Aujourd’hui Laurie nous rappelle comment, en Tunisie, et dans tous les pays méridionaux en fait, on pouvait assister à la valse des couffins, descendus vides et remontés pleins.
L’ascenseur…. Nous habitions rue Caton à Tunis, tout près du célèbre marché Lafayette. Angle rue Caton rue Hoche, il y avait un épicier. De notre balcon, en attendant que ma mère rentre de l’école (elle était institutrice) j’aimais bien m’asseoir sur une chaise et regarder en face de chez nous.
Souvent dehors, souvent assis sur une chaise en bois d’un autre temps, habillé d’une gandoura pour être plus à l’aise sûrement, il restait là à attendre les commandes. A ses pieds, sur du charbon aux braises rouges, sur un petit cannoun en argile rouge, un petit «berred» rouge dans laquelle cuisait du thé rouge…toute la journée! Un bien joli camaïeu de rouges! Mais l’odeur, cette odeur indescriptible de caramel mélangée à celle du thé planait dans toute la rue.
C’était déjà dans notre quartier la mode du « click and collect! » . Pour ceux qui parlent arabe je dirais : «Sikh ou ejbed!». Pour ceux qui parlent français : «Crie et tire !»
Avec indulgence, on pourrait entendre les mêmes sons, en tous les cas, pratiquement la même résonance! Je m’explique. Cette épicerie se trouvait à l’angle de deux rues et cet emplacement stratégique lui conférait une situation très enviable.
Dans cette boutique un peu sombre, chargée à craquer, cet épicier vendait de tout : des boites de conserves, de la semoule pour couscous, des pâtes, de l’harissa, de l’huile, du fromage, du café, du thé, du pain…il vendait en gros et surtout au détail.
Les tunisiens pour la plupart, n’étaient pas très fortunés, c’est le moins qu’on puisse dire, et les fins de mois étaient parfois difficiles. L’épicier faisait facilement crédit et il inscrivait tout sur un petit carnet, jauni, plus très propre, à force d’avoir été utilisé! Vous savez ce genre de petit carnet plus long que large dont les feuilles se lèvent pour laisser la place à une autre !
Un petit crayon sur l’oreille pour écrire et rayer les dettes. Nul besoin d’ordinateur! Et à la fin du mois ou n’importe quand dans le mois lorsque le patron faisait une avance pour soulager le ménage, alors on allait le payer en totalité ou parfois seulement, d’une partie du crédit. Pour s’en sortir il aurait presque fallu qu’il fasse des études d’expert-comptable, ce pauvre épicier.
Je me souviens qu’il avait, entre autres produits, toujours devant lui, sur son établi en bois, une grosse boîte de concentré de tomate, (d’ailleurs, dangereusement ouverte) et, un gros bol d’harissa : base de l’alimentation tunisienne de l’époque.
Une grosse cuillère en métal mat dans chaque récipient pour en servir au détail et des petits papiers blancs qu’il pliait avec dextérité, en cornet, pour y déposer les fameux trésors. La cuillerée de concentré de tomates devait coûter je pense quelques millimes….l’équivalent de quelques centimes d’aujourd’hui en France.
Et avec quelques cuillerées, donc 20 ou 30 centimes, et un paquet de pâtes, la ménagère faisait des prouesses pour nourrir toute sa famille : père, mère, enfants et parfois grand parents. Et même, il arrivait qu’avec sa générosité légendaire, elle en serve un petit plat à sa voisine….enceinte qui avait senti la bonne odeur enivrante des pâtes à la sauce! Car si elle avait «une envie» non satisfaite, cela aurait pu engendrer une tache rouge sur le corps de son bébé disait on!
C’était le Folklore dans ces immeubles-là, où l’on entendait les enfants jouer dans les couloirs sombres et frais pendant que leur maman lavait le sol de la maison à grande eau savonneuse, la poussant à gros coups de balai dans tout l’immeuble.
Les murs de ces immeubles sont aujourd’hui encore, couverts de ces inaltérables et magnifiques carreaux de faïence peints à la main, distillant toujours cette même fraîcheur d’âme, lorsque l’on y entre.
Ils restent les vestiges, la mémoire d’un temps révolu où des plats montaient et descendaient, où des femmes s’appelaient d’un balcon à l’autre pour se saluer ou pour se raconter les derniers potins de la journée, où enfin, hurlaient pour appeler l’épicier.
En effet, le plus grand Folklore était lorsque une ménagère avait besoin d’un article et qu’elle n’avait pas envie de descendre d’un étage ou deux, elle criait (« sickh ») de sa plus grosse voix : « Attar, attar » qui signifie, « Epicier ,épicier ».
Et voilà que l’épicier pointe rapidement le bout de son nez; il prête une oreille attentive, et enregistre aussi vite sa commande; quelques minutes plus tard, la ménagère envoie alors de son balcon, son couffin vide au bout d’une ficelle en raphia. L’épicier charge la marchandise; et la ménagère de le tirer (« ejbed ») chargé ,avec délicatesse.
Sickh ou ejbed/ Crie et tire/ Click and collect à la sauce Harissa!!!
De ma place privilégiée, je me régalais du ballet incessant de couffins multicolores qui montaient et descendaient toute la journée! Un vrai manège d’OVNI sur la façade de quelques immeubles tunisiens. La NASA,si elle avait existé plus tôt aurait pu s’en inquiéter. C’était, ce que j’appelais, l’Ascenseur de l’épicier.
Recette des pâtes à la sauce tunisienne
1 boîte de concentré de tomates – (250 g)…à l’époque de la marque « Ficano ».
1 kg de pâtes spaghettis (de préférence).
6 gousses d’ail.
1/3 de verre d’huile d’olive.
Un peu d’eau.
Sel.
Laurier si vous aimez (j’adore!).
Dans une casserole à fond épais versez l’huile, rajoutez l’ail coupé menu. Mettre à feu moyen quelques minutes (ne pas laisser colorer).
Rajoutez le concentré de tomates, un peu d’eau, le sucre, le sel, le laurier si vous aimez.
Mélangez, couvrez et laissez mijoter à feu doux, 20 mn à couvert.
Pendant ce temps faites cuire vos pâtes. Puis bien les égoutter.
Lorsque la sauce est cuite et les pâtes prêtes. mélangez.
Un régal! N’oubliez pas de demander à votre voisine si elle est enceinte…..Si oui, offrez-lui un plat de pâtes à la sauce.