Pour le compositeur Benjamin Sire, la cérémonie des Césars hier soir, ne fut qu’un spectacle idéologique émaillé de faits gênants, qui, loin de rendre service au cinéma, ne fait qu’aggraver les maux dont il souffrait déjà.
Nous avions quitté les César un triste soir de février 2020 sur le désormais célèbre: «On se lève et on se casse!» d’Adèle Haenel. Le message fut si bien reçu que le cinéma décidât de se retirer tout entier de la cérémonie suivante, tenue ce 12 mars, laissant quelques militants de l’extrême gauche à paillettes et une poignée de rédacteurs désœuvrés des blagues carambar tenir les murs d’un Olympia sans doute rouge de honte.
Livrer la chronique de cette parodie du naufrage du Titanic a quelque chose de malsain pour celui qui affiche certaines pudeurs à tirer sur les ambulances. Mais quand celles-ci agitent avec une telle ostentation la cible affichée sur leur cœur, les résistances s’estompent et le coup part invariablement. C’est d’ailleurs avec une certaine appréhension que nous nous sommes levés ce matin, guettant le téléphone d’un air mauvais, entendant déjà sa sonnerie réclamant son lot de sarcasmes pour éponger le malaise d’un énième attentat contre le 7ème Art.
Las, la demande vint à l’heure attendue et les mots qui se bousculent en bordure de feuille se mêlent à la colère et s’exemptent de la moindre indulgence pour la victime, dont la énième tentative de suicide aura peut-être été la bonne.
Le cinéma n’avait pas besoin de cela. Mais il ne déçoit jamais dans sa lente et impudique descente aux enfers. Exsangue à force de tirer sa langueur sur les rails d’un interminable travelling covidien, vide de sens à l’heure où les salles désertes abdiquent face au mastodonte Netflix, ne livrant plus que de mornes téléfilms consensuels face à des séries qui drainent désormais l’essentiel des budgets et des ambitions, il ne lui restait plus qu’à avaliser sa défaite sur un tapis rouge de vulgarité, de bienpensance à la sauce woke, et d’indécence victimaire. Il ne s’est pas raté.
La succession de faits, au mieux gênants, qui ont émaillé la cérémonie, dont on peut envisager qu’elle fut un hommage involontaire à l’œuvre trash et iconoclaste de Jean-Pierre Mocky est désormais connue de tous et nous ne nous étendrons pas outre mesure dessus…
À l’exception du toujours digne Sami Bouajila, de l’innocente et reconnaissante Fathia Youssouf et de la rayonnante et ironique Fanny Ardant, qui, en terrain miné, mis les pieds dans le plat en hommage à ces hommes désormais voués aux gémonies de la bienpensance, ce fut un festival d’ego boursouflés se vautrant dans les travées d’une caricature de meeting où la France Insoumise se serait acoquinée avec les Indigènes de la République.
De l’hommage appuyé de Jean-Pascal Zadi à Adama Traoré, dont la mort déplorable, n’a rien d’un certificat de vertu, aux pipi-caca bigardiens de la pauvre Marina Foïs, en passant par la moraline de Roshdy Zem et celle de Jeanne Balibar, venue rendre la justice en mode fashion week, rien n’aura été épargné au téléspectateur.
Mais c’est bien évidemment le happening plus carné qu’incarné de Corinne Masiero qui aura fini par l’achever s’il n’avait déjà au préalable tourné de l’œil. Car enfin, si la cause est juste, et celle des intermittents, bafoués en permanence par les stupidités de ses représentants les plus aisés, et laminés par une précarité accentuée par la crise sanitaire, l’est incontestablement, fallait-il qu’on leur imposât une telle ambassadrice pour ajouter le sordide à leur paupérisation?
Car enfin, en quoi notre Peau-d’Âne des corons, salissant le souvenir de l’inoubliable Catherine Deneuve dans le rôle-titre, a-t-elle, ne serait-ce qu’une seconde, servie la cause des acteurs, musiciens et techniciens en exhibant sa nudité ornée de tampax dégoulinants?
À quel instant, le Medef a-t-il tremblé devant tant de complaisance envers soi-même et si peu de réelle empathie envers ceux qui souffrent vraiment? Par quelle magie, le gouvernement, ayant déjà assuré une année blanche en secours des intermittents, a-t-il mieux compris les affres de notre profession à la vue d’une Capitaine Marleau vide de surmoi, mais pleine d’elle-même?
Encore une fois, la cause est juste, comme l’est celle de ceux qui luttent contre les discriminations, les injustices sociales, le racisme et tous les maux de la terre. Mais peut-on déléguer à quelques sordides bouffons s’affichant comme de vivants tracts pour le Rassemblement national le soin de nous défendre? Parce que de l’effeuillage d’une Corinne Masiero, dont on peut néanmoins noter la constance dans les idéaux, appuyé sur un passé difficile qui aurait pu lui valoir une certaine admiration, on ne retiendra que l’outrance comme la peau, et rien de sa volonté d’orienter un poil d’empathie vers la situation des intermittents.
