Mercredi 21 avril, des chercheurs de l’université de Groningen (Pays-Bas) ont révélé leurs récentes découvertes autour des manuscrits de la mer Morte. À l’aide de l’intelligence artificielle, les scientifiques ont montré que deux scribes étaient les auteurs du Grand Rouleau d’Isaïe.
L’une des plus importantes découvertes archéologiques du XXe siècle continue de nous réserver des surprises. Mercredi 21 avril, des scientifiques de l’université de Groningen aux Pays-Bas ont partagé dans la revue scientifique en ligne Plos One leurs derniers travaux réalisés sur un rouleau des manuscrits de la mer Morte… et pas des moindres. Ils ont analysé le Livre d’Isaïe (mesurant plus de 7 mètres de long), seul rouleau à être parvenu jusqu’à nous en entier, pour identifier le ou les auteurs du manuscrit. Avec l’aide d’algorithmes, de l’intelligence artificielle et de statistiques, les chercheurs ont conclu que le Grand Rouleau d’Isaïe possédait deux auteurs différents.
Le plus ancien manuscrit connu du Livre d’Isaïe analysé par des techniques de pointe
Découverts entre 1947 et 1956 dans les grottes de Qumran, sur les rives nord-ouest de la mer Morte, les manuscrits, datant du IVe siècle avant J.-C. au IIIe siècle après J.-C., sont aujourd’hui considérés comme la plus ancienne version connue de l’Ancien Testament. La plupart sont en hébreu sur parchemin et ont été retrouvés principalement sous forme de fragments, à l’exception du Livre d’Isaïe. Écrit en hébreu sur 54 colonnes inscrites sur 17 feuilles de parchemin, le rouleau a été numérisé et accompagné d’une traduction anglaise par le Musée d’Israël et Google dans le cadre du Dead Sea Scrolls Digital Project. À partir de cette numérisation, l’équipe d’universitaires de Groningen composée de Mladen Popović, professeur de Bible hébraïque et de judaïsme ancien et directeur du Qumran Institute consacré à l’étude des rouleaux de la mer Morte, de Lambert Schomaker, professeur d’informatique et d’intelligence artificielle à la Faculté des sciences et de l’ingénierie, et de Maruf A. Dhali, chercheur à l’Artificial Intelligence Institute, a utilisé des techniques de pointe pour analyser l’écriture de l’exceptionnel artefact dans le cadre du projet The Hands that Wrote the Bible, financé par le Conseil européen de la recherche.
L’intelligence artificielle au service de la paléographie
Après avoir créé un algorithme qui sépare le texte écrit à l’encre de son arrière-plan (en cuir ou en papyrus), les chercheurs ont utilisé une intelligence artificielle pour analyser l’écriture manuscrite et mettre en évidence de minuscules variations des traits d’encre, telle une nouvelle technique de paléographie beaucoup plus précise pouvant déduire, par exemple, la façon dont un scribe tenait son stylo. L’étude du style d’écriture est habituellement réalisée par l’œil des experts, et est donc subjective, empirique et beaucoup moins précise, surtout dans le cas d’un texte aussi long que celui du Livre d’Isaïe. « Ce parchemin contient la lettre hébraïque aleph au moins 5 000 fois. Il est impossible de tous les comparer à l’œil nu, explique Lambert Schomaker. Les ordinateurs sont bien adaptés pour analyser de grands ensembles de données, comme 5 000 aleph manuscrits. L’imagerie numérique permet toutes sortes de calculs informatiques, au micro-niveau des caractères, comme la mesure de la courbure (appelée texturale), ainsi que des caractères entiers (appelés allographiques). »
Les scientifiques ont utilisé cette nouvelle technologie pour examiner chaque aleph, puis ont complété les résultats avec des analyses statistiques. Verdict : si la plupart des experts pensaient jusqu’à aujourd’hui que le rouleau d’Isaïe était copié par un unique scribe en raison de l’uniformité du style d’écriture, il s’avère que deux mains différentes ont écrit le texte hébraïque. Un scribe a rédigé la première moitié du manuscrit puis un second l’a continué en commençant une nouvelle feuille d’un nouveau chapitre du Livre. « Avec l’aide de l’ordinateur et des statistiques, nous pouvons détecter des différences subtiles et nuancées dans l’écriture manuscrite que nous ne pouvons pas voir avec l’œil humain uniquement », décrit Mladen Popović.
Deux scribes ayant suivi une même formation ?
Partageant un style d’écriture très similaire, les deux scribes anonymes auraient pu être issus d’une même formation, voire être passés par la même école de scribes, ou avoir une origine commune. Les résultats obtenus par les scientifiques sont « une preuve empirique dans un cas très concret – le Grand Rouleau d’Isaïe – pour deux scribes collaborant sur un grand projet. Cela nous dit qu’ils ont travaillé en équipe. Ce n’est plus seulement une conjecture mais fondé sur des preuves maintenant », déclare Mladen Popović. À présent, les chercheurs vont tâcher de découvrir qui se cachent derrière les scribes des manuscrits de la mer Morte. Si la plupart des auteurs de textes anciens sont anonymes, une poignée de scribes sont toutefois nommés dans quelques documents. En étudiant d’autres parchemins, les experts espèrent identifier les origines ou formations des scribes pour en savoir plus sur les communautés qui ont produit ces mystérieux manuscrits de la mer Morte.
Agathe Hakoun