Jeune Résistant déporté à Auschwitz, Raphaël Feigelson avait guidé les Russes jusqu’au camp d’Auschwitz pour en sauver les derniers rescapés. Il vient de nous quitter à l’âge de 95 ans.
Né en 1926 à Paris dans une famille juive originaire de Vilnius, Raphaël Feigelson n’a que 13 ans au moment où la France entre dans la Deuxième Guerre mondiale. Dès l’entrée des Allemands dans Paris, le soir, il recopie à la main des tracts hostiles à l’occupant que rédige son père, Pinkos, qui tient un magasin de machines à coudre, à Paris dans le Ve arrondissement. Les tracts sont intitulés « La lettre de M. Paul », que le gosse distribue ensuite dans les boîtes aux lettres de son quartier. Ces tracts marquent l’entrée de la famille Feigelson dans la résistance.
Le père de Raphaël met alors en place un petit groupe, David (direction de l’armée des volontaires israélites de défense), destiné à aider les Juifs, dont les mesures antisémites rendent la vie intenable. Raphaël et sa mère, Luba, quasiment aveugle, sont ses agents de liaison. Parallèlement, le gamin « bricole » au sein du Yasc (Yiddish Athlétic Sporting Club), une association du Xe arrondissement.
En 1942, Pinkos Feigelson est arrêté par les Allemands et condamné à trois ans de prison. Libéré par erreur au bout de trois mois, il revient à Paris et se cache. Mais Raphaël est également surveillé et, un policier du commissariat de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire lui indique avoir l’ordre de le surveiller et lui conseille de se mettre au vert.
Ce sera d’abord Lyon, puis Toulouse où, pensionnaire d’un lycée de la rue des Récollets, il reprend ses activités de Résistance. Il se rapproche des mouvements locaux de la Résistance, et, sous plusieurs identités, capitaine Sicot, d’Artagnan…, accentue ses actions clandestines. Ayant contribué à l’unification de la résistance des jeunes, on lui confie le commandement militaire régional des Forces unies de la jeunesse patriotique avec charge de former ceux qui, en 1944, deviendront les unités de jeunes des FFI.
En mai 1944, l’un de ses compagnons est arrêté par la milice. Raphaël Feigelson est appréhendé à son tour, le 14 mai 1944, près du pont Saint-Pierre. Il ne peut éviter un piège de miliciens qui le torturent avant de le livrer à la Gestapo. Une erreur d’aiguillage bureaucratique l’envoie au camp d’internement de Compiègne, d’où, le 2 juillet 1944, il doit être embarqué pour Mauthausen. Au moment du départ, alors que la Gestapo toulousaine, ayant réalisé sa bévue, le réclame pour poursuivre les interrogatoires, Aloïs Brunner, adjoint d’Adolf Eichmann en France, qui effectue une visite à Compiègne, ordonne de le diriger, ainsi que d’autres résistants juifs, sur Auschwitz. Parti de Drancy le 31 juillet 1944, son convoi, le 77, arrivera à Auschwitz le 3 août.
Raphaël Feigelson est affecté à un commando qui trace des routes, à un autre qui pose des canalisations, à un troisième qui déterre les bombes n’ayant pas explosé, à un commando disciplinaire d’où l’organisation clandestine de résistance parvient à le faire muter à la « vieille-désinfection », un commando contrôlé par ses amis chargés de désinfecter les vêtements des nouveaux arrivants.
Lorsque les SS commencent à évacuer Auschwitz, entraînant les survivants dans d’épouvantables marches de la mort, les résistants reçoivent l’ordre de se cacher et d’attendre l’arrivée des partisans polonais. « Ils ne sont jamais venus. En revanche, c’est un commando spécial SS qui s’est pointé. Sa mission : détruire toute trace des horreurs commises par les nazis et transformer le site en un banal champ labouré. » Pour Raphaël Feigelson et ses camarades, il faut à tout prix les en empêcher. « Le 21 janvier, nous avons découpé une ouverture dans les barbelés qui n’étaient plus électrifiés. On a pris des draps blancs, des vêtements chauds, des armes, et on est parti en direction du front. On a marché, marché. C’était la confusion la plus totale. Nous étions au beau milieu des combats. Obus allemands, orgues de Staline soviétiques, ça tombait de tous les côtés. »
Enfin, ils rencontrent une unité soviétique qui les prend pour des espions nazis. « Ils ont immédiatement voulu nous fusiller. J’ai interpellé leur officier : « Ya Franzouski Partizan. » Remarquant que je parlais à mes copains en yiddish, il m’a demandé : « Du bist yid ? » (tu es juif ?). Lui aussi était juif. Je ne pouvais donc pas être un nazi et encore moins un espion. Je lui ai raconté Auschwitz, les chambres à gaz, les fours crématoires. Il était impensable de laisser les SS raser les installations. Il fallait que le monde sache ce qui s’était déroulé là : le plus grand massacre de toute l’histoire de l’humanité. »
Auschwitz ne figure pas sur le plan d’offensive de l’officier de l’armée rouge. Convaincu par Raphaël Feigelson, il modifie son ordre de route et atteint Auschwitz le 27 janvier. « Il restait environ trois mille déportés dans le camp, malades, trop faibles pour bouger. Surpris par l’arrivée des Soviétiques, les Allemands n’ont eu le temps ni de les éliminer, ni de détruire les preuves de leur entreprise d’extermination. »
Lorsque les soldats soviétiques arrivèrent sur Auschwitz ils s’attendaient à investir un grand camp de prisonniers et à être accueillis comme des libérateurs. Ce qu’ils ont découvert a bouleversé leurs sensibilités pourtant déjà bien aguerries. Peu parmi les 8000 survivants ont pu parler ou simplement bouger et encore moins accueillir les Soviétiques. En fait ils étaient même terrifiés à l’idée de voir arriver de nouveaux bourreaux.
Après la libération d’Auschwitz, Raphaël Feigelson participera avec les Soviétiques au « nettoyage » de la région. Puis, en uniforme de l’armée rouge, prendra à Odessa un bateau anglais pour Marseille et retrouvera ses parents à Paris en avril et reprendra le commerce familial.
Sa vie sera longue et riche et ne se limitera pas aux « Shmattes ». Il participe à la création des Cahiers du cinéma et s’investit dans plus d’organisations et cercles que l’on peut imaginer : culture, sport, résistance, mémoire, associations professionnelles, tout l’intéresse, il participe à tout. Et ses activités multiples, après ses actes incroyables de résistance lui vaudront de nombreuses décorations prestigieuses : Chevalier de la Légion d’Honneur, Médaille Militaire,Croix de Guerre 39-45 avec palme, Médaille de la Résistance française, Croix du Déporté de la Résistance,Croix du Combattant Volontaire de la Résistance, Croix du Combattant 39-45, Médaille des Évadés, Médaille des Blessés., Médaille de Vermeil de la ville de Paris. Il sera même distingué par une décoration britannique, l’Air Chief Marshal TEDDER, Deputy Supreme Commander allied expeditionary Force (1945).
C’est donc une figure importante de la vie juive française qui vient de disparaître. Combien en reste-t-il, de ces survivants de la Shoah, qui ont été, l’honneur de leur pays?
Avec revuemethode et convoi77