D’ailleurs, son geste vu sans le son aurait aussi bien pu être interprété comme un acte antispéciste, une revendication contre la précarité menstruelle ou nous ne savons qu’elle autre message politique en vogue. Pour les intermittents, en vrai, on repassera…
Mais à l’heure où les politiciens se répandent à longueur de talk show, où les flashs mob tiennent lieu de programme, où les influenceurs du web prennent leurs quartiers dans les palais de la République au son de quelques DJ’s notoires, faut-il finalement s’étonner que ce soit les artistes, ou ce qu’il en reste, qui se piquent de politique avec le pachydermique mauvais goût de celles et ceux qui ont accroché la culture sur la patère de l’oubli avant d’entrer en scène?
Parce qu’au final les deux plus grandes victimes de cette soirée, pourtant censée leur être dédiée, resteront la culture et le cinéma lui-même. Ce cinéma dont il ne fut finalement pas souvent fait mention dans ce qu’il suppose d’ingéniosité, de travail, de passion, d’intelligence et de créativité.
Quant à la culture, c’est au moment où on lui accole l’anglicisme cancel que, bien davantage que les œuvres qu’elle a produites, c’est elle-même qui se trouve effacée sur le grand tableau noir de l’Histoire par ceux qui devraient en être les garants. On retrouve là le phénomène que décrivait il y a peu dans ces colonnes Raphaël Doan, à propos de ces universitaires américains en charge de l’apprentissage de l’héritage gréco-romain et qui s’évertuent à en brûler le souvenir. Bref, ni cinéma, ni culture, juste quelques psychodrames faussement improvisés, pour achever définitivement une cérémonie en souffrance depuis un moment.
Pourtant, et c’est le comble, ce n’est pas le palmarès des César en lui-même qui est à jeter aux orties ou à remettre simplement en cause. Dans une année qui aura vu si peu de films sortir, encore moins être réellement regardés, certains d’entre-eux ont réussi à sortir du lot et, comme en 2018 avec Au revoir là-haut, Albert Dupontel a réalisé un strike en mode borgne, roi aux pays des aveugles. Juste récompense pour Adieu les cons et pour le remarquable travail de la productrice Catherine Bozorgan qui fut l’un des rares phares d’une soirée boudée par son réalisateur, dont le peu d’appétence pour ce genre de compétitions est notoire.
Mais qu’importe tout cela. Les lauréats auront mérité leur statuette, de Jean-Pascal Zadi avec sa juste petite comédie, Tout simplement noir, à Laure Calamy, remarquable dans Antoinette dans les Cévennes , en passant par Fathia Youssouf et toutes et tous les autres. Ils auront mérité leur statuette, mais déjà le naufrage de la soirée en aura fait oublier le sens et le but, celui de rendre hommage au cinéma.
Il y avait deux France hier soir devant le petit écran. Celle du temps de cerveau disponible, rivée devant les mésaventures scabreuses des candidats de Koh Lanta et celle d’un microcosme gauchisant et auto-satisfait, ne parlant plus qu’à lui-même, et rejouant chaque année la pièce délétère qui éloigne sans cesse le peuple de ses soi-disant élites.
Deux France, qui se jaugent avec mépris et colère et dont on ne voit plus comment et qui pourraient les réconcilier avant que l’une ne balaye définitivement l’autre. Les audiences télé d’hier sont parlantes à ce sujet. Tandis que le jeu de TF1 réunissait 5,74 millions de téléspectateurs et près de 30% de part de marché, les César plafonnaient en fond de grille avec 1,64 million de supporters et 12,4% de part de marché, étant même devancé par le documentaire consacré à Mike Brant sur France 3. Cela ressemble presque à un sondage en vue de prochaines élections et cela ne laisse d’inquiéter.
On ne sait ce que nous réservera la prochaine cérémonie des César, s’il prend à l’Académie la volonté d’en faire durer l’agonie, mais il est sans doute préférable de ne pas y penser.
En attendant, il devient sans doute de plus en plus urgent de mettre nos télés au rencard et, pourquoi pas, de retourner au cinéma le jour où ceux-ci, tout comme les musées et les salles de concert, seront jugés tout aussi essentiels que les queues incontinentes qui se pressent chaque week-end devant les Sephora de France et de Navarre. Ce n’est sans doute pas demain la veille, mais cela nous permettrait d’entendre les actrices et les acteurs prononcer des textes davantage inspirés par la verve des prochains Jean-Claude Carrière que par les fans d’Aya Nakamura et Camélia Jordana.
En guise de chute, on aurait facilement laissé la parole à feu Jean-Pierre Bacri, inspiré de nous avoir quittés sans avoir eu à se commettre dans cette grotesque soirée, qui lui rendit néanmoins hommage. On l’aurait tout à fait imaginé se lever, se casser et apostropher la salle en citant le titre du film moult.