghali, en dénonçant avec constance « l’occupation raciste et arrogante des croisés français », rêve d’un succès comparable à celui des talibans en Afghanistan, d’où les Etats-Unis viennent d’entamer leur retrait, après deux décennies d’intervention. De même que les talibans, ancrés originellement dans l’ethnie pachtoune, sont parvenus à élargir leur base ethnique et géographique, le GSIM a réussi à agréger aux insurgés touaregs d’Ansar Eddine les jihadistes peuls du FLM, étendant ainsi dangereusement son rayon d’action. La différence majeure entre les talibans et le GSIM est que Washington a accepté de négocier avec les premiers, marginalisant le gouvernement de Kaboul, alors que Paris refuse toute forme de pourparlers avec les seconds. Mais ce sont les autorités maliennes qui, après l’échange de prisonniers d’octobre dernier avec le GSIM, semblent tentées par un dialogue avec au moins une de ses composantes, le FLM.
Le GSIM, malgré son agressivité au Sahel, s’est révélé incapable, comme AQMI avant lui, de frapper le territoire français, se contentant de cibler des objectifs français dans sa zone d’implantation. De manière générale, la terreur d’Al-Qaida a moins sévi en France que celle de « l’Etat islamique », connu sous son acronyme arabe de Daech. Même la revendication de l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015, par la branche yéménite d’Al-Qaida paraît plutôt opportuniste, du fait de la responsabilité opérationnelle de Daech dans les attaques de cette semaine sanglante à Paris et dans sa banlieue. Il faut cependant reconnaître que l’acharnement anti-français du GSIM pousse une part croissante de l’opinion locale à croire que le calme reviendrait avec le départ des Français, comme si ceux-ci n’étaient pas intervenus en janvier 2013 pour endiguer une offensive jihadiste sur Bamako. Les réticences des membres de l’UE à rejoindre la force européenne au Sahel, à laquelle ne contribuent que la Suède, l’Estonie et la République tchèque, découlent également de cette conviction que la crise au Sahel serait un défi français plutôt qu’européen.
En cela, la guerre de propagande d’Al-Qaida, dix ans après la mort de son fondateur, a déjà porté ses fruits contre la France.
Jean-Pierre Filiu