Le monde du spectacle est à l’arrêt depuis plusieurs mois. A Tel Aviv, l’artiste Shirel s’apprête à remonter sur scène, avec son spectacle Yentl & Me, qui interroge le rôle de la femme aujourd’hui.
Après des mois sans pouvoir poser les pieds sur scène, la vie reprend peu à peu son cours à Tel Aviv, en Israël. La chanteuse franco-israélienne Shirel, 40 ans, s’apprête à retrouver le monde du spectacle. Elle sera de retour au ZOA Theater le 12 mai, l’occasion de jouer de nouveau son spectacle Yentl & Me. Dans cette production musicale qui mêle les chansons de Michel Legrand et ses productions personnelles, Shirel s’inspire du parcours de Yentl, cette femme juive qui se travestit en homme pour pouvoir être rabbin. Mais ce spectacle est pour elle l’opportunité de faire entendre la voix de femmes, toutes générations confondues, qui expriment leur ressentie sur le rôle de la femme aujourd’hui.
Née en France d’une mère américaine – la chanteuse Jeane Manson – et d’un père franco-israélien – le producteur André Djaoui, vous partez vivre en Israël à l’âge de 18 ans. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Une quête des racines. Je me sentais déjà juive, et je voulais savoir un peu plus qui j’étais. Même si j’étais américaine, je ne me sentais pas d’aller aux Etats-Unis, et je ne me sentais pas vraiment à l’aise en France. A l’âge de 12 ans, j’avais décidé de partir en Israël, et c’est donc ce que j’ai fait après le bac.
Vous vous êtes fait connaître dans de grandes comédies musicales, comme « Notre Dame de Paris » ou encore « Les enfants du Soleil », avant de lancer votre propre spectacle, « Yentl & Me ». Que cherchez-vous à transmettre dans ce « One Woman Show » musical ?
Ce spectacle parle surtout du mariage avec soi-même, de se connaître avant d’aller chercher le bonheur avec un autre. Avant, j’étais en quête de racines, et il s’agit maintenant de la quête de soi. A quarante ans, je pense qu’une étape est franchie et que l’on a envie de vraiment bien se connaître pour pouvoir enlacer et embrasser sa personne, afin d’avancer. J’ai écrit ce spectacle pour cette raison. Je suis très contente de le jouer de nouveau. J’espère que l’on pourra jouer bien plus dans les deux prochaines années. Cette période de coronavirus m’a néanmoins permis de mûrir.
Ce spectacle fait cohabiter deux personnages : Yentl et vous, Shirel. Que représentent ces deux personnages ?
Ce ne sont pas vraiment deux personnages. Je raconte l’histoire de Yentl, qui était prise entre son côté féminin, et sa soif de spiritualité et son envie de prier. Son statut de femme l’en empêchait : à l’époque, les femmes ne pouvaient pas étudier. Je me suis également inspirée de ma propre histoire. J’ai toujours eu envie de devenir juive et de prier. Dans mon cas, ce n’était pas mon statut de femme qui m’en empêchait, mais le fait que je n’appartienne pas à ce peuple. Il a fallu que je me convertisse.
En réalité, il ne s’agit pas uniquement de Yentl et moi. Ce spectacle raconte l’histoire de pleins d’autres femmes, âgées de 17 à 90 ans, que j’ai interviewées. Les sujets abordés sont le père, le souvenir, le sentiment d’être chez soi. Nous parlons également beaucoup du rôle de la femme en général. Dans le dernier siècle, le rôle de la femme a profondément changé. J’ai voulu faire entendre la voix de ces femmes de tous les âges qui racontent leur vécu de femme. Elles évoquent les fragilités, les forces, les choses qui ont changé, en bien comme en mal. Je ne donne pas mon avis, je prends le leur.
Quelles différences ces femmes faisaient-elles ressortir dans leurs récits entre le rôle de la femme avant et aujourd’hui?
Avant, nous avions peu de choix. D’une certaine manière, comme nous ne l’avions pas, les choses étaient plus simples. Maintenant, il arrive qu’une mère au foyer avec des enfants ressente de la honte de ne pas avoir de carrière. Certaines se sentent amoindrie face à la question : « Mais alors, que fais-tu ? ». Elles finissent par se dire qu’elles ne font rien, alors qu’elles font déjà beaucoup. Ce spectacle pose ce genre de questions. Je me les suis posées, et pour cette raison, j’ai voulu obtenir l’avis d’autres femmes. Il y avait des carriéristes, des femmes à la maison, des femmes qui pensaient que « c’était mieux avant », c’est-à-dire quand la femme était plus féminine, et que l’homme allait travailler. Je trouve cela formidable, d’avoir pleins d’angles différents, sans forcément juger. Tout est chamboulé, il n’y a pas qu’une seule et unique vérité. L’avenir nous dira, dans 15, 20, voire 40 ans, ce qu’il se passera. Il semble que nous soyons dans un moment d’explosion de la définition du rôle de la femme.
Qu’est-ce qui a motivé votre conversion au judaïsme?
Ce sont des notions très compliquées à expliquer, des notions d’âme, d’écho de millénaires. Je ne peux pas expliquer cela avec des mots rationnels. J’avais impression de retourner chez moi. Je me suis retrouvée, comme une renaissance. Le judaïsme n’est pas une pratique. On dit « pratiquant » mais c’est en fait une très mauvaise manière d’expliquer le judaïsme. Ce n’est pas qu’une religion, c’est une philosophie, une identité.
Pour en revenir au personnage de Yentl, en quoi vous reconnaissez-vous dans ce personnage, bien que son vécu ait été différent ?
Je me reconnais dans cette soif d’étudier, dans cette façon de se poser des milliards de questions. A 12 ans, je n’arrivais pas à arrêter de me questionner sur le judaïsme. J’étais passionnée. Quand j’ai vu le film « Yentl » (de Barbra Streisand) étant petite, j’étais complètement bouleversée et j’avais l’impression qu’elle racontait ce que j’avais à l’intérieur de moi. Même si je ne me suis pas déguisée en homme pour étudier. Elle part aux Etats-Unis pour devenir femme rabbin, et je pense que j’étais aussi un peu révolutionnaire en tant qu’adolescente. Si je n’avais pas été chanteuse, j’aurais peut-être voulu être rabbine. Je pense que ça ne m’aurait pas déplu.
Votre spectacle raconte les histoire de plusieurs femmes qui s’entrecroisent. Au niveau musical, comment avez-vous transformé ces récits en spectacle ?
Nous avons mélangé les chansons de Michel Legrand, qui sont extraordinaires, aux miennes. J’ai pu utiliser mes chansons et les siennes pour raconter tout le fil conducteur de l’histoire. Le spectacle mêle des styles complètement différents, ce qui me plaît. Malgré ce mélange, le fil conducteur est présent du début à la fin, et j’ai l’impression que le tout est cohérent.
Vous retournerez sur scène le 12 mai à Tel Aviv. Que vous inspirent ces retrouvailles après des mois de monde de la culture au point mort ?
J’ai été à un concert la semaine dernière, et je crois avoir été aussi excitée que la chanteuse sur scène, alors que j’étais assise. Et je rêvais d’être à sa place, pas dans le sens où j’éprouvais de la jalousie, mais je rêvais d’être sur scène, de vibrer, de donner… J’ai presque moins peur de monter sur scène, car je suis plus excitée et heureuse que je n’ai le trac.