Elise et Julia, les « petites meufs feujs » qui cartonnent en consulting

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Elles ont 27 ans, parlent cash et parlent bien. Les grandes marques s’arrachent les conseils en image de Julia Layani et Élise Goldfarb. Dans leur besace ? Féminisme, diversité et une bonne dose de fraîcheur.

« Non mais c’est de la fols* ! Désolée, on finit ce mail, on ne peut pas laisser passer ça », s’excuse Élise Goldfarb en tapotant sur son laptop depuis son canapé, à l’aise dans son hoodie Iron Maiden. « Les gens sont oufs, ils se croient autorisés à nous parler comme ça parce qu’on est jeunes ? » renchérit Julia Layani en lisant par-dessus l’épaule de son associée, sourire juvénile aux lèvres et claquettes de piscine aux pieds. Difficile d’imaginer que ces « deux petites meufs » de 27 ans (leur expression) qui bossent sous l’œil sarcastique de Larry David, le cocréateur de la série culte « Seinfeld », placardé sur le mur de leur salon-bureau, facturent plus de 3 000 euros la journée de consulting et signent des contrats à six chiffres pour chuchoter à l’oreille des grandes marques. C’est pourtant ce style frais, flirtant avec l’insolence, que s’arrachent les grands groupes à papa pour ripoliner leur image. « On n’a jamais fait d’effort pour bien s’habiller ni même pour ressembler à des femmes ou pour parler en langage soutenu », commente Julia, avec une pointe de malice. Collaborateurs, P-DG, magnats des médias ou membres du gouvernement, qu’importe le statut : leur ton reste le même. « Se faire un peu bousculer, les big boss adorent ça ! » se marre Élise, qui a presque fait de ses coups de gueule une signature dans les médias.

« Elles sont hyper punk, j’adore, confirme Sabrina Herlory, à la tête d’une marque de maquillage en France, et désignée comme mentor par le tandem. Nos milieux parfois endogames ont besoin de ce genre de radicalité. Elles sont drôles, ont tout le temps la pêche. Je leur ai fait prendre conscience, quand elles ont commencé à faire parler d’elles, qu’elles ne resteraient pas de simples amuseurs publics sur les réseaux sociaux, si elles évitaient la faute de carre. Elles se font draguer par des personnes qui comptent. Mais elles savent renifler celles qui partagent vraiment leurs valeurs. » De fait, les jeunes femmes ont désormais une influence transverse, avec un réseau qui va de Kiddy Smile (chanteur, dj, militant LGBT) à Maurice Lévy (ex-président de Publicis), en passant par l’actrice Adèle Exachorpoulos ou le chef Julien Sebbag.

Le créneau de ce « tandem créatif féministe » à la tête de l’agence de conseil Elise&Julia et auteures du très suivi podcast « Coming Out » : ouvrir les représentations, favoriser la diversité sous toutes ses formes. Les deux femmes noires s’embrassant à pleine bouche sur la nouvelle campagne Petit Bateau ? C’est elles. Google, LVMH et Zalando ont aussi signé pour des « opé ». La société bouge et les annonceurs doivent s’adapter à une génération toujours plus demandeuse d’inclusivité. « On fait le pont entre la RSE* et la com en gros », résume Élise, qui entend changer le monde en dealant directement avec ceux qui ont le pouvoir, d’égal à égal. « Quand on a monté notre agence, on s’est demandé combien facturaient Havas ou McKinsey. On s’est dit : on est meilleures, on ne délègue pas le boulot aux stagiaires : pourquoi se ferait-on payer moins cher ? » Elles ont la confiance en somme, et ce n’est rien de l’écrire.

« On n’a jamais fait d’effort pour bien s’habiller ni même pour ressembler à des femmes. » « Mais avant de créer ”Fraîches”, en 2017, (un média digital lié à “MinuteBuzz”, du groupe TF1), on n’en menait pas large, moi j’étais limite en dépression », rigole Élise. L’une comme l’autre ne se sont jamais senties à l’aise dans cette société qui ne leur ressemblait pas. C’est la base de leur coup de foudre amical au lycée. Élise est à Carnot, à Paris, élève brillante, voire surdouée, qui s’ennuie ; Julia est à Sainte Ursule, juste en face, où elle s’est inscrite pour se sortir du 93, parce que le niveau « y est vraiment pourri par rapport à la capitale », un scandale qui la révolte. Après des études à la Sorbonne en droit international pour Élise, une école de commerce pour Julia, intégrée en trichant un peu sur son CV (« la débrouille toujours, avec pour but l’excellence »), elles veulent se lancer ensemble. Leurs modèles ? Les Américaines Tina Fey, Amy Poehler ou Lena Dunham, « des meufs ultra-drôles et créatives, aussi puissantes que les hommes ». Dans un flot de paroles au débit mitraillette, où leurs idées rebondissent l’une sur l’autre pêle-mêle, elles expliquent comment elles se sont taillé une place de lionnes dans le monde des entrepreneurs.

