Connu pour ses clowneries et ses provocations à l’antenne, l’animateur vedette de « Touche pas à mon poste ! » et de « Balance ton post ! » sur C8 est, en coulisses, un redoutable homme d’affaires. À 46 ans, ce proche des Bolloré compte bien jouer les premiers rôles cathodiques pour la présidentielle de 2022.
Peu de gens le savent : le deuxième prénom de Cyril Hanouna est Valéry, en hommage à l’ancien président Giscard d’Estaing. L’animateur et créateur de « Touche pas à mon poste ! » (« TPMP ») et de « Balance ton post ! », émissions phare de C8, est né en 1974, cinq ans après l’arrivée en France de ses parents, originaires de Tunisie. Et quatre mois après la victoire de VGE à la présidentielle. Au moment de prénommer le fiston, son mitterrandiste de père a voulu faire plaisir à sa giscardienne d’épouse dans le choix du deuxième prénom.
À la maison, aux Lilas, en Seine-Saint-Denis, on parlait de tout, et bien sûr de politique. Papa est médecin généraliste, maman, gérante d’une boutique de prêt-à-porter. « Mes parents peuvent toujours s’embrouiller au sujet de Mitterrand ! », confie Cyril Hanouna. L’animateur connaît sur le bout des doigts l’histoire politique française. Dévorant la presse, regardant la télévision presque en continu, il est capable de se remémorer des bouts de campagnes électorales, des répliques issues de débats, comme il connaît par cœur les finales de tennis mythiques de Roland-Garros ou de Wimbledon.
Changer de braquet
Impossible pour autant de savoir pour qui il a voté au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Seul indice : un candidat dont le nom de famille se terminait par « on » et qui n’était pas François Fillon. Restent Hamon, Mélenchon et Macron. Le seul engagement politique qu’on lui connaît, c’est d’avoir fait de la défense de la diversité un combat personnel, en ouvrant le plateau de son émission à de nombreux invités représentant la société française dans son ensemble. « TPMP » est un hommage explicite à « Touche pas à mon pote », le slogan de l’association SOS Racisme dans les années 1980.
Pour la présidentielle de 2022, Cyril Hanouna veut changer de braquet et jouer les premiers rôles dans la bataille qui s’annonce. Certes, il a déjà reçu Marlène Schiappa et Agnès Pannier-Runacher, ministres déléguées chargées respectivement de la citoyenneté et de l’industrie. Mais il veut frapper plus fort. L’un de ses chroniqueurs, l’écrivain Yann Moix, l’a prédit en direct dans l’émission du 11 février : « C’est ici, sur ce plateau, que se jouera l’élection présidentielle. »
Hanouna ambitionne de recevoir tous les candidats, y compris l’actuel président de la République et Marine Le Pen. Il a une date en tête, idéalement en mars. Peut-être d’abord en solo puis, dans un second temps, tous ensemble, toujours en présence du public. Jean-Luc Mélenchon a déjà son rond de serviette dans l’émission. En février, il a été invité une deuxième fois tandis qu’à la même heure Marine Le Pen et le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, débattaient sur France 2. Une audience plus qu’honorable : 709 000 téléspectateurs pour C8 ; 2 millions de téléspectateurs pour France 2.
« Cyril pèse dans le débat politique et tous les politiques veulent venir, fanfaronne Lionel Stan, directeur général de H2O Productions, la société de production fondée et présidée par Cyril Hanouna. Si on peut faire avancer les choses dans le monde de la télévision, pourquoi pas dans la société française et en politique ? ». À entendre Hanouna, les prétendants à l’Élysée se rueront tous sur le plateau d’une émission prisée des jeunes, où l’on parle de tout, souvent de manière familière. Où l’on peut, comme Jean-Luc Mélenchon, décider que tel chroniqueur (Éric Naulleau, en l’occurrence) ne participera pas aux débats.
