Ils pullulent, juchés sur leurs postures. Tous les partis font de Marine Le Pen un épouvantail, mais aucun ne s’y attaque vraiment. Au contraire. Excellente chronique de Michel Richard.
Disons d’abord que tous les idiots utiles ne sont pas idiots. Il en est même de très intelligents. Un idiot utile, c’est quelqu’un qui sert une cause ou une personne (en l’occurrence le Rassemblement national et Marine Le Pen) sans le vouloir ou sans s’en rendre compte. L’« intelligent » utile, c’est tout pareil : aussi affûté soit-il, son militantisme lui colle un pot de chambre sur la tête. Comme l’idiot, il sert Marine Le Pen sans le vouloir, ou sans vouloir le savoir.
On en a vu un, l’autre soir, à la télévision, de très belle facture. Très intelligent, très beau parleur, très bon rhéteur, en outre psychanalyste. Si Macron et Le Pen se retrouvaient face à face au second tour de la présidentielle, il s’abstiendrait de voter. C’est que l’une, à ses yeux, était le diable tandis que l’autre, commettant des « diableries », n’était pas mieux. Gérard Miller était tout fiérot de ce parallélisme sémantique qui les renvoyait dos à dos, les confondant dans un même opprobre et les condamnant au même châtiment : son abstention.
Par « diableries », il fallait entendre mille choses épouvantables mais, pour faire court, l’autoritarisme et l’ultralibéralisme du président de la République. Pas question de faire admettre à notre intelligent qu’en matière de dictature on pourrait facilement faire mieux et que cet ultralibéral qui dépense des milliards pour soutenir et aider chômeurs et entreprises est pour le moins un drôle d’oiseau.
Voter pour l’un ou pour l’autre est donc, pour Gérard Miller, également dangereux. Marine Le Pen est la pire mais Emmanuel Macron pas moins. Les deux sont pires que l’autre. Ainsi pense-t-il, comme d’ailleurs son maître en politique de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon. Lui faire valoir que son abstention sert objectivement Marine Le Pen le ferait se récrier. On ne voudrait pas être à sa place si, Marine Le Pen élue, il lui était donné de pouvoir faire demain la comparaison avec la politique de Macron.
Démission collective
Pareille attitude n’est pas pour Marine Le Pen le seul motif de satisfaction. Car se produit un phénomène fascinant qui ne lui échappe pas : tous les partis politiques, de gauche comme de droite, font de sa personne un sujet de répulsion et de son élection le pire des cauchemars, une perspective que les sondages rendent pourtant possible. Or, tout se passe comme si tous lui concédaient déjà la victoire, c’est-à-dire au moins son accès au duel final. Et, la tenant pour acquise, tout le monde semble s’y résigner.
Loin de s’en prendre à elle, ou au moins de s’y essayer, Les Républicains, le PS et les écolos préfèrent se détourner et faire de son challenger leur cible privilégiée. C’est Macron seul qu’il faut canarder à volonté. Ils ne veulent surtout pas d’un duel Macron-Le Pen, mais ne cherchent à en éjecter que Macron. Ainsi, celle dont ils répètent qu’elle est un danger pour la démocratie et pour la République, celle qu’ils se flattent de honnir, celle dont ils se prévalent d’être les adversaires les plus résolus bénéficie en fait d’une sorte de résignation, sinon de démission, collective. Confinée sous une bulle de réprobation dégoûtée, elle échappe néanmoins aux tirs ajustés.
Quand on conforte Marine Le Pen sous couvert de la disqualifier
Non pas que s’en prendre à Macron soit illégitime, bien au contraire. C’est le travail de l’opposition de le critiquer et de le combattre. Et il est suffisamment grand garçon, et même assez calculateur, pour n’avoir pas besoin d’être ménagé. Son mandat mérite évidemment d’être passé à la paille de fer d’une campagne électorale.
Mais de là à laisser Marine Le Pen bien tranquille sous le feu à blanc d’anathèmes ressassés et de condamnations si convenues qu’elles en sont fatigantes ! S’en prendre à elle pour de vrai, à coups d’arguments, en la prenant au sérieux, n’est certes pas si facile. Elle glisse des mains à force de dédiabolisation et de normalisation. Sa banalisation n’attente même pas à sa présidentialisation, tandis que ses combats migratoire et sécuritaire continuent de lui assurer un charme hors système.
À cela, on lui oppose d’être une « ennemie de la République ». Serait-elle factieuse ? Ce n’est pas avec ce genre de facilités qu’on empêchera son avènement : on la conforte sous couvert de la disqualifier. Bonjour les idiots utiles !
Au Figaro (6 mars) qui lui demande si la victoire de Marine Le Pen en 2022 est possible, Brice Hortefeux répond martialement : « Face à Emmanuel Macron, oui. Face à nous, non ! » Venant du représentant d’un parti qui n’a toujours ni programme ni candidat, c’est fortiche. Comme quoi on peut être utile et risible. Les deux.