Le chef de la Liste arabe unie, avec quatre députés, pourrait assurer la majorité de la coalition de droite du premier ministre israélien.
Un islamo-conservateur, timide et rigolard, tient dans sa main le destin de Benyamin Nétanyahou. Voilà le résultat inouï des législatives israéliennes du mardi 23 mars. Mansour Abbas, le patron de la Liste arabe unie (RAAM en hébreu), petite formation issue de la confrérie internationale des Frères musulmans, se découvre faiseur de rois en Israël. Fort de quatre sièges sur 120 à la Knesset, il peut sauver M. Nétanyahou, qui demeure sans majorité au terme de quatre scrutins en moins de deux ans.
La coalition de droite du premier ministre cumule au mieux 59 sièges. Son opposition est morcelée : il lui sera difficile de former un gouvernement d’alternance. Entre les deux, M. Abbas fait preuve d’une humilité toute religieuse et villageoise. Lui qui ne se revendique ni de gauche ni de droite se garde bien de triompher : « Nous devons être réalistes. Notre défi, c’est de nous imposer comme des partenaires dans le jeu des grands partis israéliens, qui ont toujours négligé et ignoré le vote arabe. »
M. Abbas souhaite briser le plafond de verre sous lequel demeure sa communauté, qui représente 20 % de la population israélienne. Pour cela, il s’affiche en homme de compromis. Ce politicien de 46 ans a grandi et demeure à Maghar, un village à majorité druze, qui compte à peu près autant de musulmans que de chrétiens (20 %). Son père, épicier, a longtemps servi de médiateur dans les conflits locaux de clans et de cadastre, sur cette vaste colline arborée qui donne vue sur le lac de Tibériade.
Conseils de prudence
Dans sa famille, M. Abbas est l’unique islamiste déclaré. A 15 ans, il a inquiété son père lorsqu’il s’est plongé dans les écritures saintes plus que dans les manuels scolaires. Dentiste, il a ouvert son cabinet au village natal. Vice-président de la branche modérée du mouvement islamiste d’Israël (celle qui ne boycotte pas les élections de l’Etat juif) il a intégré la Knesset en 2019. Pouces croisés sur le ventre, il écoute sous une tente des partisans du village venus jeudi le saluer en voisins, des Bédouins qui ont pris la route depuis le désert du Néguev (sud) afin de le féliciter, et des hiérarques arabes arrivés en Mercedes, chapelet de prière en main, qui délivrent des conseils de prudence.
M. Abbas les rassure : il défendra le droit des Palestiniens à construire dans leurs villes étriquées et surpeuplées. Il veut des commissariats et des policiers pour sa communauté, qui souffre d’un taux de criminalité immense en comparaison de la population juive. Il souhaite la reconnaissance par l’Etat des villages « illégaux » du Negev. La paix dans les territoires et la création d’un Etat palestinien n’arrivent qu’en second dans l’ordre de ses priorités.
Depuis des mois, M. Abbas envisage de soutenir M. Nétanyahou, sans toutefois espérer entrer dans son gouvernement. Le premier ministre en retour a mené une campagne conciliante vis-à-vis des Arabes. Dès mercredi, l’un de ses proches, le ministre des colonies, Tzachi Hanegbi, a estimé que le Likoud devrait considérer « des options qui sont présentement indésirables, mais qui valent peut-être mieux qu’une cinquième élection ». La partie est difficile. Les petites formations de droite radicale dont dépend M. Nétanyahou s’y refusent. Jeudi, Bezalel Smotrich, le patron du parti Sionisme religieux, fort de 6 sièges, a mis un veto : « Un gouvernement de droite ne sera pas établi avec le soutien d’Abbas. Point. Pas sous ma garde. »
A dire vrai, M. Abbas est réticent à l’idée de s’associer aux soutiens de M. Smotrich, partisans d’un transfert des Arabes hors d’Israël. Mais il est prêt à se pincer le nez pour la cause. « J’écoute les leaders des grands partis qui formeront une coalition, les candidats au poste de premier ministre. Je me moque de ce que disent leurs petits alliés », tranche-t-il. Son frère, Sawfan, entrepreneur dans la construction, est plus direct : « On peut dire que Nétanyahou est raciste, mais il sert sa communauté. Moi, si j’étais juif, je voterais pour lui. »
« Préoccupations communes »
Pour assumer un tel choix, M. Abbas a dû rompre avec les autres partis arabes, communistes, nationalistes et libéraux. Depuis septembre 2019, ils tenaient un front uni. Forts de 15 députés, ils promettaient de renverser la droite au pouvoir, en s’alliant aux partis d’opposition sionistes. Las, ceux-ci n’ont pas osé franchir le pas. L’électorat arabe en est déprimé : il a boudé les urnes. Le leader communiste Ayman Odeh accuse les islamistes d’accréditer l’idée que les Arabes peuvent être achetés.
M. Abbas n’en a cure. Depuis un an à la Knesset, ce piètre orateur s’agaçait en silence des coups d’éclat de ses camarades : « Ont-ils réussi à changer quoi que ce soit depuis vingt ans ? Crier, pousser ça ne résout pas les problèmes. » Fin 2020, il a refusé que ses alliés ne le contraignent à défendre au Parlement les droits des homosexuels israéliens, contre la droite religieuse juive.
« M. Abbas est dans la ligne que défend en Europe [le théologien] Tariq Ramadan. Il est minoritaire dans un pays non musulman. Dans sa communauté, il est ancré dans des valeurs conservatrices mais il souhaite nouer des compromis avec l’Etat », relève Amal Jamal, professeur à l’école de sciences politiques de l’université de Tel-Aviv. Cela fait de M. Abbas un allié idéal pour les partis juifs ultraorthodoxes. En comités parlementaires, il contribue à préserver les subsides de l’Etat à leurs écoles religieuses. Il obtient en retour l’oreille attentive des ministres ultraorthodoxes du logement et de l’intérieur.
« Nous avons des préoccupations communes avec les partis juifs religieux et la droite conservatrice », reconnaît volontiers M. Abbas. Quant à la gauche, il la retrouve sur « la défense des droits de l’homme et d’une solution à deux Etats à l’avenir ». Mais au présent, M. Abbas doit faire affaire avec le mieux offrant.
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