Mais où l’on prend des risques : diffusion en direct, question des internautes, grande liberté de ton. Tout peut se dérouler sans heurts ; tout peut aussi déraper très vite. Ce qui explique sans doute qu’aucun des poids lourds du gouvernement ne soit venu. À l’image de Bruno Le Maire, qui explique à M : « J’ai été invité à de multiples reprises, mais j’ai toujours courtoisement refusé. Je ne crois pas que l’on puisse y exposer sereinement ses positions. Je pense aussi que ce n’est pas la place d’un ministre de l’économie et des finances. »
Emmanuel Macron a déjà participé à l’émission, mais… dans une bande dessinée, Le Président, parue aux Arènes en décembre. Morgan Navarro, illustrateur, et Philippe Moreau Chevrolet, communicant et professeur à Sciences Po, imaginent un scénario surprenant. Début 2022 : tourné en ridicule en direct par Cyril Hanouna, Emmanuel Macron quitte le plateau. Acclamé par ses fans qui le poussent à se présenter, le présentateur entre alors en campagne. Le second tour le voit battre Marine Le Pen.
Philippe Moreau Chevrolet, qu’Hanouna avait déjà invité à participer à son émission, y est retourné pour les besoins du livre afin d’en analyser les coulisses, le fonctionnement et, bien sûr, la personnalité de l’animateur-producteur. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’il est animé d’une ambition démesurée : « On n’a rien compris à Cyril Hanouna si on ne saisit pas que c’est un homme de pouvoir. Un mec de pouvoir animé par le pouvoir. »
Des records d’audience pour « TPMP »
Sweat noir siglé d’un flamant doré et baskets flashy, Cyril Hanouna, 46 ans, est assis dans un canapé confortable, avenue Hoche, à Paris, à côté de son communicant. Nous sommes, en ce début mars, au siège d’une filiale du groupe Havas-Vivendi dirigé par Vincent Bolloré, au même titre que C8, Canal+, Planète, CNews et CStar. Lorsqu’on lui demande quelle profession ses enfants inscrivent sur la fiche de renseignements à la rentrée des classes, il hésite : « Troubadour ? » On insiste, il téléphone à son fils de 8 ans et à sa fille de 10 ans. « Il fait quoi comme métier papa ? » « T’es producteur et animateur télé. »
Papa est surtout un des hommes les plus puissants de la télévision française. En mars, selon C8 et Médiamétrie, « TPMP », son émission phare, a battu « un record de saison sur toutes les cibles », avec des pics à plus de 1,5 million de téléspectateurs et, notamment, 12,7 % de part d’audience pour les 15-34 ans, ce qui en ferait le premier talk des 15-24 ans. Un vrai succès, qui dure depuis plus de dix ans, pour l’homme aux 5,9 millions d’abonnés sur Twitter, qui échange des SMS avec Brigitte Macron, dont il est proche, et des balles jaunes à Monte-Carlo avec Novak Djokovic, numéro un mondial de tennis. Il est aimable, poli, tutoie d’emblée. Songe-t-il à se lancer en politique, à la manière d’un Beppe Grillo en Italie ou de Coluche en 1981. « Très franchement ? Cette idée ne m’a jamais traversé l’esprit. Jamais de la vie. »
Marlène Schiappa, pour sa part, veut bien voter Hanouna, mais uniquement en tant qu’animateur. « En 2022, assure-t-elle, c’est lui qui devrait coprésenter le débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. » Parce que, dit-elle, il a été un des premiers à prendre au sérieux le mouvement des « gilets jaunes », enfilant en direct la fameuse chasuble et déclarant à l’antenne : « Si on peut faire le relais entre vous et le gouvernement… »
Autre raison avancée par la ministre chargée de la citoyenneté, avec qui le présentateur a animé un « Balance ton post ! » consacré aux « gilets jaunes », en janvier 2019 : « C’est quelqu’un de brillant, qui connaît la société française. Mais il est de bon ton de cogner sur lui, cela relève du mépris de classe. » En invitant sur son plateau, le 21 janvier, Thaïs d’Escufon, la porte-parole de Génération identitaire, il aurait aussi ouvert les yeux du gouvernement et permis la dissolution du groupuscule d’extrême droite. « C’est grâce à lui ! », soutient Marlène Schiappa.
Une affirmation reprise par Hanouna lors de notre rencontre : « On les a exposés, c’est grâce à nous s’il y a eu la dissolution. » On lui rapporte alors les propos d’un conseiller de Gérald Darmanin : « Cela faisait plus d’un an que nous travaillions sur cette mesure. Nous n’avons bien évidemment pas engagé cette procédure après la diffusion de l’émission. » Pour une fois à court d’arguments, Hanouna se crispe. Immédiatement, le sourire s’efface et le regard devient noir un court instant. Puis il retrouve son air affable.