Après des débuts sur les ondes de la Radio de la communauté juive, où elles parlent « masturbation et clito » devant des rabbins rougissants mais ouverts, Élise et son humour provoc se font remarquer sur les réseaux, tandis que Julia fait un passage à NRJ – « le pire job de ma vie… j’ai été exploitée d’une force ! Le seul harcèlement que j’ai pas subi était sexuel, car on savait que je préférais les filles ». L’arrivée dans le monde du travail enclenche leur déclic féministe, même si elles n’utilisent pas le terme, « un gros mot à l’époque ». Quand elle voit passer l’annonce du très controversé Maxime Barbier, patron de “MinuteBuzz”, spécialiste du « native advertising » (savant mélange de contenus et de sponsoring), qui veut créer un média féminin, Élise poste un commentaire : « Comme si les meufs avaient encore besoin d’un tuto shampooing »… Teasé par son audace, le start-uppeur lui donne carte blanche. « O.K., dit-elle, mais on sera deux. » « Imposer une pote, à 22 ans, qui fait ça ?, souligne Julia, les yeux encore écarquillés par le culot de son alter ego. À deux, on arrive en force, ça nous a beaucoup servi aussi quand on a dû taper du poing sur la table pour être prises au sérieux. » Maintenant, on respecte leurs résultats. « À TF1, on nous a dit qu’on n’attirerait pas les annonceurs avec des femmes médecins ou des dragqueens… on a prouvé que si ! » « Fraîches », leur média social, cartonne, elles démissionnent. Et prennent la tête, en mars 2019, de la stratégie de « Melty », autre site d’« infotainment ». Se mêlant de ressources humaines, elles engagent des filles à des postes décisifs et se battent pour l’égalité des salaires. Mais ces deux-là veulent être leur propre chef et créer leur média. Comme à chaque étape, elles demandent conseil, « la meilleure façon de se créer un réseau ». Bruno Kemoun, coprésident de KR Media, leur fait alors prendre conscience qu’elles « n’ont pas besoin de vieux messieurs riches pour lever des fonds », car ce qu’elles ont à vendre, c’est leur matière grise. Autant influencer ceux qui ont le pouvoir : à savoir les annonceurs, réalisent-elles. Leur boîte de conseil est née. D’autres modèles entrent alors dans leur panthéon, l’avocate Gisèle Halimi, chantre de l’indépendance financière des femmes comme clé de leur liberté : « La bible » selon Julia. Mais aussi Mercedes Erra, la big boss de l’agence BETC. « Le système, on va pas le changer. Après, tu peux t’en plaindre ou en prendre les rênes pour le faire bouger. Aujourd’hui, quand tu achètes, tu votes », défend Élise.

Parallèlement, elles continuent de lever des fonds pour leurs causes : afin de bâtir une maison des femmes à Marseille ou pour l’association LGBT Le Refuge à qui elles ont reversé les 20 000 euros récoltés par leur podcast « Coming Out ». Leur appartenance au monde du business ne les empêche pas de s’insurger contre la fermeture des lieux culturels et une vie réduite au travail et à la consommation sur le plateau de #Sansfiltre, où le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal les avait invitées aux côtés d’influenceurs. Quand on leur demande si elles ne craignent pas l’instrumentalisation, elles rétorquent : « On ne parlait pas pour les étudiants en galère comme l’ont pointé les twittos avec le bad buzz autour d’EnjoyPhoenix. On représentait les jeunes actifs, et on en a parlé. Sur les réseaux, je passe mon temps à c**** sur le gouvernement, je ne joue pas leur jeu. On veut faire passer des messages, et on saisit les opportunités. Notre but est de rallier les dominants à notre cause. » Leur rêve aujourd’hui ? « La paix ! Que les gens arrêtent de se chamailler ! » De leur côté, elles ne voient pas ce qu’on pourrait leur souhaiter, elles ne savent même pas « si dans six mois, elles ne feront pas autre chose ». Confiantes.

©Presse

* Folie. ** RSE : Responsabilité sociétale des entreprises.

Caroline Six

Source elle