Vétérans de la guerre et victimes d’attentats vivent un calvaire mal reconnu. Face à l’indignation générale, le ministère de la Défense a fini par réagir.
À 26 ans, brûlé à près de 100 %, Yitzhak Saydian se trouve entre la vie et la mort dans un hôpital de Tel-Aviv. Il y a dix jours, il s’est immolé par le feu face aux bureaux du département réhabilitation du ministère de la Défense à Petah Tikva, dans le centre du pays.
Vétéran de la guerre à Gaza de 2014 – il avait pris part à la terrible bataille de Shuja’iyya au cours de laquelle 13 soldats ont été tués, dont 7 de ses camarades –, il souffrait depuis son retour à la vie civile du syndrome de stress post-traumatique (PTSD en anglais pour « post-traumatic stress disorder »). La commission de réhabilitation du ministère de la Défense avait reconnu son handicap mais à un niveau très faible : seulement 25 %, ce qui ne lui donnait pas accès à tous les traitements adéquats, sans compter une maigre allocation mensuelle. Depuis des mois et face à une détérioration de son état, il mettait toute son énergie à obtenir un niveau d’invalidité de 50 %. Ce que la commission a refusé au motif, semble-t-il, qu’il n’avait pas été sérieusement blessé durant son service.
Lors d’une interview télévisée, il avait expliqué comment cela se passait : « Vous avez une demi-heure pour décrire ce que vous traversez depuis plus de cinq ans. Et si vous voulez qu’on fasse attention à vous, il vous faut louer les services d’un avocat. Ce qui vous coûte des dizaines de milliers de shekels. » Un de ses amis raconte : « Quelques jours avant son acte, il m’a dit qu’il faisait tout pour ne pas craquer, pour garder la tête hors de l’eau. Il m’a aussi parlé de ses difficultés face au ministère de la Défense. Il se sentait humilié à chacun de ses contacts avec eux. »
Natal est une ONG dédiée au traitement des PTSD chez les vétérans et les victimes du terrorisme. Depuis l’immolation par le feu de Yitzhak Saydian, sa ligne d’urgence croule sous les appels. En une semaine, elle a enregistré une augmentation de 900 % des appels à l’aide par rapport aux mois précédents. La plupart provenaient d’anciennes victimes de la guerre à Gaza et de la deuxième guerre au Liban, en 2006. Pour la directrice de Natal, Ofra Shaprut, pas de doute : l’effroi causé par le geste de Saydian a créé un choc. « Et pas seulement chez de nombreux soldats, mais aussi leurs familles, leurs amis. D’où leurs appels pour dire leur détresse. »
Les témoignages se multiplient
Mais cette vague de fond ne secoue pas seulement Natal et les autres organisations qui existent dans ce domaine. C’est toute la société qui réagit. L’indignation grandit face notamment à l’attitude des experts médicaux de la Défense. Ce que d’aucuns décrivent comme le nouveau « parcours du combattant » auquel se heurtent celles et ceux blessés physiquement ou mentalement au cours de guerres ou d’attentats. Entre 2015 et 2019, plus de 20 000 reconnaissances d’invalidité militaire ont été déposées auprès des services du ministère de la Défense. La moitié seulement a été acceptée. Parmi tous ceux qui ont essuyé un refus, quelque 6 000 ont fait appel. 70 % d’entre eux n’ont pas obtenu satisfaction.
Des chiffres dont le grand public commence tout juste à prendre connaissance, alors que les médias multiplient les témoignages d’anciens appelés souffrant de PSTD et que des centaines de vétérans invalides n’hésitent pas à manifester leur colère en bloquant de grandes artères de Tel-Aviv pour protester. Dans l’urgence, les responsables de la défense ont décidé de réformer l’ensemble du système de reconnaissance du statut d’invalide militaire.
Danièle Kriegel