En quête d’une forme de respectabilité
Cyril Hanouna est un homme aux multiples visages. À l’antenne, il est tantôt clown – il se définit lui-même comme « rigolo » –, tantôt intervieweur sérieux. En coulisses, il est un homme d’affaires redoutable et redouté. Jadis, on l’évoquait pour ses blagues et ses frasques : nouilles dans le slip d’un de ses animateurs, plaisanteries et attitudes sexistes ou homophobes, lourdement condamnées en 2017 par une amende de 3 millions d’euros par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et confirmée par le Conseil d’État en septembre 2020 après demandes d’annulation de C8 et du groupe Canal+.
Le temps a passé et Cyril Hanouna ne fait plus partie du top 10 des saisines du CSA. On a beaucoup dit qu’il ne fonctionne qu’au bruit médiatique, au scandale. C’est encore vrai, mais les choses ont un peu changé. Sans le revendiquer, l’intéressé recherche aujourd’hui une forme de respectabilité. « Je ne réunirais pas jusqu’à 1,5 million de téléspectateurs tous les soirs en direct depuis dix ans si j’étais dans le buzz, rétorque-t-il. La marque “TPMP” est la plus puissante du PAF. Les équipes font un travail formidable, on est une émission de divertissement, de débat, qui parle de tout, donne la parole à tous, dans un paysage audiovisuel qui se lisse de plus en plus. C’est ça, le succès de “TPMP”, pas le buzz. »
Peut-être, mais, fin février, celui qui prétend influer sur la campagne présidentielle annonçait le recrutement comme chroniqueuse d’Isabelle Balkany, condamnée le 27 mai 2020 par la cour d’appel de Paris à quatre années d’emprisonnement pour blanchiment de fraude fiscale. Avant, selon nos informations, d’y renoncer. Reste qu’entre-temps, toute la presse en a parlé.
Une Pythie qui devinerait les tendances
Année après année, émission après émission, son pouvoir s’accroît. Il compte. On le sollicite, on le sonde. Le jour de notre rencontre, il reçoit un SMS parmi tant d’autres. Que pense-t-il du transfert de France 3 à France 2 de la série Capitaine Marleau, signé Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des programmes de France Télévisions ? Celui-ci reconnaît échanger « de temps en temps avec Cyril Hanouna, [qu’il] respecte beaucoup ». Hanouna, la Pythie qui connaît tous les chiffres, devinerait les tendances.
Il suit à la seconde près sur son téléphone, pendant l’enregistrement, l’audience de « TPMP ». Michel Drucker, qui le couvre de louanges, l’assure : « Il connaît les chiffres de mes émissions avant moi. » Le nom d’Hanouna circule pour prendre la direction des programmes d’Europe 1, si la station est finalement bien rachetée par Vincent Bolloré. À son sourire en coin, on comprend qu’il a déjà tout en tête. Ce joueur de poker, de tennis et de billard à au moins trois bandes énonce le champ des possibles avec gourmandise.
Une émission sur les médias à 9 heures, une sur la santé à 10 heures, puis les informations avec les auditeurs. De 14 heures à 16 heures, Christophe Hondelatte puis Stéphane Bern raconteraient des histoires. Cyril Hanouna s’installerait à l’antenne de 16 heures à 18 heures pour une émission de divertissement. Enfin, il ressusciterait l’émission de football de feu Eugène Saccomano, « On refait le match », à 20 heures, rebaptisée « Les vieux de la vieille ».
Mais il a d’autres idées. Mécontent que trop de zones traversées par les automobilistes ne permettent toujours pas une bonne réception, il prévoirait un audit de tous les émetteurs radio. Il réduirait aussi la dose de publicité pour privilégier les contenus et inciter les auditeurs à revenir sur une radio en perte de vitesse, qui n’affiche que 5 % de part d’audience cumulée (au premier trimestre 2021), à égalité avec Nostalgie et très loin derrière France Inter et RTL.
H2O, un chiffre d’affaires de 43 millions d’euros
En attendant, la rumeur a aussi couru qu’il allait reprendre, en septembre 2021, les débuts de soirée sur Canal+. Succéder à « Nulle part ailleurs », au « Grand » et au « Petit journal ». Une tranche horaire qu’Yves Calvi est contraint d’abandonner d’ici à l’été, après des audiences calamiteuses. Mais, s’il quittait « TPMP », « il y aurait sans doute un trop gros risque d’affaiblir C8 », estime un de ses proches. Le voici devenu indispensable, récoltant le fruit de ses efforts. Quand il croise un potentiel concurrent ou un journaliste, Cyril Hanouna aime à demander : « Tu sais combien je pèse ? » Réponse : très lourd.
Depuis l’automne dernier, il représente Vivendi au conseil de surveillance de Banijay (dont le groupe Vivendi détient 32,9 % des parts), fondé en 2007 par Stéphane Courbit. Avec le rachat d’Endemol, Banijay est devenu le premier groupe de production audiovisuelle indépendant au monde, avec un chiffre d’affaires annuel de 2,7 milliards d’euros en 2019, selon la direction du groupe Vivendi. Filiale de Banijay, la société de Cyril Hanouna, H2O Productions, affichait en 2018 (derniers chiffres publics) un chiffre d’affaires de 43 millions d’euros.
Elle est devenue une des sociétés télévisuelles produisant le plus de programmes diffusés en France : outre ses deux émissions (« Touche pas à mon poste ! » et « Balance ton post ! »), une récente web-série documentaire, Influenceurs, une vie de rêve à Dubaï, le jeu « À prendre ou à laisser » (déprogrammé depuis février) ou des émissions consacrées aux stars de la télé-réalité. Pour compléter le tableau, notre homme de 46 ans est à la tête d’une (petite) société de production de cinéma, Darka Movies, qu’il a créée en 2015. Un premier film réalisé par Claude Zidi Jr, le fils de Claude Zidi, est en cours de tournage. Il assure même être en train d’écrire deux séries, une policière et une comique.
Des petits boulots jusqu’à 30 ans
Quand il commence sa carrière télé, Hanouna est encore adolescent. Il participe au « Juste Prix » et à « Que le meilleur gagne ! », puis devient stagiaire sur Comédie !. « J’ai connu Cyril Hanouna gamin, se remémore Michel Drucker. Il voulait faire un one-man-show, se rêvait en nouveau Jamel. Il était assez timide, mais avec une vivacité d’écureuil. Je l’ai toujours suivi. J’ai su très vite qu’il deviendrait le nouveau Christophe Dechavanne. Ils ont la même dextérité, la même capacité à gérer le direct. Tout le monde pensait que ça ne durerait pas, tout le monde a eu tort. Il sait tout faire. »
Hanouna évoque ses difficultés à l’approche des 30 ans, cumulant les petits boulots. « C’était super dur, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai continué. Tous mes potes me disaient : “Viens travailler avec nous, lâche la télé !” Mais je sentais qu’il allait se passer quelque chose. » Il promet malgré tout à ses parents de devenir expert-comptable, à défaut de faire médecine comme son père, si sa carrière télé ne démarrait pas.
Un jour, au début des années 2000, il traverse la cour des studios de « La Grosse Émission », sur Comédie !, déguisé en champignon. Le producteur Stéphane Courbit l’aperçoit et lui demande : « Toi qui es marrant, tu ne veux pas travailler avec nous ? » En peu de temps, sa carrière décolle : TF1 avec Arthur comme mentor, France 2, France 3, France 4 (où est d’abord diffusé, à partir de 2010, « Touche pas à mon poste ! »).
Le tournant ? La rencontre avec les Bolloré en 2004
Mais sa vie bascule réellement en 2004, quand il rencontre Vincent Bolloré. Ce jour-là, il fait la promotion de son spectacle Cyril Hanouna est une ordure sur le plateau de Direct 8 (devenue C8). À la fin de l’émission, un homme l’attend : « Bonjour, je suis Vincent Bolloré. Est-ce que tu veux prendre un café avec moi dans mon bureau ? » Le comique est soufflé : « Je n’en revenais pas. On discute, on rigole, je lui dis comment je vois les choses. » Ils échangent leurs numéros et s’envoient des SMS régulièrement. Le milliardaire prend des nouvelles.
« Un jour, il me dit : “J’aimerais que tu rencontres Yannick.” Avec son fils, tout de suite ça a collé. On est devenus hyper potes. Et en 2010 Yannick et moi avons eu l’idée de monter une boîte ensemble. C’est comme ça qu’est née H2O. » Yannick Bolloré apporte une petite précision. L’idée n’a pas surgi d’une volonté commune mais d’une sollicitation de l’animateur. « Il est venu me proposer de l’accompagner dans son projet. Je l’ai fait, et c’est comme cela qu’est née H2O. » Deux H : un pour Havas et un pour Hanouna.
Cyril Hanouna évoque une histoire de complicité avec les Bolloré, d’osmose. « Yannick est mon meilleur ami et Vincent est comme mon grand frère. » En 2012, son émission quitte France 4 pour D8. Depuis, ils ne se sont plus quittés. « En tout cas, je ne me vois pas travailler avec quelqu’un d’autre. Vincent Bolloré est tout sauf autoritaire. Je suis d’une fidélité indéfectible et c’est réciproque, je crois. » Oubliant un peu vite que l’homme d’affaires breton sait aussi étouffer la moindre contestation au sein de son empire.
Quand on demande à Yannick Bolloré de définir sa relation avec Cyril Hanouna, il évoque « un ami fidèle, loyal et très protecteur de ses équipes et des gens qu’il aime ». Fin 2015, son père, Vincent, président du conseil de surveillance de Vivendi et de Canal+, annonce signer à Hanouna un chèque de 250 millions d’euros pour continuer à produire ses émissions cinq ans de plus. C’est à cette période, d’après plusieurs de nos interlocuteurs, que l’animateur « devient un autre homme et pète les plombs », selon l’expression d’un haut responsable d’une chaîne de télévision concurrente.
« Il était sympa, généreux, et là, il est devenu par moments cassant, très colérique surtout. » À Europe 1, qu’il quitte en juin 2016 au bout de trois années de présentation des « Pieds dans le plat », il ne laisse pas que de très bons souvenirs : « Quand on est dans son équipe, on est sous son emprise, se souvient un de ses anciens collaborateurs. C’est Versailles sous l’Ancien Régime, la contestation n’y a pas sa place. »
Devenu intouchable
Fort du soutien du milliardaire breton, Cyril Hanouna se croit-il devenu intouchable ? Toujours en 2016, le journaliste indépendant Arnaud Ramsay retweete un article de France Football dans lequel l’humoriste Julien Cazarre explique avoir refusé la proposition d’Hanouna de travailler avec lui. Assommé de SMS de l’animateur et de messages vocaux menaçants, Cazarre dépose une main courante. Ramsay, qui intervient alors régulièrement dans « 20 h foot », sur i-Télé (devenue CNews), se fait aussi insulter au téléphone. « Je vais venir te défoncer, tu ne sais pas qui je suis. Viens qu’on s’explique. T’es fini ! », lui assène Cyril Hanouna.
La main courante de Cazarre se transforme en plainte au commissariat du 9e arrondissement de Paris. Elle a depuis été classée sans suite par la justice. « Le Canard enchaîné a révélé la plainte, précise le journaliste sportif. Du jour où mon nom a été publié, et alors que j’avais été invité des centaines de fois sur i-Télé pour parler sport, je n’ai plus jamais été sollicité. Après, Hanouna pourra toujours dire que c’était pour rire, mais je n’en suis pas convaincu… »
Cyril Hanouna se considère-t-il comme un homme de pouvoir, au sens d’un homme que l’on craint ? « Je suis un passionné », rétorque-t-il à grand renfort de langue de bois. On insiste. Son regard se durcit à nouveau, un petit sourire en coin. « Je ne sais pas, je ne me rends pas compte. C’est plus la façon dont les gens me parlent qui pourrait le montrer… » Ou plutôt n’osent plus parler de lui. En 2017, Rachid Arhab, ancien présentateur du JT de France 2, ex-membre du CSA, intègre « TPMP » comme chroniqueur. Il incarne une prise de choix pour celui que le CSA a dans son viseur.
Régulièrement humilié par les autres membres de l’équipe, en décalage complet avec le ton de l’émission, le journaliste s’en va au bout de trois mois. Attaqué par les « fanzouses », l’armée de fans d’Hanouna sur Twitter, il dénonce « un système diabolique, des entrailles fétides » et publie la photo d’un carnet, assurant y avoir pris des notes. Une avalanche de messages insultants s’abat sur lui, l’obligeant à quitter les réseaux sociaux. « Je ne sais pas si je dois vous parler, confie-t-il quatre ans après. Si vous remettez une pièce dans le juke-box, la machine s’emballe. »
Des attaques tous azimuts
À l’antenne, Hanouna se les paye tous, ces animateurs concurrents qui pourraient lui faire un peu d’ombre : Arthur, Yann Barthès, Michel Cymes, Karine Ferri… En novembre 2019, Karine Le Marchand, animatrice de « L’amour est dans le pré », sur M6, s’en prend sur Instagram à deux chroniqueurs qui ont évoqué à l’antenne des rumeurs au sujet de son couple. Citant Umberto Eco, elle convoque « l’invasion des imbéciles ». Réponse d’Hanouna face à la caméra : « Karine, va prendre une camomille, calme-toi et va dans les prés toute seule pour te retrouver ! »
Un an plus tard, un autre membre de l’équipe accuse l’animatrice d’avoir quitté une clinique parisienne sans payer. Accusation démentie par l’intéressée et l’établissement. M6 publie un communiqué : « M6 condamne fermement cette attitude de mise en cause régulière et réitérée, et suspend à compter de ce jour toute participation à “Touche pas à mon poste !”. » Contactée, Karine Le Marchand n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Dans les couloirs de la chaîne, personne ne moufte.
« Qui veut nous racheter ? interroge une des têtes pensantes de M6. Vincent Bolloré… Donc tout le monde se tait. Pourquoi croyez-vous que Michel Drucker encense Hanouna ? Sans doute l’aime-t-il beaucoup. Mais, si Delphine Ernotte, [présidente de France Télévisions] le congédie un jour, que fera-t-il ? Il négociera avec Hanouna pour rejoindre le groupe Canal. » De fait, les deux hommes n’excluent pas de travailler un jour ensemble.
« Il se croit tout permis »
TF1 n’est pas épargné non plus par les attaques. En janvier, Cyril Hanouna se grime en Ara Aprikian, directeur des programmes de la chaîne, pour une parodie de la scène finale du Professionnel avec Belmondo. En ligne de mire : « District Z », la nouvelle émission d’Arthur. Accablé par les audiences calamiteuses de l’animateur, Aprikian-Hanouna ordonne qu’on l’abatte dans le dos, comme dans le film.
« Hanouna a développé une obsession maniaque à l’égard d’Arthur, il veut tuer le père », analyse un des amis du créateur des « Enfants de la télé ». Au sujet de ce simulacre d’assassinat, on sollicite, en vain, Arthur et ses avocats. TF1, première chaîne privée d’Europe, proteste simplement par voie de presse : « Nous refusons que nos collaborateurs ou salariés soient l’objet d’injures, de menaces ou victimes de harcèlement. Il serait temps que les avertissements et sanctions répétés, notamment du CSA et de la justice, amènent à un changement de comportement de Cyril Hanouna. »
Pourquoi ne pas porter plainte ? « C’est compliqué, répond-on à TF1. Vous savez avec qui il travaille… » Un très haut dirigeant de la chaîne s’énerve pourtant : « Ce qu’il a fait à Aprikian et Arthur est d’une extrême violence. Son vrai pouvoir, c’est d’avoir l’oreille de Vincent Bolloré. Du coup, il se croit tout permis. Lui et Bolloré se tiennent par la barbichette. Mais, à ce jeu-là, Bolloré reste forcément le plus fort. »
Pourquoi tant de haine ? Pourquoi ces moqueries, ces fausses allégations, ces attaques contre les autres stars du petit écran ? « Tout ça, c’est de l’humour, c’est pour rire, c’est pour déconner, il ne faut jamais le perdre de vue », répond Cyril Hanouna. Le médecin, journaliste et animateur Michel Cymes, lui, a perdu son sens de l’humour au gré des attaques dont il est devenu la cible. Il rencontre Hanouna à France Télévisions, participe même à quelques numéros de « TPMP ». Mais le vent tourne. « Il y a environ cinq ans, sans que rien de particulier ne se passe, ses chroniqueurs ont commencé à me cibler, raconte-t-il. Critiquer mes émissions, ma façon de présenter ne me pose aucun souci. Mais, quand cela porte atteinte à votre personne, ce n’est plus possible. Je ne vais pas me laisser traîner dans la boue. »
Une ambition à prendre au sérieux
Un producteur très influent, qui apprécie et connaît Cyril Hanouna, lui donne aujourd’hui volontiers ce conseil à distance : « Qu’il se calme s’il veut passer à d’autres postes de direction, plus influents. Qu’il arrête de jouer un jour au clown, un autre au caïd. » Et pourtant, « Baba » (son surnom) jure ne vouloir que la paix, l’harmonie, la « darka » (de l’arabe familier : amusement, rigolade), comme il dit. Et se mettre au service des autres.
Trente-quatre ans après la naissance des Restos du cœur, il a même imaginé marcher dans les pas de Coluche et créé une Banque du cœur, en 2019. L’idée était de réunir des fonds pour prêter de l’argent à des personnes dans le besoin. Soins médicaux non remboursés, voiture en panne, chaudière à remplacer… Lui et ses partenaires devaient se porter garants. Le projet n’a pas vu le jour. Aujourd’hui, il fait la promotion de celui de Ryad Boulanouar, un ancien ingénieur informatique ayant fait fortune qui, sollicité à l’époque, avait jugé la Banque du cœur « irréalisable ». L’idée serait de créer une cryptomonnaie, le poto, destinée à soutenir des associations d’aide aux plus démunis. Le projet, qui aurait dû être lancé fin 2019, semble en suspens.
L’entretien se termine. Affable, le provocateur nous a entraîné vers des chemins de traverse, partageant le souvenir d’une finale mythique de Wimbledon des années 1980 ou d’un vieil épisode de Columbo. Au fait, une dernière petite question : comment envisage-t-il la suite de sa carrière ? Il se voit rester cinq ans à l’antenne sur C8 puis diriger une chaîne. Non, pas une chaîne : un groupe.
Michel Drucker prend son ambition au sérieux. « Il serait temps que les lecteurs du Monde et l’intelligentsia comprennent que Cyril va rester dans l’histoire de la télévision, assène-t-il. C’est un chef d’entreprise. Vincent Bolloré ne laissera jamais partir Cyril Hanouna, sachant que C8 dépend entièrement de lui. » Peut-il bâtir un empire ? « En tout cas, il travaille avec des gens qui détiennent un empire. Il a un boulevard devant lui. »
L’intéressé se montre plus prudent. « Le calendrier, on verra. C’est Yannick et Vincent Bolloré qui décideront. Le jour où on me dira : “Cyril, passe à autre chose”, j’écouterai, car c’est une décision que je n’arriverai pas à prendre tout seul. » Le week-end avant notre rencontre, il a joué aux échecs avec Yannick Bolloré et perdu. L’industriel confirme qu’ils jouent aussi au tennis et au padel, un sport à la croisée du tennis et du squash, presque tous les week-ends. « Cyril est le même dans la vie qu’à l’antenne. Il est authentique et sincère. Sa grande force, c’est qu’il ne joue aucun rôle. »
On repense pourtant à ce que nous a dit Rachid Arhab : « Cet homme, c’est Janus. Quelqu’un de sincèrement généreux mais aujourd’hui prisonnier d’un système qui fait peur. » On songe surtout à cet avertissement reçu de la part de l’assistant d’une des plus grandes vedettes de la télévision. Joint au téléphone, il nous avait prévenus : « Vous ne savez pas à qui vous vous attaquez avec l’écriture de ce portrait. Vous ne savez pas qui est Cyril Hanouna, qui sont ses amis, de quoi ils sont capables, à quel point il fait peur à tout un tas de gens. » Suivant les préceptes d’Hanouna, on avait souri. Avant de comprendre que notre interlocuteur, lui, ne plaisantait pas.